2.4 Petits cadeaux

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J'envoie le décret descendant à deux le nombre minimum d'entraves et indiquant la disponibilité de bracelets de gestion masculin pour remplacer les colliers. Je lui retire l'ancien bracelet d'entrave et installe celui de gestion sur son bras gauche. Chen est curieux. Il se demande ce que c'est. Tandis que je lui fais débuter la lecture à haute voix du décret, je lui retire le collier de contrôle.

— Cadeau. Pour nos trois mois ensemble. Collier supprimé.

Je lui fais une bise sur la joue et me blottis contre lui de nouveau. Chen lit encore lentement. Je prends le relais et termine la fin du message. Deux entraves et suppression possible du collier. Chen me serre fort. J'ai droit à une bise dans les cheveux.

Le collier, c'est vraiment un truc énorme dans le sentiment d'esclavage. C'est la décharge la plus douloureuse aussi. Doucement, je lui explique les fonctions de son bracelet et montre comment localiser de nouveaux lieux ainsi que ceux que j'ai enregistré comme la maison, le parc, le supermarché. Lentement, Chen assimile comment m'appeler ou appeler les architectes, enregistrer un numéro et il teste la vibration en cas d'approche de la limite. Ce n'est pas douloureux. Ça vibre juste pour prévenir. Chen peut régler l'intensité ou mettre une alarme sonore.

Je lui montre l'accès à son compte en banque et comment payer ou récupérer de l'argent via son bracelet, comme pour les femmes. L'argent liquide n'est pas très pratique, surtout pour de grosses sommes. Je lui verse dix mille dollars sur son compte pour les grosses dépenses. Je lui dis que pour l'instant, j'ai le contrôle de son compte en tant que compagne. Je n'irais pas scruter chacune de ses dépenses. Je me contenterai de le ré approvisionner si besoin.

Si les deux jeunes architectes équipent leurs compagnons de ce type de bracelet, ils pourront venir travailler sur mes chantiers sans que Chen ou leurs compagnes doivent être présents. Il n'y a que quand ils seront à la maison que je demande la présence de Chen pour interdire l'accès à mon bureau.

Ainsi, mon compagnon aura plus de temps libre et en faire ce qu'il veut. Courir, dormir, faire du shopping, se former et apprendre, ou se trouver un petit boulot s'il le veut. À condition que ce ne soit pas dangereux. Je ne veux pas qu'il se blesse. Je le sens rigoler de mes inquiétudes.

J'ai droit à un autre bisou, sur l'épaule cette fois. J'ai même droit à un essuyage délicat en sortant de l'eau. Son bisou de bonne nuit est plus doux et prolongé que d'habitude. Mon cadeau lui a plu. Je suis fière de moi.

Les bracelets de gestion ont un succès fou. Entre les bracelets anciens modèles et les colliers qui nous sont retournés, les pièces détachées ne manquent pas et nous permettent de produire de nouveaux bracelets. J'ai fait déposer le brevet. D'autres États dont celui de Suprême Déborah m'en commandent et cela amène de la trésorerie en masse.

Évidemment, les Alphas copines de Cassandra et le réseau des délatrices n'apprécient guère mes nouveaux gadgets. Pour les premières, je leur péterais la tronche très bientôt. Pour les secondes, je la joue plus finement. Je leur raconte vouloir amadouer la population et passer pour une gentille de façon à rassurer les rebelles et ainsi, pouvoir tous les capturer. Mon pseudo plan d'anéantissement des rebelles plaît fort heureusement à ma chère grand mère, qui croît que bientôt, je serais encore plus sévère que Cassandra.

Via mon ex professeur de combat, la folle me félicite d'avoir mis le doigts sur le souci de la natalité et me fournit quelques conseils pour rassurer les femmes. Elle approuve même mon décret redonnant aux femmes la pleine éducation de leurs filles. Mon ancêtre est loin d'être idiote. Elle sait qu'il va vite falloir agir pour voir la baisse des naissances s'arrêter si on veut pérenniser l'espèce humaine.

Comme je m'en doutais, mes deux architectes équipent leurs compagnons dès les premiers jours. Elles commencent même à embaucher pour assurer les chantiers que je leur confie. Les deux femmes supervisent le travail, leurs compagnons ont un ou deux ouvriers masculins sous leur ordre. Pour l'instant, elles continuent de diriger les femmes. Faire que des hommes puissent superviser des femmes professionnellement sera compliqué. Il faudra du temps. J'y vais doucement afin de ne pas choquer. Cette mesure entraînerait ma mise à mort immédiate.

Chen a beaucoup de temps libre. Il suit des cours pour se perfectionner en lecture et écriture et fait des petits boulots de courte durée. Il teste plusieurs métiers. Il a aidé à la maçonnerie et aux gros travaux sous les ordres des compagnons des architectes. Il effectue des livraisons. Chen creuse des trous pour une jardinière paysagiste. Il cherche sa voie. Mon compagnon n'est pas obligé de travailler. Il le souhaite, ayant moins l'impression d'être un esclave. En plus, le contact avec la rébellion est plus aisé par ce moyen.

J'ai fait en sorte que les soldats qui suivaient Chen soient arrêtés pour qu'il retrouve sa liberté de mouvement et puisse plus aisément parler aux rebelles. Chen semble bien s'entendre avec les fils des chefs rebelles, Gaël et Rudolf. J'ai l'impression que les fréquenter l'apaise un peu.

Il a l'impression d'être utile à quelque chose. Les deux rebelles sont de bons garçons, respectueux de la gent féminine sous leurs apparences de lourdauds libidineux. Ils pensent me surveiller via Chen, qui ne se montre pas non plus des plus intrusifs dans mon bureau.

Chen est de plus en plus heureux et accepte davantage les contacts tactiles de ma part. De temps en temps, il passe à mon bureau avec un sandwich ou un panier repas. J'adore quand il prend le temps de venir manger avec moi. Parfois, c'est pour fouiller mon ordi. Parfois, non, c'est juste pour être avec moi.

Il ne m'aime pas. Il me tolère et m'apprécie d'une certaine manière. Je crois qu'il me considère comme une amie. Une amie un peu, beaucoup tactile. Son statut de mec de l'Alpha Inès le fait sourire. Beaucoup de femmes lui parlent avec respect et crainte, lui qui était insulté et battu.

Sibylle et lui se croisent parfois, à mon bureau le plus souvent. Elle a moins peur de lui. Il n'a plus de raison d'être en colère. Sybille m'a confié avoir essayé de soigner Chen et de le nourrir dans le dos de Zêta Cassandra. Il m'a confirmé ses dires. J'aime beaucoup Sibylle. Elle est gentille et dirige l'ancienne maison principale à mi-temps pour moi. Elle gère les petits conflits, les factures et les loyers, me dégageant du temps pour d'autres activités.

J'ai revendu les bibelots inutiles et coûteux et fais supprimer les chaînes murales de Chen. La maison a été repeinte dans des tons plus naturels et moins clinquants. Des beiges, et des pastels principalement. Les meubles luxueux ont fait place à des éléments fonctionnels sobres et de bonne qualité. L'intérieur est devenu chaleureux et convivial. C'est aujourd'hui une colocation pour six Lambdas. Une grande chambre avec douche privative par personne, une cuisine et un salon en commun.

Sibylle continue de faire le ménage à mi-temps, quelques heures chez plusieurs Deltas et Epsilons. Je lui fais donner des cours de comptabilité basique pour l'aider dans la mission que je lui ai confiée. Nous discutons de l'avenir du jardin à l'abandon. On ne sait pas trop quoi en faire pour le moment. Sibylle et les autres colocataires taillent un peu ou arrosent, cependant beaucoup de plantes sont mortes, faute de soins adaptés. Je m'en occuperai, mais pas tout de suite. J'ai un peu trop de choses à faire en ce moment et très peu peuvent être déléguées.

J'ai confié une des anciennes maisons de Cassandra à mon amie Nadia. La Zêta qui est si gentille. Ma Nanou de cœur. Je me rappelle quand j'ai été la chercher dans son usine. Elle m'a reconnue de suite et ne savait pas quoi faire face à mon nouveau statut. J'ai fait en sorte de me retrouver seule avec elle dans un bureau fermé et lui ai fait un gros câlin par surprise. C'est mon amie. J'ai confiance en elle pour de nombreuses choses, toutes sauf ce qui concerne les délatrices en fait. Çà, c'est mon secret et ma mission ultime pour laquelle personne ne peut m'aider.

Notre amitié est méconnue de tous sauf de nos anciennes connaissances de l'orphelinat qui ne sont pas du genre bavardes. Nanou me raconte ce qu'elle peut voir en tant que Lambda. Elle dirige super bien la maison que je lui ai confiée. C'est ma petite rapporteuse. Nanou surveille aussi les rebelles et me tient informée de leurs actions.

D'après elle, Rudolf et Gaël seraient mes demi-frères. Igor était un des cinq reproducteurs de Cassandra au moment de ma conception. Aucun écrit de Cassandra ne confirme. Nadia est si gentille et innocente que personne ne se méfie d'elle. Les gens se confient naturellement à sa personne, même des gens qui ne la connaissent pas. C'est un don. Un don extraordinaire.

J'ai retrouvé Keira aussi. Je lui ai confié une autre mission, bien plus dangereuse, de l'espionnage de haut vol, au sein des troupes militaires d'Alpha Sophie. C'est une coriace. Elle y arrivera. Nous pouvons nous appuyer sur le réseau d'espionnage. Nous sommes des enfants éduqués pour se fondre dans la masse. Mes sœurs et moi nous nous surnommons les enfants fantômes et venons d'orphelinats spécialisés. Un vaste réseau de personnes placées stratégiquement, toutes solidaires et sœurs. Des espionnes qui me font confiance à moi leur sœur.

J'ai rencontré les anciennes Zêtas de Cassandra. Les vingt. J'en ai choisi quatre qui effectuent le même travail de directrice de maison. J'ai trouvé du travail aux autres. J'ai fourni un local à la coiffeuse, la maquilleuse et l'esthéticienne. Elles bossent à leur propre compte maintenant. Je continue de les aider en leur fournissant conseils et cours du soir. Les deux cuisinières ont monté leur petit restaurant en centre-ville. Les couturières sont aussi à leur compte.

L'ancienne médecin est redevenue médecin. Elle gère un dispensaire soignant les Zêtas gratuitement. Une de mes nouvelles idées pour le bien-être commun. J'ai gardé à mon service la jeune assistante Epsilon pour gérer mes rendez-vous et corriger les fautes d'orthographe et de syntaxe de mes discours ou décrets. Elle connaît déjà le boulot. Je n'ai pas à la former. Mes sœurs espionnes m'ont confirmé sa fiabilité. Les autres, femmes de ménage ou conductrices, travaillent pour d'autres personnes.

De nouveaux métiers apparaissent. Le nombre d'employés explose bien que cela est un peu fictif. Avant, Deltas, Epsilons et Gammas représentaient cent mille personnes pour un million de citoyens. Avec les M, Les Lambdas, les L, C et P qui travaillent, la masse travaillant représente quatre vingt dix huit pour cent soit neuf cent quatre vingt mille personnes. Les vingt mille derniers sont des hommes ne travaillant pas, des femmes âgées ne pouvant plus travailler, mais qui sont soignées, des personnes malades ou handicapées, les nouvelles Zêtas et les quelques enfants.

Ce chiffre est bidon. Je n'ai pas vraiment augmenté le nombre de travailleurs. Les ex Zêtas ont grossi le chiffre de presque sept cent trente mille. Les hommes qui travaillaient, mais n'étaient pas déclarés ont terminé. Beaucoup de contrôles ont été effectués pour faire déclarer le travail des hommes. Un plus grand nombre encore pour vérifier la bonne santé des compagnons.

Plus d'une centaine de reproducteurs ont été retirés à leurs propriétaires pour être soignés de leur maltraitance. Les traitements antidépresseurs sont en chute libre. Au bout de six mois, nous sommes passés en dessous des deux pour-cent de suicide ce mois-ci, des nouvelles Zêtas et des hommes. Seul point noir : toujours pas de bébés ni de femmes enceintes.

Aujourd'hui, cela fait six mois que Chen et moi nous nous sommes rencontrés. Il lit et écrit de mieux en mieux et sait combattre correctement. Sa garde-robe s'est améliorée. Les pyjamas horribles et les joggings larges étaient bien pour m'agacer, sauf que je n'ai rien dit.

Il ne cherche plus à me provoquer. Nous nous chamaillons beaucoup pour rigoler. On a tous les deux un sacré caractère. Il ne me parle toujours pas. Il parle aux autres hommes. Je lui ai appris à conduire. Je lui ai offert une petite voiture pour se déplacer. Un joli bolide noir aux formes sportives mais avec un coffre suffisant pour quelques courses. J'ai eu droit à un baiser de joie très très rapide. Un baiser tout de même.

J'ai agrandi son périmètre à dix puis vingt-cinq kilomètres et enfin cinquante pour nos six mois. Je lui ai promis deux cent cinquante kilomètres pour nos un an. Pour qu'il puisse me remplacer pour certains festivals, comme celui du fromage. Chen n'est pas dupe. Cette liberté, c'est surtout pour lui refiler les trucs que je n'ai pas envie de faire. Cela reste de la liberté.

La piscine est finie. J'ai donné des cours à Chen sur les bases de la natation. Je l'emmène à la mer pour la première fois de sa vie. Tout un week-end. J'ai réservé un appartement qui est loué habituellement pour les vacances. Chen a sauté de joie quand je lui ai annoncé. Un vrai gosse. Dès le vendredi soir, il court sur la plage pendant que je profite du magnifique coucher de soleil.

À l'aube, il s'achète du poisson frais à la criée. Je râle un peu sur l'odeur au petit-déjeuner. Je n'apprécie déjà guère l'odeur du poisson alors au réveil, c'est encore pire. Chen m'a pris des viennoiseries en prévision pour se faire pardonner. Le voir si heureux diminue mon ronchonnage.

Nous allons nager. Il a vraiment appris très vite. Je pense qu'il savait déjà, mais était un peu rouillé. Avant qu'il se gave de churros, je l'entraîne en ville pour visiter. Ici, moins de monde sait qui je suis. Je suis une Delta en vacances avec son compagnon. Nous tombons sur un petit marché local.

Une succession de petits étals assez pittoresques et agréables nous attire. Les couleurs, principalement du bleu et du blanc, sont joyeuses et incitent à la détente. Les odeurs de poisson frais mais aussi de pain et de sucreries ravissent nos narines. C'est un régal oculaire et olfactif. Je me sens un peu en vacances et je me détends légèrement.

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