Monsieur Bricolage...et madame ?

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La haine !

Savez-vous vraiment ce qu'est la haine ?

Moi, je sais !

La haine est un animal qui s'installe dans votre âme et peu à peu la dévore entièrement.

La haine !

On ne peut pas passer un instant sans l'avoir à l'esprit.

L'autre !

Le motif de la haine !

Alors...

Advienne que pourra !

Les policiers avaient pâli. Tous !

Certains avaient même vomi.

Le lieutenant Sylvie Lyster fut de ceux-là.

Sans honte.

L'inspecteur fantôme ne pouvait plus vomir, honnêtement, il n'aurait pas pensé le faire s'il avait été encore en vie. Mais il avait connu une époque sordide, il avait vu des hommes et des femmes massacrés et brisés.

Les horreurs de la guerre.

Les tragédies des villages martyrs.

Le spectre de la famine et celui de la guerre civile.

Des noms se chevauchaient mais il avait vu.

Les colonnes infernales dévastant la Vendée et les troupes des divisions SS Das Reich martyrisant des villages entiers !

Pas d'amalgame ! Surtout pas ! Ce n'était pas la même chose, pas la même époque, pas les mêmes motifs, pas les mêmes hommes...

Oui, certes, mais qu'en était-il du résultat ?

Alors les policiers avaient pâli et certains avaient vomi. Jeunes qu'ils étaient, au regard des deux cents ans qu'avait connus l'inspecteur.

" Parfois, tu sais, la môme, fit le policier en faisant voler discrètement un mouchoir vers elle, je voudrais ne pas avoir raté mon suicide.

- Pourquoi donc Ghost ?, murmura la jeune femme en s'essuyant la bouche avec ardeur.

- J'ai déjà vu des choses comme ça et ma mémoire en est saturée.

- Tu as déjà vu des choses comme ça ?! Ghost ! Comme ça ?

- Oui, la môme."

Les yeux du fantôme étaient clairs mais parfois ils s'assombrissaient et devenaient morts.

" Alors oui. Je comprends l'idée," accepta Lyster.

La haine !

Comment la haine s'entretient ?

Ha ! Je sais !

La haine, c'est un sentiment qui ne vient pas du jour au lendemain.

Surtout quand elle touche quelqu'un de bon. De banal.

J'étais quelqu'un de banal. Une femme, une épouse, une veuve, une mère.

Aujourd'hui, je ne suis rien.

La haine !

Je n'ai plus que ça à l'esprit.

Faire souffrir l'autre !

Autant qu'il m'a fait souffrir !

Alors...

La haine s'en ira !

L'employé de la Morgue examina le corps. Ce qu'il en restait. Et restait saisi, lui aussi.

" Seule une haine terrible peut pousser à commettre un tel...acte..., murmura l'employé en regardant le lieutenant.

- Oui. Une haine !

- Un fou, souffla l'inspecteur visible qu'aux yeux de Lyster.

- Oui. Un fou !, répéta Lyster.

L'employé la regarda et ajouta :

" Oui, il devait être fou celui qui a fait ça. Un fou furieux.

- Comment trouver un fou ?, reprit l'inspecteur posté devant la table d'autopsie.

- Je ne sais pas," répondit Lyster.

Et cette fois, l'employé la regarda bizarrement.

" La victime s'appelle Léo Dornet. C'est un menuisier employé dans la société Mabeuf. Un bon menuisier, marié et deux enfants. Pas d'antécédent judiciaire."

Lyster claqua le rapport sur son bureau, pour ne pas contempler plus longtemps les photographies atroces du corps.

" Il y avait certainement une histoire dans sa vie, fit l'inspecteur. On l'a tué par haine."

Lyster glissa ses mains dans ses cheveux, un joli carré de cheveux blonds.

" Adrien m'a demandé de nouveau ma main," lança tout à coup le lieutenant.

Le silence lui répondit.

" Je vais refuser, encore, et peut-être demander ma mutation. Je ne peux pas continuer de travailler avec un ex.

- Tu ne l'aimes pas le godelureau ?

- Si. Mais pas au point de me coincer avec lui. Il m'aime qu'il me dit et ne peut pas supporter de ne pas me savoir sa femme."

L'inspecteur leva les mains et regarda sa collègue en souriant tristement :

" Je peux pas te conseiller, la môme. Je n'ai jamais été marié et je n'ai jamais eu personne dans ma vie."

Cela intéressa la policière qui fut heureuse d'oublier les atrocités du jour le temps d'interroger son ami le fantôme des archives.

" Non ? Personne ? Ni femme, ni...homme ?"

L'inspecteur tira sur ses favoris et se mit à rire :

" Tu oublies l'époque d'où je viens, la môme. Un inverti de mon temps ne finissait plus en prison ou condamné à mort, mais il était mis au ban de la société.

- Dans certains pays, c'est encore le cas, souffla Lyster, désolée.

- Pas de femme, pas d'homme. Pas d'animaux."

Lyster rit nerveusement et demanda :

" A quoi c'est dû ? Tu étais flic, tu avais la santé et un salaire décent ! Alors ?

- On va dire que ma personnalité flamboyante n'est pas propice à l'attachement sentimental.

- Ghost ! Tu vas me dire que c'était parce que tu étais une tête de bite ?"

Le fantôme leva les yeux au ciel et répondit :

" On va dire ça. Oui."

Lyster rit et conclut :

" Rassure-toi, tu es toujours un connard quand tu t'y mets !"

Les stylos volèrent dans la pièce, ainsi que les rapports et les dossiers, puis le lieutenant descendit de sa chaise tandis que le fantôme la faisait léviter.

" Fichu caractère !, se moqua Lyster. Tu m'étonnes que tu sois resté seul toute ta vie !"

La haine !

Pourquoi la haine apparaît-elle ?

Hélas, je connais !

La haine vient quand il se passe un drame.

Quelque chose se brise en nous et la haine se développe.

Au départ, on est quelqu'un de normal, puis on devient un monstre.

Moi, j'étais une mère aimante, aujourd'hui, je suis un objet d'horreur.

La haine !

Même moi, je me fais peur.

Mais l'autre !

L'autre a eu si peur de moi !

Alors...

Je me pardonne toute cette haine !

Madame Dornet parla de son mari, un homme doux et calme. Un peu buveur parfois, un peu sexiste. Il refusait d'aider à la maison, il estimait que ce n'était pas son rôle.

C'était son épouse qui gérait la maison et les enfants. Le mari était menuisier et il se chargeait du bricolage et du jardin.

Bref, un homme qui n'avait pas vu la société changer et les mentalités évoluer.

Mais il restait un bon mari.

Monsieur Mabeuf évoqua un employé modèle. Travailleur et efficace. Un peu grande gueule et un humour atroce. Il se moquait des employés fils d'immigrés et des stagiaires en des termes mal choisis. Voire franchement insultants.

Bref, un homme qui n'avait pas vu les lois changer et les discriminations être interdites.

Mais il restait un bon employé.

Les collègues de Dornet insistèrent surtout sur l'homme et sa suffisance. Un bon employé mais pas forcément un bon collègue. Trop grande gueule et dont l'humour était trop lourd.

Puis le prénom de Laly fut évoqué. Et les employés baissèrent la tête, gênés.

" Laly ?, répéta le lieutenant Lyster.

- Une jeune menuisière. Elle faisait son apprentissage par contrat en alternance ici, expliqua l'un des employés.

- Que s'est-il passé ?," demanda Lyster.

Le jeune employé qui avait parlé de Laly leva la tête pour regarder la policière. C'était un jeune homme de couleur, et sa peau sombre lui avait valu les moqueries incessantes de ce connard de Dornet.

La haine !

Comment mettre fin à la haine ?

Je l'apprends enfin !

Pour se débarrasser de la haine, il faut anéantir l'objet dont elle s'occupe.

Donc il faut détruire ce qu'on hait.

J'étais quelqu'un de banal et je suis devenue une meurtrière.

Mais j'ai tenu longtemps !

La haine !

Elle m'a détruit peu à peu l'esprit.

Se venger de ce qu'il a fait à ma fille !

Et ressentir enfin la paix !

Alors...

Je serais libérée !

Une jeune femme qui avait eu le courage de choisir la voie professionnelle du BTP.

Une jeune femme sérieuse et travailleuse qui avait trouvé toute seule un patron.

Une jeune femme, jolie et sympathique.

Ce fut ce qui la perdit.

Car les plaisanteries sexistes cela use.

Longtemps.

On ne les prend jamais vraiment avec le sourire.

Réellement.

Le jeune homme noir souriait en disant cela. Il avait connu Dornet mais il en avait connu d'autres avant lui.

Laly n'avait pas connu cela. Elle avait découvert la discrimination et le harcèlement moral. Sexuel.

Bien sûr, elle avait été un peu moquée au lycée...mais jamais dans ces proportions.

Dornet était un connard et tous les jours, il se moquait.

Tous les jours. Et cela faisait rire les collègues. Tous les jours.

Sauf le jeune Jeason.

Car Jeason connaissait le système et savait que, sans réponse en face, la situation allait s'envenimer.

Laly était gentille et douce.

Elle répondait aux remarques par un rire et un sourire.

Puis, elle se mit à répondre par la colère.

Ce qui amusait encore plus Dornet et l'incita à poursuivre le jeu.

Car c'était un jeu, n'est-ce pas ?

Juste des plaisanteries.

La haine !

Savez-vous que la haine ne s'arrête pas ?

Moi, je sais !

La haine, c'est un sentiment qui ne s'arrête pas du jour au lendemain.

Surtout quand elle concerne quelque chose ou quelqu'un qui nous tient à coeur.

J'étais une mère et j'avais une fille merveilleuse.

Je l'ai vue dépérir. Je l'ai vue devenir dépressive. Je l'ai vue s'éteindre.

La haine !

Je n'arrive pas à l'oublier.

Même mort, l'autre reste !

Il continue à me faire souffrir !

Alors...

La haine s'evenime !

" Laly s'est suicidée le jeudi 15 mars 2015. On l'a retrouvée pendue dans le garage de sa mère, fit la policière après avoir exhumé ce vieux rapport.

- 6 ans ? Cela fait vieux comme affaire, rétorqua l'inspecteur en s'amusant à faire voler les grands Codes de Loi édités par Dalloz.

- 6 ans... Oui...

- Je serais curieux de parler à la mère, sourit l'inspecteur.

- Tu lis dans mes pensées, Ghost ?

- Non, je crois que tu as le même esprit que moi.

- Merde !, se moqua Lyster. Pauvre Adrien ! Je dois encore moins l'épouser !"

Un rire complice. Même s'il restait ce souci d'ordre privé à régler car il envenimait la situation à la brigade.

La mère ?

Quelle mère ?

La femme n'avait pas cinquante ans et paraissait si vieille.

Elle portait les traces des nuits sans sommeil et l'alcool était mal masqué dans son odeur. Le parfum et les bains de bouche cachaient mal l'odeur de vin bon marché.

" Vous cherchez quelque chose ?, demanda la mère de Laly, fatiguée et vaincue.

- Qu'avez-vous à dire sur M. Léo Dornet ?"

La haine a un tort.

Elle se cache mal.

Une seule question suffit à obtenir les aveux de la coupable.

Non pas que la mère de Laly avoua immédiatement mais ses yeux étincelèrent de rage et elle se perdit dans des rires et des cris de folie concernant la vie et la mort de Dornet.

Une mort affreuse !

Une vie affreuse !

Il ne méritait pas de vivre !

" Il a dit à ma fille de lui sucer la bite, un soir, sinon il allait saloper son rapport de stage ! Vous vous rendez compte ? Et il l'a fait tous les jours pendant des...des semaines...DES MOIS ! Je ne le savais pas, moi ! Laly...Laly ne m'a rien dit. Un jour...un jour, elle s'est pendue...et j'ai lu...sa lettre...

- Pourquoi ne pas l'avoir dit à la police, madame ?, essaya Lyster.

- Parce que...Parce qu'il s'en serait sorti. Je...je voulais pardonner... Je n'ai pas pu..."

Alors, les années passèrent et la haine s'envenima.

Chaque jour, la mère de Laly passa devant l'atelier de menuiserie.

Parfois, elle voyait Dornet.

Parfois, elle ne le voyait pas.

Puis, un jour, elle le vit avec un enfant et comprit que sa vie à lui se continuait. Sans souci. Sans même une pensée pour celle qu'il avait brisée.

Alors, la haine devint folie furieuse.

La mère de Laly se fit cliente.

Puis elle se fit meurtrière.

Pire ! Elle se fit bourreau.

Un piège, un rendez-vous, un piège, un rabot. Qui avait appris à Laly à manier des outils ?

Ce fut sa mère !

La suite, les policiers la virent et tous en ont pâli. Certains en ont vomi.

Le lieutenant Lyster fut de ceux-là.

" Orgueil & Préjugés & Zombies", c'est une blague ?, lança l'inspecteur en voyant la pochette du DVD sur la table basse du salon.

- Une romance pour vous, mon cher Ghost ! Une femme et un homme tombent amoureux en pleine attaque de zombies.

- C'est ridicule !

- Après " Summer Storm".

- Une autre romance ?, renifla le vieux policier avec dégoût.

- Oui, mais cette fois, homosexuelle. Deux hommes tombent amoureux en pleine tempête."

L'inspecteur ferma la bouche sans savoir quoi répondre. Midnight retrouva sa place devant lui.

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