Anti-limace et anti-nuisible

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" Madame, il faut ramoner régulièrement la cheminée. Et la faire tuber. Il faut le faire, madame. Sinon, vous risquez un incendie.

- Oui, mais c'est cher.

- Pas de souci, madame. Nous offrons le paiement en plusieurs fois."

Un sourire, si gentil et le vendeur conclut :

" Vous pouvez me faire confiance, madame."

Et elle fit confiance.

" Mais qu'est-ce qui s'est passé ici ?," s'étonna le jeune inspecteur en regardant autour de lui avec dégoût.

Son collègue se frotta les favoris et se mit à siffler, admiratif.

" Je n'ai pas vu cela depuis longtemps.

- Longtemps ?

- Très...longtemps..."

Il se mit à rire.

Pourtant, il n'y avait pas de quoi rire. Le corps du mort était tordu dans une position grotesque et autour de lui se trouvaient des traces de vomissements.

L'odeur était insoutenable.

Des vomissements à n'en plus finir.

" Un empoisonnement ?, demanda Rivette, qui commençait à en avoir l'habitude.

- Mhmmm. Vous apprenez enfin.

- Qui dit empoisonnement dit substance mortifère.

- Un parfait petit avocat en criminelle ! Je suis impressionné, inspecteur.

- N'est-ce-pas ?"

Rivette s'approcha du corps et l'examina.

Son collègue, décédé et pourtant toujours présent, examinait la pièce. La chambre, la fenêtre, les livres...puis il entra dans la salle de bain attenante.

Rivette remarqua une chose. Une chose qu'il aurait dû remarquer depuis un an. Son collègue passait par les portes ouvertes mais il n'ouvrait jamais les portes fermées.

Le pouvait-il ?

Le médecin légiste s'approcha de Rivette et le fit sursauter.

" Regardez, inspecteur. La victime a eu des crampes et des vomissements."

Rivette eut envie de répondre à la manière de son collègue : "ha bon ?", mais il hocha la tête, approbateur.

" Il faudrait une autopsie mais je peux déjà vous assurer que c'est un empoisonnement."

Là, il ne put s'empêcher de répondre, moqueur :

" Non ?"

Ce qui lui valut un regard noir de la part du médecin et un rire amusé de son collègue mort.

" Madame, mais vous vous rendez compte ? Vous avez une vieille cuisinière ! Comment pouvez-vous cuisiner ainsi ? Il vous faut une nouvelle cuisine, madame.

- Mais je cuisine si peu, monsieur. Je n'ai pas besoin de...

- Ha ! Je sais, madame. Il vous faut un multicuiseur électrique ! Vous savez les XXX.

- Mais cela ne me servirait à rien, mon pauvre monsieur, je cuisine si peu et...

- Justement, madame ! Vous cuisinerez encore moins ! Tenez, regardez la brochure !

- Houlà, mais c'est cher.

- Pas de souci, madame. Nous offrons le paiement en plusieurs fois."

Toujours le même sourire, si gentil, si sympathique, et le vendeur conclut :

" Vous pouvez me faire confiance, madame."

Et elle fit confiance.

" L'autopsie a évoqué un empoisonnement à...

- A l'anti-limace !, compléta le vieil inspecteur.

- Putain ! Tu fais chier quand même ! "

Le collègue riait et riait, les pieds posés sur le bureau.

" Depuis combien de temps tu le sais ?

- Depuis que je sais que le type prenait des antidouleurs et des antispasmodiques.

- Et quand pensais-tu me le dire ?

- Pourquoi ? Tu es pressé ?"

Un nouveau rire et Rivette attaqua de front son collègue insupportable :

" Tu peux ouvrir une porte ?"

Cela surprit le fantôme de policier qui répondit simplement :

" Oui.

- Pourquoi ne le fais-tu pas alors ?

- Tu vois une poignée de porte bouger toute seule ?

- Tu as mangé des coquillages au restaurant ! Devant le restaurateur. Comment est-ce possible ?

- Non, Rivette. Je n'ai mangé que devant toi. Lui ne me voyait pas.

- Il..."

Rivette essayait de se souvenir.

Peut-être après tout.

" Bon. Comment ce con a pu ingérer de l'anti-limace ?

- Un suicide ?, proposa le vieil inspecteur.

- On aurait une lettre."

L'homme haussa les épaules et se détourna de Rivette.

" Pas forcément, mais c'est possible, en effet."

Rivette regarda son collègue et le vit devenir transparent et disparaître d'un coup.

Il sortit un juron.

Ce n'était pas dans les habitudes de son collègue de l'abandonner en pleine enquête.

Rivette se lança dans la tâche ardue et pénible d'interroger les voisins, les amis, la famille, les collègues de la victime.

Suicide ou meurtre ?

Les voisins, les amis, la famille, les collègues tinrent le même discours, ou à peu près.

La victime était un homme charmant, un vendeur professionnel, spécialisé dans les articles ménagers et les produits pour la maison. Il était célibataire et avait quelques maîtresses. Un homme charmant et jeune et beau et sympathique.

Un tel homme pouvait-il se suicider ?

Non !

Ce fut la réponse unanime.

Son collègue le plus proche, un ami sincère, en pleura.

Non, Christian ne pouvait pas se suicider.

Non, non.

Mais alors ?

" Madame, vous avez un jardin splendide ! Mais quel malheur de ne pas pouvoir entretenir la pelouse plus facilement.

- J'ai si peu de pelouse, monsieur.

- Mais si, mais si, madame ! Regardez comme cela pourrait être bien plus joli avec une meilleure tonte.

- Mais je n'ai pas beaucoup de moyens, monsieur, et de toute façon, j'ai un voisin gentil, et...

- Justement ! Voici un robot de tonte, madame, et vous n'aurez plus besoin de demander à votre voisin.

- Mais c'est cher et le banquier m'a dit que...

- Pas de souci, madame. Nous offrons le paiement en plusieurs fois. Votre banquier ne vous refusera pas un petit coup de pouce. "

Il était si gentil, si souriant, si charmant, ce sympathique vendeur.

Il conclut :

" Vous pouvez me faire confiance, madame."

Et elle fit confiance.

" L'anti-limace vient des stocks du vendeur. Cela tendrait à prouver qu'il s'agit d'un suicide, tout de même.

- Des stocks ? Il n'a pas de jardin, le gonze, fit le policier plus âgé.

- Ses stocks de vente.

- Il vendait de l'anti-limace ?

- Non. Il l'offrait en cadeau.

- Il offrait de l'anti-limace ?"

Cela fit rire Rivette, malgré la gravité de la situation.

" Pour ceux qui achetaient un robot de tonte, il semblerait.

- Qui a acheté un robot de tonte dernièrement ?"

Rivette regarda son collègue et répondit :

" Je ne sais pas.

- Hé bien, il serait temps de commencer par là, cher inspecteur. Vous ne croyez pas ?"

Des noms. Mais sans intérêt.

Sauf une petite vieille dame.

Elle était surendettée, elle attendait de se faire chasser de sa maison, elle faisait le tour de ses voisins pour placer ses chats.

Elle fut reconnue par les voisins de la victime. Elle avait apporté des gâteaux et des tartes au si gentil vendeur.

Comment avait-elle su son adresse personnelle ?

Simplement, en demandant à son collègue.

Elle voulait faire une surprise au si gentil vendeur qui lui avait permis d'avoir toutes ces nouveautés qui avaient rendu sa vie plus facile.

" Madame, vous êtes trop gentille ! Une tarte au citron ? Mais quelle merveille ! Vous l'avez faite avec le multicuiseur ?

- Non. Je l'ai faite à l'ancienne, pour vous.

- Elle sent très bon. Et vous avez mis de la meringue ?

- Oui, monsieur."

Un sourire, si doux, si aimable. Une si gentille vieille dame.

Il eut un peu honte en y repensant.

" Vous savez...pour les frais... Nous pouvons en reparler, madame.

- Laissez, laissez. Mangez votre tarte, jeune homme.

- Vous me faites un beau cadeau. Merci madame, mais je vais grossir si je mange tout cela !

- Non, non. Vous pouvez vous permettre, ce ne sont que des bonnes choses.

- Vraiment ? Pas trop de crème ni de sucre ?"

Il la taquinait, gentiment et charmeur.

Elle lui sourit en concluant :

" Vous pouvez me faire confiance, monsieur."

Et il fit confiance.

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