Serpent, araignée et mandragore

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" Merde ! Cela doit faire un mal de chien !

- Impressionnant, la nécrose ! Tu as vu ?

- Oui, impressionnant."

Et des rires cruels retentissaient dans l'air.

" On teste encore ?

- Il est mort !

- Merde ! Fais chier !

- On a qu'à choisir autre chose...

- Putain ! Tu as eu une sacrée idée !

- Un autre chien ?"

Un sourire.

Ou autre chose...

" La mort a été très douloureuse, inspecteur, asséna Rivette.

- En effet," répondit le grand inspecteur aux favoris touffus.

Il examinait les blessures sur le corps couché sur la table d'autopsie et fronçait les sourcils.

Un malheureux SDF victime d'une mort terrible. Et étrange comme d'habitude avec Rivette.

" On l'a trouvé dans une décharge de voitures."

Cela fit sourire l'inspecteur. Comme dans les films...

" L'autopsie a donné quoi ?

- Un truc sensationnel, expliqua Rivette en secouant la tête. Venin de serpent !

- Non ?"

Le policier se mit à rire.

" Alors vous avez votre coupable, Rivette. Un serpent ! Cela explique le dysfonctionnement du système nerveux, l'hémorragie interne, les problèmes de reins..."

Rivette sourit, sachant qu'il allait surprendre son collègue.

" Oui. Un serpent...marin..."

Là, il avait troublé son collègue mort depuis deux cents ans.

Les yeux gris brillèrent en le regardant fixement.

" Merde !

- Je ne vous le fais pas dire !"

" Un clodo. Oui, excellente idée !

- Ce sera plus drôle qu'un chien !

- On pourra tester l'hydrophiinae, le serpent marin !

- Merde ! Tu es un génie !"

Le deuxième cadavre provoqua plus de remous parmi la police.

Cette fois, un policier resta près de Rivette et le regarda travailler.

Rivette se sentait surveillé et n'osait plus parler.

Devant lui, un fantôme évoluait.

L'inspecteur de police dont il ignorait le nom mais avec qui il travaillait depuis un an cherchait quelque chose et s'énervait de ne rien trouver.

Rivette l'entendait en effet.

Le policier pestait et tirait sur ses favoris.

" Un serpent marin ? Putain ! Qui garde des serpents marins chez lui ?

- Ce n'est pas un serpent marin cette fois," lança timidement Rivette.

Le collègue bien vivant s'écria, croyant que le dingue du service lui parlait :

" Ben oui, on a parlé d'un serpent terrestre. Un mamba ? Ou un truc comme ça, je n'y connais rien en herpétologie."

Le collègue souriait.

Mais les yeux gris étaient brûlants en l'examinant avec attention. Rivette frissonna.

" Un mamba ? Mais c'est quoi ces conneries ? Des collectionneurs de serpents ?

- Ou des collectionneurs de venin ?, osa Rivette.

- Quelle idée ?, fit le collègue vivant. Des collectionneurs de venins ? Cela existe ?"

Rivette était à l'agonie.

Devant lui se tenait son ancien supérieur, mort et incapable de l'aider et à ses côtés se tenait un collègue, bien vivant et incapable de suivre ses pensées.

Le policier mort eut un sourire sarcastique.

Il leva simplement la main et un vent violent fit claquer toutes les portes de la salle d'autopsie, avant de faire tomber lentement les draps qui cachaient les corps de deux victimes.

Rivette secouait la tête en silence.

Mais son collègue était livide de peur.

" Putain ! C'est quoi ça ?, demanda le policier.

- Rien, rien du tout. Le vent ?," fit Rivette, alarmé.

Mais la main levée du cadavre tout frais eut raison de la résistance du policier. Il s'enfuit à toutes jambes de la morgue, abandonnant Rivette et ses morts.

Rivette frotta ses yeux avec force.

" Tu fais chier, tu sais ?

- Un collectionneur de serpents. Cela ne doit pas courir les rues ! Rivette ! Peut-être un employé de zoo ?"

Rivette leva la tête et acquiesça, fatigué.

" C'est une idée."

Le vent replaça lentement les draps et les portes s'ouvrirent gentiment.

" C'est à ça que tu jouais depuis deux cents ans dans tes archives ?

- Oui. Et crois-moi, je me faisais chier !

- Je te crois sur parole."

Un rire, partagé.

Un rire mort et un rire vivant.

" On avance bien ! Et si on testait les mygales ?

- Bof ! Ou alors sur le long terme ?

- On peut faire mordre plusieurs fois !

- Attends, je vais prendre des notes."

Les yeux de la nouvelle victime pleuraient de douleur. Les blessures étaient tellement horribles et ses bourreaux n'avaient aucune pitié.

Des scientifiques, c'était cela ?

" Commençons par l'Atrax robustus. Une mygale d'Australie.

- A la pire des mygales !"

Le troisième cadavre provoqua l'ire du fantôme.

L'inspecteur le prenait comme un affront personnel.

Rivette le vit démonter leur bureau et tenir des propos incohérents.

" Ils ne voient pas leurs bourreaux. Ils ont les yeux bandés. Je ne peux rien savoir.

- Qui "ils" ?, demanda Rivette en regardant les dossiers tomber sur le sol et se déchirer les uns après les autres.

- Les victimes, pardi !

- Vous...vous parlez aux victimes ? Vous les voyez ?"

L'inspecteur le regarda avec fureur et Rivette blanchit.

" Oui ! Et vous aussi, si vous faisiez un effort pour vous laisser voir.

- NON !"

Le troisième cadavre était celui d'un nouveau SDF. Un pauvre homme. Son chien ne fut jamais retrouvé.

Mais lui...

" Paralysie, douleur, nécrose..., énuméra l'inspecteur, le regard sur le corps devant lui.

- On ne meurt pas d'une morsure d'araignées. Ou si peu. Une mygale n'est pas un tueur d'homme, asséna Rivette, le rapport du laboratoire dans les mains.

- Une morsure, oui. Mais que dire de centaines de morsures ?

- A quel jeu joue-t-on ?, souffla Rivette en regardant le corps constellé de blessures, rouges et gonflées.

- Une expérience ?"

L'inspecteur aux yeux clairs écouta le silence, essayant de se reprendre avant de rugir :

" JE SAIS ! JE CHERCHE !"

Et Rivette comprit qu'on ne lui parlait pas à lui.

Le jeune homme regarda dans un angle de la pièce mais il ne vit rien.

" Vous êtes là ?, " demanda Rivette.

Il se sentit stupide.

Et cela provoqua un silence général.

" Les serpents, les mygales... Que reste-t-il ?

- On devrait ralentir ! La police peut avoir des soupçons !

- Quels soupçons ? On chope des clodos ! Qui s'en tape ?

- La police !"

Un rire suivit cette assertion.

" La police. Tu me fais rire. On a qu'à tester d'autres serpents !

- Ou alors... le venin du Varan de Komodo ?

- Merde ! Tope-là !"

" Un lézard géant ? Tu te fous de ma gueule ?

- Non."

Malgré la situation tragique, Rivette se mit à rire en voyant le visage surpris de son collègue.

Il était pour l'instant toujours seul. La préfecture n'arrivait pas à lui trouver un nouveau coéquipier.

Et devant lui il y avait le quatrième cadavre.

Et à l'extérieur, dans la rue, il y avait un tueur sans pitié.

Et la presse était aux abois.

" Un lézard ? Un serpent ? Des araignées ? Un collectionneur de venins !

- Comment on va le coincer ?, demanda Rivette.

- Je suis mort, je ne peux plus jouer les mouchards.

- Les mouchards ?

- Je jouais l'espion par le passé. J'ai même joué les mendiants. Mais c'était à Paris...

- Je pourrais...moi..."

Les yeux gris se posèrent sur Rivette.

Et l'inspecteur asséna :

" Pas question !"

" Ils sont pas assez solides ces clodos. Pire que les chiens.

- On devrait revenir aux chiens.

- Non. Un dernier SDF, et on prendra quelque chose de plus dur à tuer.

- Quoi ? Un flic ?

- Ou un pompier."

Ils rirent, tellement bien dans leur monde d'expérimentation. Les nouveaux scientifiques du XXIe siècle !

" T'es con ! Allez en chasse ! Nous avons ce lot de venins de serpents australiens à tester.

- Le laboratoire est chiant sur les délais.

- Oui. Mais il paie bien."

Cela faisait étrange.

Rivette trouvait tout cela étrange.

Il vivait dans la rue depuis quelques jours.

Mais il n'était pas seul.

Autour de lui, comme un protecteur, se tenait son collègue.

L'inspecteur provoquait des vents soudains, tour à tour glacés et brûlants, il repoussait les gens avec force et regardait son collègue avec inquiétude.

" Je vais bien, souffla Rivette, agacé.

- La nuit. La ville, c'est dangereux.

- J'ai des collègues qui me surveillent. Prêts à intervenir.

- Je sais ! Mais il y a d'autres choses que des hommes dans les rues."

Rivette se tut.

Il savait que ses collègues l'entendaient parler dans l'oreillette et il passait déjà assez pour fou.

Il fallut trois jours pour les trouver.

Deux hommes étranges qui s'approchèrent de Rivette.

Un large sourire et une pizza bien chaude.

Ils proposèrent une nuit au chaud.

Rivette accepta avec le sourire.

Car derrière les deux hommes se tenait son collègue et il acquiesçait avec force.

C'était eux.

" Quatre morts. Et des centaines d'animaux, asséna durement l'inspecteur en parcourant le bureau de la préfecture de police de ses grands pas. Des expériences avaient-ils dit !"

Il n'en revenait pas.

Il en avait vu des fous en deux cents ans...mais là...il était impressionné...

Rivette le regarda agir puis il posa la question qui lui brûlait les lèvres :

" Vous saviez que c'était eux, n'est-ce-pas ?

- Non. Je ne le savais pas.

- Alors comment vous l'avez su ?"

L'inspecteur ne sut pas quoi répondre.

Il regarda Rivette à son tour et murmura :

" Vous n'avez pas vu les victimes ?

- Si, mais je ne comprends pas comment..."

L'inspecteur secoua la tête et tristement ajouta :

" Non. Autour des deux salopards. Il y avait les victimes. Elles les ont menés à nous.

- Vous voulez dire que... A côté de ces deux types...

- Vous ne voyez que moi ? Je n'arrive pas à comprendre pourquoi."

Et l'inspecteur se tut, examinant la pièce si encombrée de dossiers.

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