1.4 Mini coup d'Etat

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C'est le jour de mon intronisation. Alpha Déborah me présente au conseil spécial des Alphas. Toutes sont là sauf ma génitrice, à la demande de la Suprême, pour maximiser la surprise. Cassandra ignore le sort qui va lui être réservé. La cérémonie est pompeuse et très conne. Je dois jurer prendre soin des femmes sous ma direction et tout faire pour favoriser les naissances et repeupler le monde en commençant par mon État. Je fais la bonne petite pour que la cérémonie cesse rapidement.

J'ai enfin le droit d'aller voir l'ancienne Alpha pour lui annoncer la nouvelle. Les passations de pouvoir sont filmées et retransmises. Parfait. Mon règne de terreur débute. Je me dirige vers la maison de ma génitrice, Alpha Cassandra, FA80-34-7209-001, le tyran. Je suis flanquée d'une armée de policières. J'ai pris Alpha Cassandra à son propre jeu. Les policières qui la protègent sont des endoctrinées, dévouées aux résultats du test d'aptitude. J'ai le meilleur résultat de tous les temps. Je leur ai donc ordonné de se mettre à mon service. Moi, la nouvelle Alpha intronisée par la Suprême. Moi la future Suprême.

La bâtisse de trois étages, prétentieuse et au jardin orné de décorations en faux marbre imitant des statues célèbres, est ridicule. La grosse berline noire sur le chemin pavé exhibe l'argent. Rien que l'extérieur me donne la gerbe. Une Zêta apeurée m'ouvre la porte. L'intérieur, au carrelage noir et aux murs dorés est encore pire. En plus d'être folle, elle a des goûts de chiottes.

Je me dirige vers le salon avec ma petite armée. Un pauvre garçon est enchaîné dans le couloir, cheveux longs et sales, barbe hirsute. Un homme des cavernes aux yeux bleus. Il est maigre et mal en point, couvert de coups sur tout le corps et de traces de brûlures au niveau des bracelets et du collier. Il est en colère et hurle sur les intruses telle une bête sauvage. Il doit s'agir de son reproducteur. Tu m'étonnes que les précédents se soient suicidés vu l'état de celui-ci.

Ma génitrice arrive en hurlant, descendant les escaliers de marbre d'un air théâtral. Sa robe froufroutante rose poudrée ne met pas en valeur ses courbes inexistantes et son visage disgracieux. Fausse blonde aux lèvres minces recouvertes de rouge à lèvres couleur sang, une tâche de rousseur au dessus de la lèvre droite, son visage présente déjà les marques du temps avec de nombreuses rides qu'elle tente de dissimuler sous un fond de teint orangé. Aussi laide que sa maison, la bestiole hurle. Qui ose perturber l'Alpha ? Elle ordonne aux policières de m'arrêter. Elles ne bougent pas. Elles sont sous mes ordres désormais.

— Bonjour, je suis FA98-34-9706-001. Alpha Inès. Future Suprême Inès. Ta fille. Celle que tu as abandonnée et faite élever comme un déchet humain. Je viens reprendre le contrôle de l'État 34 avec la bénédiction de Suprême Déborah et l'accord à l'unanimité du conseil exceptionnel des Alphas auquel tu n'as pas été convié. Tu n'es plus féconde. Tu deviens une Zêta ce jour sur mon ordre. Tu nettoieras les morgues et les hospices. Je prends possession de tes maisons, ton compte en banque, tes Zêtas et tes reproducteurs. Tu as une demi-heure pour te faire un sac de vêtements sous la surveillance d'une policière. Tu seras ensuite conduite dans la prison la plus proche.

J'ai parlé d'un ton sec et méprisant très autoritaire. J'attrape le bras de Cassandra et passe mon bracelet sur le sien afin de récupérer numériquement le contrôle de tous ses biens. Elle se débat, sans succès, je suis plus jeune, plus rapide et mieux entraînée. Je désigne une policière, une de celle qui a eu mal au cœur pour le reproducteur en rentrant et qui n'aura pas pitié d'elle.

— Vous ! Suivez là et surveillez là.

Je me tourne vers la caméra-woman, en prenant mon air le plus imposant possible. Je sais que tout le monde me verra et je veux asseoir mon autorité de suite. Je fais un show pour les autres Alphas, mes Deltas, Epsilons et Gammas. Je veux que tous réalisent que je ne suis pas du genre à avoir pitié ou à accepter qu'on conteste mes ordres.

— Passation de pouvoirs terminée. Éteignez la caméra. Vous la filmerez lorsqu'elle arrivera en prison.

Elles sont toutes choquées et terrorisées. C'était le but. Je me dirige vers la Zêta apeurée. Je sais que les caméras tournent encore, mais peu importe. Ou plutôt, maintenant, c'est la démonstration à destination des reproducteurs, Zêtas et rebelles. La Zêta est femme de ménage. Elle est jeune, dix-sept ou dix-huit ans. Jolie petite poupée châtains aux immenses yeux noisettes et toute timide, la jeune fille est adorable. Je lui demande gentiment son prénom. Sibylle. Je lui dis poliment de préparer un repas pour quatre personnes. Elle s'étonne de mon ton doux, si différent de l'aboiement que j'ai employé envers Tyran Cassandra.

Tandis qu'elle s'exécute, j'examine mes nouvelles possessions calmement. Plusieurs milliards de dollars, vingt Zêtas à son service quotidien, des milliers en esclavage dans ses usines, six maisons en usage, des centaines de bâtiments inoccupés, un reproducteur de vingt ans. Elle n'a pensé qu'à elle. Le réseau d'espionnes avait raison. Cassandra se contrefiche de la vie. Ce qu'elle veut protéger, c'est son postérieur. Manque de bol, c'est sur moi qu'elle est tombée.

Sibylle a cuisiné des pâtes carbonara. Je goûte et rectifie l'assaisonnement. Je lui dis de remplir une assiette et de se mettre à table pour manger. C'est un ordre de son Alpha. Elle me lance un regard si reconnaissant que je sais avoir bien agi. La caméra ne perd pas une miette de mes faits et gestes. Je prends donc deux assiettes vides et deux fourchettes. Je me dirige vers le garçon enchaîné avec le plat de carbonara.

Il grogne et se débat. L'animal veut m'attaquer. Ses entraves l'en empêchent. Il a entendu mes paroles et sait que je suis sa nouvelle propriétaire. Je vois sa haine des femelles. Pas grave, je le comprends. Je m'accroupis au plus proche de lui et pose le plat et les assiettes. Je les remplis et lui demande s'il a faim en lui en tendant une. Il hésite et me jauge. L'esclave chope l'assiette et dévore goulûment sans utiliser la fourchette. Je mange tranquillement. Il a fini bien avant moi.

— Encore ?

Je lui désigne le plat contenant encore une grosse assiette. Il me fait signe oui de la tête.

— D'accord. Je vais t'en donner plus. Mais il faut me laisser approcher et ne pas m'attaquer. Promis?

Il hésite, puis accepte en hochant la tête. Je le rejoins doucement et remplis son assiette en tendant la main vers ses cheveux. Il recule. Je laisse ma main en suspens dans le vide, l'assiette dans mon autre main. Comme pour un animal effrayé, je le laisse s'approcher. Au bout de deux minutes, la faim le fait revenir. Il me laisse lui caresser les cheveux tandis qu'il mange.

— Je sais qu'elle t'a battu. Je le vois. Je sais que tu hais les femelles. Je le comprends. Je ne suis pas comme elle. Je veux prendre soin de toi. Je ne veux pas d'un esclave. D'un reproducteur juste bon à un acte animal. Je veux un compagnon. Quelqu'un avec qui partager ma vie. Mes joies. Mes peines. Quelqu'un qui me soutienne au quotidien. Quelqu'un que je pourrais aimer. Je voudrais être ta compagne. Je sais que c'est des belles paroles et que sûrement, tu ne me crois pas. Je te demande de me laisser une chance. De me suivre tout à l'heure quand je te ramènerais chez moi. Loin de ce lieu. Tu veux bien me laisser une chance ?

Je lui parle d'une voix douce sans cesser de lui caresser les cheveux. Il me regarde dans les yeux pour la première fois. Je perçois sa colère, sa fureur et sa haine. Je descends ma main vers son visage et lui caresse la joue. Quelque chose en lui me touche. J'ai déjà croisé d'autres reproducteurs, maltraités aussi ou bien plus beaux.

Ses yeux ont un truc qui m'interpelle et me donne envie de le protéger, de le soigner, de prendre soin de lui. Il a quelque chose qui fait battre mon cœur plus fort. Je ne pense pas que ce soit réciproque. Je ne vois que de la colère ; il a trop souffert. L'homme hoche la tête pour m'accorder une chance et me tend son assiette sale. Ma génitrice a fini. Elle hurle sa colère. Je la renvoie et fais partir les policières.

— Sibylle ? Aurais-tu la gentillesse de me répertorier tous les biens de cette maison cette semaine ? Je compte revendre certaines choses et faire des travaux. Je t'en dirais plus bientôt. Tu dormiras ici pour protéger la maison. J'ai besoin d'une personne sur place. Tu m'as l'air d'être une fille honnête et digne de confiance. Tu peux prendre un bain, dormir dans la chambre d'amis, manger tout ce que contient le frigo, mais ne laisse entrer personne d'autre que moi pour l'instant. Voici mon numéro de téléphone si tu as des questions ou besoin de quoi que ce soit.

Son air éberlué et ravi me dit que je me suis fait une alliée. La jeune fille, à peine plus âgée que moi, n'a pas l'habitude qu'on lui parle avec douceur et respect. La confiance que je lui accorde fait monter ses larmes et elle acquiesce sans parvenir à dire un mot, se contentant d'un grand sourire que je lui rends. Je me tourne vers la bestiole puante qui croupît dans l'entrée.

— As-tu d'autres vêtements ou affaires ? Demandais-je au garçon.

Il me fait signe que non. Je détache alors le crochet à son cou pour le libérer de ses chaînes. Il part en courant en me bousculant, sans me faire mal. Je tombe sur les fesses. Le temps de me relever, il est dans le jardin. La sécurité des bracelets s'est mise en marche. L'homme est à terre, en train d'être électrocuté.

MERDE ! Je pianote frénétiquement sur mon bracelet pour faire cesser ses souffrances. Je jure contre cette folle dingue. Cassandra a réglé la sécurité sur la puissance dix si son reproducteur s'éloigne à plus de cinquante mètres de sa propriétaire ou de la maison. C'est douloureux à partir de trois. Insoutenable à partir de cinq. Il aurait pu mourir. Elle est barjo cette connasse.

Il est KO. Je m'approche pour vérifier son cœur et sa respiration. OUF ! J'ai agi suffisamment vite. Il est jeune, je pense. Le reproducteur est si mal en point qu'il m'est difficile de confirmer l'âge indiqué sur l'acte de propriété de Cassandra. Il est sonné, mais il va s'en sortir.

Je profite de son état groggy pour le relever et le prendre dans mes bras. Je demande de l'eau à Sibylle qui s'approche. Elle a peur de lui. Je le fais boire doucement. Il se calme, reprends son souffle et ses esprits. D'un coup, il me renverse. Il est vif, l'animal ! Je suis allongée sous lui.

Il me tient les poignets pour que je ne puisse pas utiliser mon bracelet. Il me regarde méchamment. Sa haine lui fait penser que je vais lui faire du mal. Ses yeux m'indiquent qu'il n'a pas réfléchi et ne sait pas quoi faire. Il m'a immobilisée pour pouvoir réfléchir, toutefois, il ne cherche pas à me blesser.

Je dis à Sibylle de ne pas bouger, de ne pas appeler les policières. Je pourrais reprendre la situation en main très vite avec ma formation en combat, mais je ne veux pas lui faire mal. Je décide de gronder le garçon pour le déstabiliser. Une réaction à laquelle il ne s'attend pas pour le prendre au dépourvu.

— Si tu n'étais pas parti en courant, ça ne serait pas arrivé. Je n'ai pas eu le temps de corriger les paramètres de contrôle. Je ne voulais pas t'électrocuter. Si tu ne me donnes aucune chance de te montrer, comment veux tu que je prenne soin de toi ? Suis-moi. Tu auras à manger. Des vêtements propres. De quoi te laver. Un bon lit. Je ne te ferai pas de mal si tu ne m'attaques pas... Si tu m'attaques en revanche... Je te jure que je te mets mon genou dans les noix et qu'ensuite, je te les broie. Tu hurleras de douleur de nouveau sans que je n'aie besoin de mon bracelet. À toi de choisir.

J'ai murmuré sur la dernière partie. Un ton calme, presque enjoué avec un grand sourire. Être flippante est une de mes grandes capacités et je ne joue pas la comédie. S'il bouge, je le défonce. Il jette un œil vers son entrejambe. J'ai eu le temps de placer mon genou pile sous la zone sensible. Il me regarde de nouveau. Je suis sereine et déterminée. Je souris toujours. Je le vois flipper un peu devant mon assurance et mon calme. Le fait que je ne me débats pas est inquiétant. Il lâche mes mains et s'assoit à côté de moi. Il boude et réfléchit.

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