Chapitre 33

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« Bien tenté. »

Contrairement à la fois précédente, Emi avait eu le temps de réagir. Quelques instants avant que le visage d’Adrien ne parvienne à envahir son espace vital, elle avait réussi à glisser une main entre eux et à le repousser sans ménagement, étendant ses doigts sur l’ensemble de son visage. Ce dernier affichait désormais une expression de profonde stupeur.

C’était bien la peine de tenter de grands gestes romantiques. La confiance du jeune homme en prit une gifle.

Il haussa les épaules, lança un regard dédaigneux à la danseuse, et partit.


****


Le lendemain, Adrien se leva tôt, et se rendit compte au bout d’une bonne demi-heure qu’il perdait son temps devant son miroir. Le garçon n’avait toujours pas décidé ce qu’il allait porter, ses cheveux étaient encore tout emmêlés, et le reflet que lui renvoyait la glace le tracassait.

Emi l’avait repoussé. Adrien questionna son reflet du regard. Pourquoi ? Il était beau pourtant. Tout dans ce miroir le lui confirmait, de ses yeux envoûtants à ses pommettes si bien dessinées. Sans parler de son sourire. Tout le monde n’avait pas droit à cet honneur qu’il avait accordé de si bonne grâce à cette péronnelle. Et puis, le lycéen avait un corps de rêve. Une silhouette de danseur, athlétique, svelte… un vrai Apollon.

« Mais oui, mon chéri, tu es merveilleusement beau. »

Le jeune homme sursauta, et se retourna violemment.

« Césarine ! s’exclama-t-il, mortifié. »

La cuisinière le fixait d'un regard moqueur. Adrien tenta maladroitement de sauver les apparences.

« Je… je crois que j’ai un bouton. Juste ici. »

Il pointa son front du doigt. La vieille femme s’avança vers lui, examina son grain de peau irréprochable, et finit par bougonner :

« Adrien, tu n’as pas de bouton et je ne suis pas encore complètement sénile. Je vois bien que quelque chose te tracasse. »

Elle s’installa sans gêne sur le bord de son lit et lui jeta un regard circonspect.

« Comment s’appelle-t-elle ? »

Le jeune homme se figea, comme un lapin pris dans les phares d’une voiture. Quelle vieille chouette ! Evidemment qu’elle avait deviné. Césarine voyait toujours tout. Un sixième sens, certainement.

« Ne me dis pas que c’est encore Eva, tu sais bien que c’est définitivement terminé, et pour le mieux. »

Adrien, qui s’était assis à côté de la cuisinière, la foudroya du regard. La vieille n’avait jamais vraiment soutenu leur couple, jugeant que le garçon n’était pas à la hauteur. Eva était une perle. Cela faisait près de vingt ans que la domestique reprisait les chaussettes trouées du jeune homme, qu’elle acceptait de lui faire des plats sans oignons car il en avait horreur, qu’elle ramassait en fronçant le nez les vêtements qu’il laissait traîner dans sa chambre… et tiens, voilà qu’elle apercevait un caleçon dans l’embrasure de la salle de bain du jeune danseur. Typique. Eva méritait mieux.

Mais bon, Césarine n’était pas foncièrement méchante. Elle l’aimait tout de même, ce gamin bourré de défauts. Avec sa petite bouille d’ange. Et ses charmantes bouclettes. Les parents d’Adrien avaient de grandes carrières ; ils n’avaient jamais été très présents pour leur enfant. Alors, Sébastian et Césarine étaient devenus des parents de substitution. Le voir malheureux lui brisait le cœur.

« Je te rassure tout de suite, ce n’est pas Eva. »

La cuisinière lui lança un regard méfiant.

« Si ce n’est pas elle… Alors, qui ? »

Adrien pesa le pour et le contre. Il pouvait choisir de rester muet. Mais cela ne serait pas sans conséquence. Et le garçon se voyait mal se passer de la délicieuse cuisine de Césarine. Les nouilles instantanées, c’était bien cinq minutes, mais il ne fallait quand même pas abuser. Le danseur avait une ligne à entretenir.

Et s’il choisissait de se confier à cette fouine… c’était vrai qu’elle ne le dirait à personne. Voilà une qualité qu’Adrien était obligé de reconnaître à Césarine. La vieille cuisinière s’était vue révéler de nombreux secrets de famille. Elle était d’une discrétion sans pareille.

« C’est une première année. »

Césarine continua de le fixer, sans un mot. Son regard trahissait sa curiosité ; elle ne se contentrait pas de réponses vagues.

« Elle… Elle s’appelle Emilie. »

La cuisinière hocha la tête, l’encourageant à se confier davantage.

« Hum… elle participe au spectacle de Noël. »

La vieille dame leva les mains au ciel.

« Tu ne peux pas être plus lent ? C’est pourtant simple. Qu’est-ce qui te plaît chez cette fille ? Elle est comment ? »

Adrien se gratta la tête. Qu’est-ce qui lui plaisait chez Emi, au juste ? Réfléchissons… Elle était…

« Impatiente. »

Césarine leva un sourcil.

« Hautaine »

Elle écarquilla les yeux.

« Puérile. »

La cuisinière le scruta des pieds à la tête. Il avait l’air sérieux. La femme lâcha un petit rire narquois.

« Quel portrait charmant. »

Adrien prit soudain conscience de ce qu’il était en train de dire. Cela pouvait sembler étrange, en effet. Mais il fallait dire qu’Emi n’était pas que ça, elle était…

« Belle. Elle est vraiment belle. Et drôle. Si tu entendais les expressions qu’elle utilise ! Même toi tu ne les emploies pas. Sans compter que c’est une excellente danseuse. Vraiment. Je pense qu’elle ira loin. »

Césarine lui accorda un de ses rares sourires.

« Mon pauvre Adrien, tu es totalement séduit. »

Mais les yeux du garçon brillaient toujours d’une lueur triste.

« Le problème, c’est que moi… je ne lui plais pas. »

La cuisinière leva les yeux au ciel.

« Comment ça, tu ne lui plais pas ? »

Elle lui agrippa le visage, et le força à reporter son regard sur son reflet dans le miroir.

« Cette gamine doit être aveugle. »

Adrien lui lança un regard confus.

« Ou particulièrement lucide. »

Il reconnaissait mieux la vieille cuisinière dans le ton taquin de cette dernière remarque. Cette dernière le prit soudain par les épaules, et plongea son regard sage dans les yeux du garçon.

« J’ai une idée, lui confia Césarine sur le ton de la confidence. Mais il va me falloir un peu d’aide de ta part. »

Le regard du garçon s’illumina. Peut-être que tout n’était pas perdu.

« Tu dois la ramener à la maison. »

Adrien s’étrangla.

« A la maison ?!

- Oui, ici. »

Le garçon fixa un instant la vieille dame, une expression de pure panique se peignant sur son visage. La cuisinière semblait sûre d’elle. Sereine. Il décida qu’il valait mieux s’en remettre à son jugement. Elle avait l’avantage de l’expérience. Et de la condition, puisque Césarine appartenait elle aussi à la gente féminine - même si son apparence flétrie par les années pouvait porter à confusion.

Après la répétition, Adrien irait voir Emi. Il l’inviterait chez lui. Mais quel prétexte le jeune homme allait-il bien pouvoir inventer pour lui faire accepter ?

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