Chapitre 6.2

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On était dans une sorte de local technique qui relevait plus du débarras qu’autre chose. Il y avait du matériel et des produits d’entretien qui s’entassaient, des caisses pleines de trucs et un établi pour faire des petites réparations. Il y avait de quoi bricoler un petit explosif ou du gaz moutarde, mais on n’était pas dans ce genre de mission. Cette pièce ressemblait à un cul de sac. Le vacarme en haut de l’escalier avait cessé et, désormais, les hommes qui nous poursuivaient étaient à moins d’un mètre, de l’autre côté du mur. S’ils avaient un chien pisteur avec eux, s’en était fini de nous à cet instant. Qu’est-ce qui m’avait pris de faire confiance à une civile ? J’espérais que je ne regretterais pas cette décision trop longtemps. « C’est bien ici, chuchota l’étudiante encore incertaine. Il faut trouver une ouverture, il y a un chemin qui mène au bâtiment de chimie. » J’avais peur de comprendre, elle nous avait conduit ici sur la base de ouï-dire, sans avoir jamais emprunté le-dit passage. Les gars dans le couloir avaient commencé à tester les poignées de porte avec brusquerie. Des tuyaux couraient au plafond et traversaient les murs dans toutes les directions. Il y avait peut-être une échappatoire pour nous.

En silence, j’attirais l’attention du Bleu. Je lui montrais une pile de caisses sous une paire de tuyaux. Il confirma la présence d’un courant d’air et il découvrit le début d’un tunnel. Je lui signalais que j’allais éteindre les lumières dans cinq secondes et qu’il faudrait évoluer avec la vision nocturne des portables. Je repérais les lieux avant de nous jeter dans le noir complet. Je me faufilais dans ce capharnaüm jusqu’à l’entrée du tunnel sans faire tomber quoique ce soit puis je remettais les caisses à leur place au jugé.

Le tunnel n’était ni très haut, ni très large. Ça a été une tannée juste de me retourner là dedans. J’ai même préféré avancer à tâtons plutôt que d’essayer d’attraper le portable pour sa vision nocturne. Mes vêtements frottaient contre les murs avec ce léger bruit caractéristique. Un halo de lumière émanait du matériel du Bleu et me donnait la direction à suivre. On avait une chance de semer la troupe à nos trousses. La lumière du débarras venait d’être rallumée. Les types qui nous suivaient avançaient un peu trop vite, même s’ils étaient en train d’ouvrir systématiquement toutes les portes. Il devait y avoir beaucoup de monde à notre recherche. On n’avait pas laissé assez de traces derrière nous pour qu’ils trouvent ce passage tout de suite, pour l’heure, ils ne pourraient que constater que ce local était vide, et comme ils étaient assez bruyants, on pouvait progresser sans être repéré. On était en train de gagner un peu de marge de manœuvre pour la suite. Je me disais que si j’avais été tout seul, j’aurais déjà été loin de toute menace et j’aurais réussi à éviter ce passage pénible et poussiéreux. Même si je progressais lentement, je rattrapais les deux jeunes avant la fin du tunnel. J’ai entendu que la fouille du local technique avait pris fin, vu qu’ils ne se souciaient pas du bruit qu’ils faisaient.

On a enfin débouché dans le même genre de débarras en sous-sol qu’on venait de quitter. Mes yeux s’étaient habitués à l’obscurité. Dans la pénombre, je devinais les mêmes caisses, le même établi et les mêmes outils. Je n’ai pas eu besoin de demander à l’étudiante d’agir avec prudence. puisqu’elle se déplaçait déjà lentement en veillant à ne rien bousculer. Le Bleu avait contrôlé qu’il n’y avait personne dans le couloir avant d’allumer la lumière du local. L’étudiante essayait d’enlever la poussière du tunnel de ses vêtements. Je l’arrêtais pour, au contraire, en rajouter et assombrir sa tenue. Elle a essayé de regimber. Mais on était sur le pied de guerre et ce genre de considérations n’avaient plus lieu d’être face au danger qui nous menaçait. Il fallait qu’elle change d’état d’esprit sur l’instant, c’était une question de vie ou de mort. Comme je n’avais pas le temps de la convaincre, j’ai claqué sèchement ma langue avec un regard sévère et elle s’est laissé faire. Pour ma part, comme ma tenue était déjà sombre, je poussais le vice en me camouflant le visage. Le Bleu, quant à lui, avait trouvé des écrous pour remplacer les billes qu’il avait envoyées et il se grima comme moi.

Vu comme la ville était quadrillée, on ne pourrait pas sortir du campus sans se faire remarquer. Pas besoin de tortiller du cul pour chier droit, on n’avait pas trente six options pour traverser la ville sans être repéré et j’espérais que les égouts moscovites étaient bien entretenus. Je demandais à l’étudiante si elle savait où trouver une bouche d’égout dans un endroit discret. Je l’ai vue chercher consciencieusement une solution dans sa mémoire, mais sa réponse fut de secouer sa tête avec un air désolé. Je ne m’attendais pas à ce qu’elle nous trouve le meilleur trajet, personne ne retient ce genre de détail, mais Le Bleu avait entendu l’information et l’étudiante pouvait commencer à envisager l’idée, ainsi, elle aurait moins d’hésitations le moment venu.

Le bâtiment était vide et on circulait sans soucis. Pour évacuer, on a ouvert une salle de cours à l’opposé du premier bâtiment. Avant de se précipiter à l’extérieur, on a contrôlé la rue adjacente et, autant qu’on a pu le voir, elle était déserte. On est alors sorti par une fenêtre sans se faire voir de qui que ce soit. On venait de semer nos poursuivants et on avait l’impression d’avoir le champ libre. Mais comme on était complètement aveugle, je nous faisais avancer avec prudence sous l’obscurité accrue offerte par les arbres. On a continué à s’éloigner de l’université et en changeant de rue, on a vite trouvé une bouche d’égout. J’ai utilisé ma matraque comme levier pour la soulever et je découvrais les premiers barreaux d’une échelle incrustés dans le mur. J’ouvrais le chemin en me glissant le premier dans l’ouverture puis en encourageant les autres à me suivre le plus vite possible et Le Bleu avait, sans faire de bruit, repositionné le couvercle de fonte alors que je descendais encore l’échelle.

L’obscurité était complète. Cette fois j’avais toute la place nécessaire et je sortais mon portable sans avoir besoin de me contorsionner. Je pouvais utiliser en toute quiétude les systèmes passifs mais on était un peu trop profond sous terre pour que le téléphone capte le signal GPS. Pour le moins, je pouvais utiliser la lampe torche et une boussole. Il fallait bien pouvoir déterminer dans quelle direction aller. L’odeur était incommodante, rien d’insurmontable, mais l’étudiante s’en plaint d’une manière excessive. J’ai été obligé de lui rappeler qu’elle pouvait utiliser son écharpe comme un masque. J’avais vraiment du mal à m’accommoder de la fragilité des civils et du manque de sens pratique des intellectuels. L’étudiante pressa Le Bleu de questions sur l’événement, mais on ne pouvait pas savoir qui était susceptible de nous entendre. Je connaissais trop d’histoires de combats qui se sont passés dans des tunnels pour les laisser être aussi désinvoltes, ainsi je leur imposais de se taire et on avança en silence le long des eaux usées. Je gardais le conseil pour moi, puisque la situation me turlupinais au plus haut point et je me forçais à ne pas cogiter pour garder ma vigilance. Malgré l’apparente quiétude de notre avance, je ne devais pas supposer qu’il n’y avait plus de menaces, mais, au contraire, supposer que des troupes étaient déployées et continuer à guetter les premiers signes d’une présence ennemi. De fait, ma rigueur fut excessive, puisque, à part quelques rats qui fuyaient le halo de lumière, on ne vit âme qui vive. Je suis remonté deux fois sous une bouche d’égout pour actualiser notre position avec le GPS et on refaisait surface dans une petite rue, à proximité du site sécurisé. On y entrait sans se faire voir.

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