Le caméraman

4 minutes de lecture

Image, élaboration.

Scénario, réalisation.

Lumière, projection.

Que manque-t-il ?

La diffusion.

Une simple fleur arriva au bureau du lieutenant Lyster.

Un chrysanthème, magnifique, unique, écarlate.

Son nom signifie "fleur d'or" et c'est le symbole des condoléances en France.

Elle signifie l'hommage, le respect, l'immortalité, le souvenir...

Elle signifie le soutien, l'amitié, le courage, l'espoir...

En France !

Car ailleurs, elle est une fleur de joie et de bonheur.

En France, elle est une fleur associée à la tristesse et au deuil.

Cette fleur n'arriva pas seule.

Elle était accompagnée d'un DVD.

Et toute la brigade le regarda.

Estomaquée.

Ce fut le premier DVD d'une longue série.

Il était intitulé le Train...

Ceux qui suivirent portaient des titres simples comme l'Autoroute, l'Incendie, l'Attentat...

Et enfin...

Il y eut l'Accident...

Et toute la brigade le regarda.

Dans le bureau du lieutenant Lyster, il n'y avait plus rien qui venait d'elle.

Le mur avait été repeint et l'image de Ghost fut recouverte d'un blanc soyeux.

Le bureau avait été déplacé et les vitres soigneusement vérifiées.

Pas de volets qui claquaient.

De toute façon, le vent ne soufflait plus et le monde était silencieux.

" Comment ce salopard a-t-il pu filmer tout cela ?, s'énervait Adrien Maillard, les yeux pâles des nuits sans sommeil et des larmes effacées.

- Un drône !, tentait le nouveau lieutenant en charge de l'affaire, Marc Pelletier.

- A-t-on vu un drône à proximité du métro ?

- Non, mais tu n'es pas chargé de cette affaire, Adrien ! Fous le camp ou je fais un rapport sur toi à la direction."

Porte fermée et fin de non-recevoir.

Adrien Maillard était trop proche de l'affaire, trop proche de la victime, trop proche de perdre la tête.

Psychologue, dépression, médicaments, repos forcé...

Il s'enfonçait dans sa propre nuit.

Mais les images de l'Accident tournaient en boucle dans sa tête.

" Nous avons examiné votre dossier, il est excellent, Mlle Traoré. Mais au regard des récents événements, il nous a semblé mieux pour vous de vous déplacer dans un autre service.

- Un autre service, monsieur ?, demanda en souriant Mlle Traoré.

- La mort tragique de votre lieutenant nous a tous marqués. Vous ne pouvez pas travailler sereinement dans de telles conditions."

Ils étaient gentils, ils ne voulaient que son bien-être et Fatou Traoré apprécia le geste.

" Si un policier ne peut pas supporter la mort d'un collègue, peut-il légitiment supporter la pression du métier ?"

Fatou souriait et secouait ses tresses dont les perles s'entrechoquaient.

" Certes. Mais là c'est différent...

- Ha ? En quoi ?," demanda la jeune femme, dure et sûre d'elle.

Nouveau lieutenant.

Marc Pelletier accepta de prendre la suite de Lyster et il devint le chef de stage de la jeune Fatou Traoré.

Fatou entra dans le bureau et avisa la nouvelle peinture.

Plus de Ghost.

De toute façon, il n'y avait plus de Ghost...

Fatou Traoré vit l'Accident, puis les autres titres de la série. Le tueur obtint son surnom : le Caméraman.

Un merveilleux coup de com !

Bouquet de myosotis, symbole du souvenir, symbole de l'absence et de la séparation.

Bouquet de myosotis, symbole du deuil et de l'amour.

Pour ne pas oublier...

Et pour rester attentif...

" Un drône ! Il n'y a pas eu de drône de remarqué ! Dans le métro, tu penses bien !

- Comment a-t-il pu filmer l'attentat ? Comment est-ce possible ? Marc !

- Adrien ! Je cherche. Qu'est-ce que tu crois ?

- Et les caméras de surveillance ?

- On est pas dans un film.

- COMMENT CE SALOPARD A PU FILMER L'ATTENTAT DU METRO ?

- ADRIEN ! FOUS-MOI LE CAMP !"

Mise au point, repos forcé, psychiatre, interdiction de paraître à la Préfecture.

Dépression profonde.

Adrien était trop loin maintenant.

Mais il pensait à son fils, à sa fille, à sa femme...

Puis une lumière apparut dans la salle des Archives.

Quelqu'un alluma la lampe et descendit les marches.

Et doucement, cette personne déposa un DVD sur la table toujours aussi chargée de rapports que personne ne lisait.

" Il faut aider Adrien," mumura dans le silence hostile cette femme courageuse et désespérée.

Rien ne se passa.

Fatou Traoré se fâcha et répéta :

" Il faut aider Adrien !"

Quelque chose s'approcha et la salle devint plus froide qu'un tombeau.

Une voix se mit à parler :

" DEHORS !

- Adrien a besoin d'aide ! INSPECTEUR !

- Ce n'est pas mon problème ! Vos petites histoires de vivants ne me concernent pas !

- INSPECTEUR ! Avez-vous vu ce DVD ?"

Un long, très long silence et la voix reprit, brisée et méconnaissable :

" JE N'AI JAMAIS RIEN DEMANDE ! JE VOULAIS RESTER EN PAIX !

- Inspecteur ! Il a tué Sylvie, il va réussir à tuer Adrien. Il a tué des dizaines de personnes et il est libre.

- LA PAIX !"

Fatou s'approcha de l'ombre et tout à coup la table fut vidée d'un violent coup de vent. Les rapports tombèrent sur le sol et leurs reliures se brisèrent.

Fatou fronça les sourcils et secoua la tête, désolée.

" La paix, répéta le policier, la paix. Je ne veux rien d'autre...

- Il a filmé l'accident de Sylvie, inspecteur.

- La paix...

- Inspecteur...

- Je n'ai rien pu faire. Je l'ai retrouvée. Sur la route. Je n'ai pas réussi à la ranimer. Je..."

Lentement, doucement, la silhouette du fantôme apparut dans la lumière froide de la salle des Archives.

Fatou Traoré vit son visage et fut saisie.

Les yeux du policier étaient noirs et profonds. Des lacs d'onyx.

" Elle est morte, inspecteur. Mais son accident n'est pas un accident. Ce salopard l'a tuée. Vous entendez ?

- Et la môme... Elle...elle est morte devant moi...

- Adrien aussi, si on ne fait rien ! Inspecteur !

- Je suis désolé. Je n'ai rien pu faire."

La silhouette allait disparaître mais Fatou Traoré était une femme courageuse. Elle se jeta sur le fantôme et lui saisit le bras.

Froid, glacé, douloureux.

" Non, mais vous pouvez faire quelque chose maintenant ! Ce salaud envoie des vidéos et des fleurs pour Sylvie ! Il se fout d'elle et de nous !"

Le contact, les mots, la colère ranimèrent l'inspecteur qui se redressa et foudroya des yeux la jeune femme.

" Il se fout d'elle ?

- Oui. Inspecteur. Nous avons reçu plusieurs chrysanthèmes.

- Il a filmé l'accident, tu as dit ?

- Oui, inspecteur. Et pas seulement, il a filmé tous ces crimes. Le train, l'autoroute, l'incendie, le métro... Tout !

- Montre-moi ça," ordonna l'inspecteur en serrant les poings.

Figurants, synchronisation.

Montage, composition.

Décor, surimpression.

Que manque-t-il ?

La distribution.

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