Torquemada

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" Les pinces ?

- Oui.

- Les fers rougis ?

- Oui.

- Les griffes de chat ?

- Oui.

- Bien ! Que la question commence !"

L'inspecteur décédé regardait le corps de la femme suppliciée et là, il fut horrifié.

De vieux souvenirs lui venaient et il se cacha les yeux.

Pour ne plus voir.

Le passé se mêlait au présent.

" Que s'est-il passé ici ?, s'écria le lieutenant Lyster.

- Les Chauffeurs sont venus, murmura le policier vieux de deux cents ans.

- Les Chauffeurs ?

- Les Chauffeurs du Santerre."

" Vous avez refusé le Décret de grâce, vous avez fait l'objet d'une Citation individuelle. Qu'avez-vous à en dire ?

- Vous êtes des MALADES ! J'ai RIEN fait !

- Jurer sur les Evangiles de révéler tout ce que vous savez et reconnaissez vos erreurs. Ainsi, vous ne serez que fouettée et vous pourrez partir librement !

- ALLEZ VOUS FAIRE FOUTRE !"

Courageusement, la femme cracha sur l'homme vêtu de sa longue aube blanche et noire.

L'homme sourit et lança simplement :

" Que la procédure commence ! L'accusée a refusé de prêter serment...et d'avouer."

" J'ai connu des criminels prêts à tout. J'ai vu les morts et les victimes. Je ne peux pas dire ce que j'ai vu de pire.

- Le rabot sera mon pire cauchemar, murmura Lyster en secouant ses cheveux noirs coiffés en catogan.

- Peut-être. Mais moi, j'ai connu...les Chauffeurs du Santerre...

- Qu'est-ce que c'était Ghost ?

- Des voleurs et des assassins."

Succinct !

En fouillant sur le Net, Lyster apprit ce qu'était les Chauffeurs du Santerre. Une troupe de brigands, de voleurs et d'assassins vivait en Picardie. Ils attaquaient les fermes et se livraient aux pires tortures pour faire parler leurs victimes. Chauffer les pieds, violer, briser les membres... Leur chef était une femme, Prudence Pezé, surnommée la Louve de Rainecourt. Vidocq, le chef de la Sûreté, fut dépêché sur place et la bande fut arrêtée. Vidocq s'était infiltré.

Ils furent guillotinés à Rosières-en-Santerre, leur fief, le 17 octobre 1821.

" Tu as participé à cette enquête, Ghost ?

- Oui, j'étais parmi les hommes de Vidocq ! J'ai inflitré leur groupe et j'ai vu..."

Là, le policier se tut. Il était un ancien mouchard. Dans une autre vie, il était plus mouchard que policier.

" Ghost !"

Mais la silhouette disparut dans la lumière hivernale.

" J'ai vu...et j'ai dû...

- Une autre époque Ghost !"

" La question se fera sous les trois formes : l'eau, la poutre et le feu. Avez-vous quelque chose à dire, accusée ?

- Pourquoi je suis ici ? Pourquoi ?

- Commençons par l'eau."

................................

" La femme a été odieusement torturée, Ghost. Il faut faire quelque chose !"

Lyster parlait aux murs de la salle d'Archives.

" GHOST ! SORS DE TON PUTAIN DE TROU !"

Là, elle eut peur.

Tout à coup.

Une peur instinctive.

Les portes se fermèrent, les lumières vacillèrent et les rapports tombèrent tous de leur emplacement. Un nuage de poussière se leva dans la petite salle des Archives et le vent se fit glacial.

" Ghost, s'il te plaît...

- J'ai dû me taire...j'ai dû AGIR !

- Une autre époque, Ghost."

Le vent tourbillonnait et un rapport la frappa au visage, coupant la peau et Lyster frotta le sang sur sa joue.

" GHOST ! La victime avait dix-huit ans !

- J'ai fermé les yeux et tu sais ce que j'ai fait ?

- Ghost, s'il te plaît !

- J'ai été heureux de leur tirer une balle en pleine gueule ! Je ne suis pas meilleur qu'eux !

- Les temps étaient différents, aujourd'hui, les policiers ont des règles et ils...

- Ne me parle pas comme si j'étais un DEMEURE ! IL N'Y A PAS DE REDEMPTION ! J'ai tué et j'ai condamné, je me suis cru meilleur qu'eux et je suis peut-être pire !

- Non, Ghost ! Non ! Tu n'es pas pire ! Regarde !"

Le silence se fit lourd et la poussière retomba lentement.

" Ghost, tu es là. Tu n'es pas pire.

- Peut-être...justement, je suis là parce que je suis pire qu'eux.

- Alors, où devrais-tu être ?

- Ailleurs... Je me suis tué."

La colère revint et Lyster la ressentit. Violente, profonde, terrifiante.

Mais pas tournée contre elle.

C'était une colère tournée contre soi-même.

Ghost était fou en fait.

" Au terme de la question, l'accusée n'ayant rien avoué, la sentence est exécutoire. L'accusée a-t-elle quelque chose à ajouter ?"

Il n'y avait plus rien à ajouter.

L'accusée était plus morte que vive.

" Alors que l'accusée fasse pénitence."

Pénitence ?

Elle mourut dans l'heure et le verdict fut bien rendu."

" Une autre victime ? Merde !," fit Lyster devant le cadavre aussi maltraité que le premier.

Une autre jeune femme.

Odieusement torturée. Brûlée, la peau arrachée par lambeaux sur le ventre et le dos, elle avait l'estomac rempli d'eau et ses articulations avaient été fortement étirées.

Une horrible torture.

Ce fut ce qui fit réfléchir enfin les policiers.

On revit le premier dossier.

" L'Inquisition ?, fit Adrien Maillard en faisant le point sur les blessures des deux victimes.

- L'Inquisition ?, répéta Lyster.

- Oui ! Et on le sait grâce à ça !"

Maillard montra les larges blessures sur le ventre et la poitrine.

" Qu'est-ce que c'est ?

- On voit des griffures le long du corps.

- Oui, je vois, claqua Lyster, agacée et horrifiée.

- Ce sont les griffes du chat. Un instrument de torture constitué de longues perches munies de crochets ou de râteaux à son extrémité, avec des griffes de métal.

- Seigneur ! Stop, je crois que j'ai saisi l'image.

- La victime était ligotée et on lui arrachait la peau avec les griffes.

- J'AI COMPRIS ! Maintenant, ce qui m'intéresse c'est qui et pourquoi ?

- Quel est le point commun entre les victimes ?, demanda l'inspecteur fantôme. Elles sont mortes, condamnées par le même tribunal. Alors, elles ont forcément enfreint une règle.

- Une règle, tu parles !, jeta méprisamment Lyster.

- Une règle aux yeux de ceux qui rejouent l'Inquisition !"

Lyster comprit qu'elle devait être douce avec son collègue et ami. Ghost était fragilisé et à deux doigts de s'évanouir dans le néant.

" Un point commun entre les victimes ?, demanda le lieutenant à son petit-ami.

- Des lesbiennes ?"

L'inspecteur et le lieutenant se regardèrent et le même sourire apparut sur leurs lèvres.

" On va se faire des anti-LGBT ?, lança Adrien.

- Je t'aime, mon chéri, ajouta Lyster.

- Concentrons-nous sur les lieux où ces pauvres femmes ont rencontré leur bourreau," jeta durement l'inspecteur.

" PUTAIN DE CONNARDS, JE N'AI RIEN FAIT !

- Si ! La pédérastie et la sodomie sont des péchés au regard de Dieu !

- Je t'emmerde !

- L'accusé ne fait preuve d'aucun remords ni d'aucune volonté de se repentir de ses crimes.

- CONNARD !"

Pinces, poutre, berceau de Judas et les griffes de chat...embarras du choix.

En tout cas, la mort de l'accusé prouva la véracité du jugement."

" Un homosexuel ?, murmura l'inspecteur fantôme en examinant le corps d'un homme cette fois-ci, aussi martyrisé que les autres.

- Nous avons des tueurs homophobes, Ghost, fit Lyster, désolée.

- Nous n'avons aucune piste, ajouta Maillard, dépité.

- Et les griffes de chat ? Cela se trouve facilement ? On a eu notre tueur avec ses griffes du diable, cela doit être pareil ici, non ?

- Pourquoi pas ?"

On enquêta sur les milieux universitaires pour en connaître davantage. Les tueurs s'inspiraient vraisemblablement des méthodes de torture de l'Inquisition.

Mais surtout des préjugés qui existaient contre ce tribunal né au Moyen Age et disparu sous Napoléon.

" Vous savez l'Inquisition a duré cinq siècles et ne compte réellement que 3000 véritables condamnations à mort durant cette période, expliqua le professeur de la Sorbonne à la jeune policière venue l'interroger.

- Seulement ?

- Pour toute l'Europe, oui. La plupart des procès se déroulaient sans torture et sans condamnations à mort. En fait, l'Inquisition était un tribunal comme les autres au Moyen Age et durant l'époque Moderne.

- Mais alors ?

- Alors, on en a fait une bête noire avec les Réformes protestantes et la déchristianisation des XVIIIe et XIXe siècles. On a aussi retrouvé le personnage de Jeanne d'Arc et cela a permis aux anticléricaux de noircir davantage l'image de l'Eglise.

- Pourtant, il y a bien eu des procès et des bûchers...

- Oui ! Je ne le nie pas ! Mais ces instruments de torture exposés dans les musées et ces histoires de village jeté au feu. Ce sont des exagérations modernes. Ce qui n'enlève pas l'horreur de l'Inquisition et les morts, et la torture.

- Torquemada ?

- Les Grands Inquisiteurs ont existé et ont inventé des Manuels pour expliquer l'art de questionner et de manipuler. Mais les avez-vous lus ?

- Non.

- Ce sont des manuels d'interrogatoire, pas des manuels de torture. Seulement, il y eut des inquisiteurs cruels et vicieux. Ils ont même été condamnés par leur propre Eglise, comme Diego Rodriguez Lucero...

- Ce sont des imitateurs qui n'y connaissent rien ?

- Oui. Pas de griffes de chat ou de Vierge de fer. On pouvait faire appel et de toute façon, il suffisait d'avouer pour s'en sortir libre. Songez à Galilée.

- Oui, mais il y eut aussi Giordano Bruno.

- Oui, mais il refusa d'abjurer..."

Des imitateurs ?

Il suffit d'aller dans les lieux de rencontre des jeunes homosexuels et lesbiennes qui furent assassinés. Il suffit de jouer quelques soirs les séducteurs et séductrices.

Lyster, les cheveux colorés en bleu métallique, souriait tandis qu'un homme, pâle et souriant, lui parlait de Dieu et de la Rédemption.

Elle riait mais la policière ne riait pas.

Adrien, habillé simplement d'une veste de cuir et d'un sourire bienveillant, toisa l'inconnu et s'assit avec lui.

De discussion en discussion, l'homme proposa un dernier verre.

Adrien accepta et la mission se poursuivit dans la rue.

" Ghost ! Protège-le !, lança la jeune femme, effrayée pour son petit ami.

- Ne t'en fais pas pour ton micheton, la môme."

Elle fut tellement heureuse de savoir que dans les pas d'Adrien, il y avait les pas d'un policier fantomatique et prêt à tout.

Adrien ne souffrit pas, il n'en eut pas le temps.

Mais il ne comprit pas.

Comment l'Inquisiteur dans sa robe de moine de pacotille, blanche et noire, se tordait de douleur.

Alors que personne ne le touchait.

Puis ce fut l'hallali.

Et Adrien comprit encore moins.

Comment les chaînes tombèrent de ses poignets.

Un miracle ?

Plus tard, devant " Le Nom de la Rose", Adrien et Sylvie savouraient une bière et une pizza.

Midnight trônait sur la table, le nez devant le canapé vide.

Adrien demanda tout à coup à sa petite amie :

" Et si tu me parlais de Ghost ?"

Le vent qui le saisit tout à coup le prit par surprise et les volets claquèrent.

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