Cinquième histoire : une légère erreur.

3 minutes de lecture

« — Finalement tu es revenu ?
— Cela t'étonne ?
— C'est...bizarre !
— C'est mieux pour toi et les enfants. »

Catherine K se tut. elle regarda son mari, Philippe, comme si elle avait affaire à un être transparent .
La scène se renouvelait tous les matins, mais elle avait toujours un étrange parfum.

Catherine allait poser la question qui lui brûlait les lèvres, quand on entendit sonner à la porte.

Philippe dit :

« — Des chinois !
— Tu es sûr, demanda Catherine ?
— En tout cas ce n'est pas le croque- mort ! »

Souriante, Catherine ouvrit la porte.
Elle posa la question habituelle :

« — C'est Google qui ?
— Oui, répondit le guide, nous avons cherché le couple le plus heureux au monde.
— Et ? demanda Philippe.
— Vous avez, depuis un an, la première place. »

Catherine se mordit les lèvres et demanda :

« — Et ce matin ?
— Numéro un dans les recherches Google, répondit le guide. »

Catherine soupira et donna les conditions :

« —C'est une photo par couple et 1000 euros la photo.
— Pas de problème, dit le guide.
— Il faut payer en liquide.
— Pas de problème, répéta le guide. »

Les quinze couples chinois payèrent et, chacun eut droit à sa photo porte bonheur, avec le-couple-le plus- heureux-sur terre.

Le guide demanda:

« —Et le supplément ?
— Quel supplément, demanda Catherine ?
— Le supplément , au delà de 10000 Euros !
— Pas de problème, répondit Catherine. »

Philippe s'avança et déclama LE poème, repris, en chœur, dans sa version chinoise :

À Paris

À Paris je suis né
À Paris il y a trop d'années
À Paris enfant adolescent j'ai vécu

À Paris l'amour un jour de mai m'a vaincu

Un jour de printemps
Innocent
Des baisers hésitants
Indécents

C'est gênant
C'est troublant
C'est fâcheux

Quand je suis amoureux
Pour moi l'amour
C'est toujours

Corps et âme
C'est mon drame
Corps et âme

À Paris je suis né
À Paris il y a trop d'années
À Paris enfant adolescent j'ai vécu

À Paris l'amour un jour de mai m'a vaincu

Mon âme
Ma vertu
Tout était nu

Quand ses charmes
M'ont désarmé
Au seuil de l'été

Pour avancer
Sur les chemins
Incertains

Mal balisés
De l’interdit
De l'inédit

Il fallait se dénuder
Voyager léger
Ne pas se retourner

À Paris je suis né
À Paris il y a trop d'années
À Paris enfant adolescent j'ai vécu
À Paris l'amour un jour de mai m'a vaincu

Ma cavalière
Tu étais si légère
Si peu fière

Ta robe courte
Bien trop courte
Rendaient insincères

Les préliminaires
Ma cavalière
Si peu sévère

Ma cavalière
Sans cesse Je te couvrais
De baisers car tu avais

La beauté d'un ange
Celle qui jamais ne passe
Celle qui jamais ne lasse

Et pourtant elle dérange
Tant elle est étrange
La beauté d'un ange

À Paris je suis né
À Paris il y a trop d'années
À Paris enfant adolescent j'ai vécu
À Paris l'amour un jour de mai m'a vaincu

Ravis les touristes remontèrent dans le car, en tenant la précieuse photo, qui aurait sa place à côté de l'autel des ancêtres.

Catherine s'assit dans le canapé, face à Philippe se tut puis demanda :

« — Tu repars quand ?
— Tu le sais : à midi.
— Oui, après, je sais que c'est dangereux pour toi. »

Catherine osa, enfin, poser La question :

« —Et pour Jérôme ?
— Jérôme ?
— Cela ne te dérange pas ?
— Avant, tu couchais déjà avec lui.
— Maintenant, c'est toutes les nuits.
— Je n'arrive qu’à huit heures, rétorqua Philippe, en haussant les épaules. »

Catherine se mit à pleurer :

« — C'est une histoire de dingue.
— Un peu, dit Philippe, en souriant
— Facebook n'est jamais à jour.

— Et Facebook a toujours raison, ironisa Philippe.
— Tu es mort et enterré depuis près de trois mois, sur ton profil Facebook.
— Et je suis toujours là !
— Il faudrait leur dire.

— Tu l'as fait, répondit le zombie, on t’a répondu que ce n’était « qu’une légère erreur.

— Oui, mais pour Google tu es toujours vivant.
— Et notre couple est toujours le couple le plus heureux au monde sur notre lien sponsorisé !
— Tout cela a un bon côté, pouffa Catherine.
— Tu te fais plein de sous, c'est bon pour les enfants philosopha Philippe.
— Je peux t'embrasser, demanda la veuve ?
— Surtout pas, cela porte malheur d'embrasser un mort ! »

Midi approchait, Philippe commença à s'effacer.

Restée seule, Catherine relut plusieurs fois le mot déplacé sur le profil de son époux, oui à la place de

« décidé, », il était bien écrit « décédé ».

Elle se mit à pleurer en sanglotant : oui tout cela n’était « qu’une légère erreur. »

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