Fumée et vieille voiture

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" J'aime beaucoup les vieux tacots. C'est un truc que j'aime. Je peux passer des heures à rafistoler un moteur ou remonter des bagnoles. Un vrai bonheur !"

" Mon Dieu !, s'écria Rivette en glissant un mouchoir devant son nez. OUVREZ ET AÉREZ ! On va crever."

A ses côtés, un rire amusé ponctua cette assertion.

L'imposant inspecteur, mort et décédé, ne risquait plus grand chose. Cela agaça Rivette qui alla lui-même ouvrir les portes du garage en grand.

" Ces idiots qui oublient d'aérer !"

L'inspecteur fit le tour du garage, examinant avec curiosité les deux magnifiques voitures anciennes qui prenaient la poussière sous les néons blafards.

" Une Vauxhall !, jeta le policier avec admiration. J'ai vu leur sortie en... J'oublie. 1900 et quelques... Avant la Grande Guerre."

Rivette s'approcha et regarda la voiture.

C'était une belle voiture, c'était juste.

" Il faut un fric fou pour entretenir de tels joujoux.

- N'est-ce-pas ? Et du temps !"

Rivette acquiesça, suivant son collègue jusqu'à la deuxième merveille.

" Une Peugeot. Dieu. J'ai vu ces voitures à l'exposition universelle de 1889 à Paris.

- C'est l'exposition de la Tour Eiffel ?, demanda Rivette, curieux.

- Oui."

Maintenant que le vieil inspecteur savait que son collègue connaissait sa situation, il évoquait parfois le passé.

Un passé de deux cents ans.

" J'aime beaucoup mes vieilles dames. Je m'en occupe, tout le temps. Je les bichonne et je les entretiens. Parfois, je les sors, mes dames et on est les rois de la route. Un vrai bonheur !"

" Comment est mort le gars ?," souffla Rivette en s'approchant ostensiblement du cadavre, laissé sur le sol.

Mais son collègue ne suivait pas. Il était hypnotisé par les voitures, il caressait les carrosseries, se rappelant de les avoir vues par le passé.

" 1889. 1889. Je n'aurais jamais dû voir cela, murmura le policier dont les favoris touffus prouvaient assez l'ancienne mode qu'il suivait encore.

- Il est mort étouffé, on dirait !, fit fermement Rivette. Il a dû s'asphyxier avec les gaz d'échappement.

- Oui, inspecteur !, approuva un des sergents, présent dans le garage et qui observait sans comprendre les déambulations de son supérieur.

- IL EST MORT ASPHYXIE !," claqua Rivette pour rappeler son collègue au présent.

Le grand inspecteur se tourna vers lui mais ses yeux n'étaient que sombres et noirs.

Morts.

Rivette frissonna.

" J'admets. J'aime peut-être un peu trop mes bagnoles. Je les bichonne, je les sors... Ma bourgeoise en peut plus des voitures. Elle m'a même menacé de divorce. Comme si elle pouvait ! Moi, j'aime mes voitures. Un vrai bonheur !"

" Je ne pense pas que ce soit cela, Rivette," asséna durement l'inspecteur, revenu à lui.

Rivette vit les yeux noirs redevenir clairs et reprendre vie. C'était fascinant !

" Mais alors... De quoi s'agit-il ?"

L'inspecteur fit un geste impérieux pour attirer son collègue à lui.

Les sergents et les autres policiers virent clairement l'inspecteur Rivette se lever avec un visage plein d'agacement visible et retourner près des voitures.

Comme un gamin rappelé par sa mère.

On ne comprenait pas l'inspecteur Rivette.

Il faisait peur.

" Quoi ?," claqua Rivette.

Le vieil inspecteur arborait un sourire suffisant, énervant à souhait.

" Je suppose que vous n'y connaissez rien en mécanique auto, Rivette.

- Non, veuillez m'en excuser !"

On voyait l'inspecteur Rivette faire des gestes agacés et nerveux, comme s'il parlait à quelqu'un. Mais il n'y avait personne.

" J'aime les bagnoles et la mécanique ! En ce moment, j'ai une voiture que j'aimerais acheter. Je vais le faire, mais elle est un peu chère. La bourgeoise refuse. La salope ! Mais tant pis ! Une Citroën traction avant ! De 1935 ! Un bijou ! Un vrai bonheur !"

" Savez-vous ce que c'est ?," demanda l'inspecteur décédé à son collègue bien vivant et énervé d'être traité en sous-fifre.

Sur une étagère, pleine de bricoles et de pièces mécaniques, il y avait une sorte de chaudière. Haute et noire, rouillée mais malgré tout en bon état.

Rivette était fâché par l'attitude cavalière de son collègue, mais il devait avouer qu'il ne savait pas.

" Un chauffe-eau ?

- Un gazogène !, répondit le policier en souriant.

- Un quoi ?

- Un gazogène est un appareil permettant d'alimenter des moteurs à explosion et des chaudières en charbon ou bois pour les faire fonctionner.

- Attendez, attendez ! Qu'est-ce que cela fait dans un garage ?

- Ha Rivette ! Vous n'avez pas connu la Seconde Guerre... Les rationnements et les restrictions. Les voitures fonctionnant au gazogène.

- Cela produit du gaz ?, demanda bêtement Rivette.

- Oui, Rivette.

- Au point d'asphyxier un homme ?

- Oui, Rivette. Dans un lieu clos. Oui."

" J'aime la mécanique ! Quand j'aurais la Traction avant, je vais l'équiper de mon gazogène et ce sera parfait ! Parfait ! Et merde pour la bourgeoise ! On fera un emprunt et hop ! Le tour est joué ! Un vrai bonheur !"

" Mais c'est un suicide, alors, fit Rivette, un peu perdu. Il devait savoir le danger que cela représentait... ou alors il se serait enfui...

- Sauf s'il était drogué. Et que quelqu'un a équipé la voiture.

- Équipé ?

- Il faut installer le gazogène et l'enlever.

- Mais qui aurait intérêt à faire cela à ce pauvre type ?"

Le policier leva les yeux et aperçut, perdue au-milieu des officiers en uniforme, une petite femme, desséchée et en larmes.

Une petite femme.

" Voyons, Rivette, et si nous réfléchissions un peu pour changer."

" J'aime les voitures ! Et j'aime ma femme ! Putain ! Elle est d'accord ! Elle a même décidé d'apprendre la mécanique avec moi ! Je ne comprends pas ! Mais je suis content ! On ira se promener ensemble sur les routes avec ma traction et des costumes d'époque. Un vrai bonheur !"

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