Chapitre 12-1 : fréquentations - Le rocker

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Contact Marseillais
Paris
Lundi 26 juin 1989 matin

Avant de s’engouffrer dans la bouche de métro, Marc prit quelques instants pour observer la luminosité matinale faisait admirablement ressortir la parure des arbres qui bordaient l’avenue.

Un individu en veste en cuir noir, à la James Dean, se porta à sa hauteur : « On doit causer. »

Il eut un léger mouvement de recul en reconnaissant son interlocuteur.

« Nous n’avons plus rien à nous dire. »

L'homme l’attrapa par le coude, et lui murmura à l’oreille :

« Tttt. Après tout ce que nous avons fait pour vous... Mes patrons ne vont pas apprécier. »

Marc se dégagea avant de répondre froidement : « Je vous ai payé pour vos services. Nous sommes quittes. »

Le sourire de l'individu disparut.

« Je vous conseille de ne pas faire le mariole… Vous avez beaucoup à perdre. »

Marc s’arrêta de nouveau et le fusilla du regard tout en grognant : « Vous avez cinq minutes.

— Ma voiture est garée dans la rue juste à côté, fit l’homme avec un rictus. »

Les épaules de Marc s’affaissèrent imperceptiblement et il lui emboita le pas.

« Venons-en au fait. Que voulez-vous, mister Julot ? interrogea -t-il, une fois installé.

— Votre projet à Naples a beaucoup intéressé notre ami de Marseille, fit Le dénomme Julot se tourna sur son siège pour lui faire face. »

Il voyait très bien de qui il s’agissait... l’ami en question l’avait mis en relation avec les associés italiens cachés derrière la Zurich Trust Bank.

« Il veut réaliser quelques opérations dans sa région. Avec un financement de votre banque.

— Ben voyons... Et à qui devons-nous prêter ? Et combien ?

— On vous le dira quelques jours avant. »

Marc n’eut pas à se forcer pour souffler d’exaspération : « Vous êtes vraiment un guignol ! »

La réaction de son interlocuteur fut brutale, le saisissant au col : « Ferme ta gueule, connard !

— Je maintiens. Vous n’êtes qu’un amateur. On vous laisserait faire, nous serions tous arrêtés avant la fin de la semaine, dit-il en le regardant froidement. »

Julot resserra encore sa prise : « C’est bien ce que t’as fait avec les ritals !

— On a fait à ma façon. Et j’ai eu affaire directement aux patrons. Pas avec leurs sous-fifres qui n’entravent que dalle ! Je ne traite pas de telles opérations avec un second couteau. »

Son interlocuteur serra les dents, de plus en plus furieux, mais ébranlé.

« Vous direz à notre ami que je ne parlerais qu’avec lui ou son conseiller, Marc s’arracha violemment de l’étreinte, c’est compris ducon ? »

Sans attendre la réponse, il sortit de la voiture et reprit le chemin du métro.

Le temps d’arriver au bureau, son niveau d’adrénaline était redescendu. Il avait du mal à contrôler les tremblements qui l’agitaient. Il fit la grimace, découragé : quand cela s’arrêterait-il ?

Trois ans plus tôt
Le rocker
Paris
Février 1986

On l’introduisit dans l’arrière-salle du bistrot, à deux rues de la Place de la République. Un homme coiffé façon rocker, avec un blouson de cuir noir, l’attendait à une table. Sans son accoutrement, il aurait pu ressembler à un moine avec sa couronne de cheveux sur le pourtour de son crâne chauve. Son regard calculateur démentait toute impression d’altruisme que Marc aurait pu avoir.

Le voyou lui fit signe de s’assoir. Il jaugea Ancel sans dire un mot, le laissant s’agiter, mal à l’aise, sur son siège.

Il l’apostropha enfin : « Tu cherches des services particuliers ? »

Marc se concentra, surtout ne pas faire de faux pas, et répondit d’une voix tendue : « Je cherche à qui m’adresser.

— C’est pour ça que tu glandouilles dans le coin auprès des dealers ? »

Et cela avait marché… on l’avait gentiment invité dans ce troquet.

Le truand examina le blanc-bec en face de lui. Il était méfiant : cet inconnu pouvait être un flic en infiltration. Mais si c’était un keuf, il jouait très bien la comédie : il paraissait anxieux et donnait l’impression de n'être là que parce qu’il n’avait pas d’autre moyen. Il l’avait fait suivre la veille : le jeune homme était tout simplement rentré chez lui. Sans s’approcher ou être abordé par d’autres mecs ou meufs et encore moins des flics. Et il n’avait pas de micro : on l’avait fouillé.

« J’ai besoin de papiers d’identité. »

— En supposant que je sache à qui s’adresser… Pourquoi faire ?

— Je suis prêt à payer. Le pourquoi me regarde. »

Le rocker se pencha vers lui, l’attrapa brusquement par les cheveux et lui colla la tête contre la table : « Écoute bien, petite merde. On ne te connait pas. Tu demandes des trucs douteux, et tu te permets de jouer au con ! »

Il relâcha sa prise avant de s’adosser de nouveau au fonds de sa banquette. Blanc comme un linge, Marc se redressa en bredouillant des excuses.

« Arrête de pleurnicher ! Pourquoi veux-tu ces papiers ?

— Pour des formalités administratives… Et pour ouvrir des comptes en banques.

— C’est quoi ? Un casse ? Un détournement ? »

Marc se tortilla, mal à l’aise : « Pas exactement.

— Explique !

— Je vais utiliser des fonds qui ne sont pas à moi et garder les bénéfices de leur placement. »

Le truand réfléchissait. C’était plausible et cadrait avec la perception qu’il avait du blanc-bec : un col blanc qui s’apprêtait à puiser dans la caisse… Et qui avait besoin de frayer avec le milieu pour se couvrir.

« Qui me dit que ton opération n’est pas foireuse ?

— Ce n’est pas vous qui prenez les risques. Je suis même prêt à parier que ce troquet n’est pas votre lieu de prédilection habituel ; pour éviter qu’on ne remonte jusqu’à vous. »

Son interlocuteur masqua sa surprise devant l’assurance nouvelle qu’il détectait chez le scribouillard. Ce blanc bec était peut-être mal à l’aise, mais il savait ce qu’il faisait.

« Les démarches administratives ?

— Mes comptes seront au nom de plusieurs sociétés que j’aurai créées avec les faux papiers. Au passage je précise que j’ai besoin de cinq jeux différents.

— Rien que ça, siffla le rocker : et si vos placements se révèlent perdants, vous disparaissez dans la nature sans restituer les fonds ? »

Marc se permit un sourire : « Impossible. Il faudrait que le système financier tout entier soit en faillite. »

Le voyou se frotta le menton. Il venait de prendre sa décision : « J’ai un ami qui peut vous faire cela. Mais c’est cher… Cinquante mille francs. »

Marc se crispa : « Il me semblait que le prix était plutôt de trois mille francs par jeux de faux papiers, quinze mille au total.

— Et bien ce n’est pas le cas ici. »

Marc écarta les bras : « Je n’ai pas cet argent.

— Dans ce cas, au revoir.

— Écoutez. J’ai vingt-cinq mille, c’est tout ce que j’ai ! »

Le rocker resta impassible.

« Et si je vous paye le reste après mes premiers bénéfices ?

— Pour cela il faudrait qu’on soit certain de vous retrouver.

— Je peux vous donner mon nom, mon adresse. Vous pourrez vérifier.

— OK. Mais cela sera cent mille francs, dont vingt-cinq mille, tout de suite.

Marc hésita. La somme était exorbitante.

« Pour cette somme, je veux aussi avoir deux jeux de papiers pour aller ouvrir un compte en Suisse. »

Un léger voile passa devant le regard du rocker. Le jeune homme devait être sur un gros coup. Il faudrait le surveiller. Il lui ordonna de revenir le lendemain : « À 19 h, Place de la République, avec le fric. Vous me demanderez auprès du groupe sous le premier pilier, à l’extérieur de la station de métro.

— Je demande qui ?

— Julot. »

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