Il ne ressentait qu'une envie

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Surpris par cette soudaine présence, il fixa un moment son interlocutrice. De grands yeux marrons le sondait, désireux d’une réponse et de longues tresses brunes encadraient un visage caché par une écharpe de laine et un bonnet assorti. Michaël voulu lui dire de contourner le parc puis de longer la rue du marché jusqu’à arriver au magasin de décorations à partir duquel il ne restait qu’à tourner à gauche. Mais il se rendit vite compte qu’avec cet épais brouillard, il était difficile de s’y retrouver, d’autant plus lorsque l’on ne connaissait pas le village. Ce pourquoi, gentleman qu’il était, il répondit en se levant :

- Bien sûr ! Je vais vous y accompagner.

Après tout, il n’avait rien à faire de mieux, et il fut pris d’une soudaine envie de bouger. Michaël se vit très enthousiaste à l’idée d’aider cette jeune femme à trouver son chemin et c'est donc en silence qu’ils sortirent du parc et se dirigèrent vers la boulangerie.

Le village de Marcilly, bien que petit, était très animé. Tout le monde se connaissait et les litiges étaient rares. Les rues se trouvaient généralement occupées par de joyeux passants ou par des enfants bruyants qui se rejoignaient à l’école pour jouer aux billes. Très artisanal, Marcilly était comme figé dans le temps. L’oppression des médias et de l’électronique franchissait les limites de la ville avec parcimonie ce qui laissait aux habitants le plaisir des randonnées et du patin à glace sans oublier, chaque mois, les traditionnelles fêtes du village auxquelles Michaël allait occasionnellement.

Il tourna son visage rougi par le froid vers l’inconnue à ses côtés et décida finalement de prendre la parole.

- Avez-vous emménagé ici récemment ou n’êtes-vous que de passage ?

- J’habite en Normandie mais ma famille s’est installée en Alsace il y a quelques années. D’habitude, c'est elle qui se déplace mais cette fois, c'est moi qui vient passer les fêtes ici.

Le jeune homme acquiesça. Il n’était jamais allé en Normandie. A vrai dire, il n’avait jamais réellement quitté son village natal. Quelques petites escapades par-ci par-là. Mais cela ne le dérangeait pas plus que cela. Il a toujours été très heureux d’être alsacien et appréciait le calme de la vie à Marcilly.

- Et que pensez-vous de notre belle région ?

- Elle est magnifique ! J’aime beaucoup l’ambiance chaleureuse qui règne dans votre village !

Michaël ne put s’empêcher de ressentir une certaine fierté en apprenant que l’Alsace plaisait ! Il aurait été sacrément contrarié qu’on lui réponde que Marcilly était ennuyeux. Il se serait sentit comme un pauvre type vivant seul dans un village mort. La seule chose qui réussissait à le conforter lorsqu’il songeait à sa vie monotone et isolée était qu’il vivait dans un endroit magnifique qui lui apportait tout de même de petits plaisirs dont il prenait soin d’apprécier chaque jour.

Lorsqu’ils arrivèrent devant la boulangerie, la jeune femme remercia son guide improvisé et ouvrit la porte de la bâtisse. Alors que celui-ci s’apprêtait à faire demi-tour, il sentit son cœur se gonfler devant l’odeur enivrante du pain chaud et des pâtisseries sucrées. Il décida alors de quitter la fragrance blanche de la froideur hivernale pour pénétrer dans la chaleur de l’établissement. Il frotta ses mains entre elles et desserra son écharpe puis s’avança vers les vitrines. La jeune normande avait retiré son bonnet et lui souriait gentiment.

- Que me conseillez-vous ?

A la fois désemparé par la question et concentré sur la voix douce et légèrement cassée de cette femme, il eut un léger frisson. Remarquant alors les deux derniers pains d’épices, il se décida à répondre :

- Le pain d’épices est excellent.

Elle eut un ricanement étouffé avant de répliquer :

- Très alsacien tout ça !

- Ne me dîtes pas que vous ne mangez que des tartes normandes ?

Se fût alors un rire bruyant qui franchi les lèvres gercées de l’inconnue avant qu’un sourire malicieux ne prennent place sur son visage.

- Je préfère la Teurgoule !

- La Teurgoule ?! répéta-t-il.

Le jeune femme dégagea quelques cheveux de son visage, puis murmura :

- Imaginez un récipient artisanal dans lequel on laisse cuire pendant cinq heures du riz au lait sucré et vanillé jusqu’à ce que les grains ne soient plus discernables. Imaginez une fine couche de cannelle râpée se déposer sur l’ensemble encore brûlant. Et enfin, imaginez une brioche moelleuse qui accompagne le dessert et un verre de cidre pétillant au bord de la table pour apaiser les langues brûlées.

Un sourire béat s’afficha sur le visage de l’alsacien. Il restait fasciné par les explications de son interlocutrice et, tandis qu’elle discutait avec la boulangère, il ne put s’empêcher de la détailler : deux fossettes se creusaient dans ses joues lorsqu’elle souriait et des toutes petites tâches de rousseurs ornaient son visage rond. Il pensa alors aux personnes qui avaient la chance de fréquenter la jeune fille et il se rendit compte que sans la connaître, il la trouvait merveilleuse.

Il ne ressentait qu’un envie. Une envie qui lui brûlait la peau, lui mordait le cœur. Il voulait discuter avec elle. Parler de tout et de rien, de cinéma et de pâtisserie, du temps qu’il fera demain.

Mais il fut sorti de sa léthargie lorsqu’il pris conscience que la jeune femme récupérait tout juste un sac en carton contenant sa commande.

A peine furent-ils sortis de la boulangerie qu’elle lui tendit un des paquets qui se trouvaient dans le sac.

- C'est un tarte normande. Vous m’en direz des nouvelles !

Michaël n’eut ni le temps de contester son offre, ni même de répondre, qu’elle avait déjà fait demi-tour. Tandis que la silhouette de la normande disparaissait dans le brouillard, il se décida finalement à lui poser une dernière question.

- Qu’avez-vous pris finalement ? hurla-t-il.

Elle s’arrêta puis se retourna avant de lui répondre dans un cri plus aigu que sa voix naturelle :

- A votre avis !

Ayant déjà une idée de la réponse, le jeune homme jeta un coup d’œil à la vitrine dans laquelle il ne restait qu’un pain d’épices.

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