Le phare du Kelt

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Le peintre disposa le chevalet à son endroit habituel, autrement dit une grande dalle de pierre où gravée à la surface une forme aviaire inconnue déployait de larges ailes à demi effacées par la violence des éléments au cours de plusieurs centenaires.

Tandis que sur la première moitié de sa palette de bois l'artiste disposait une par une ses couleurs, une nuée de mouettes dans leurs piaillements aiguës s'envolèrent en direction de l'immense et inquiétante structure, dont la silhouette sombre déchirait le ciel d'un gris parfait. Aucune nuance nota l'œil droit exercé du peintre, ni dans le ciel ni sur le phare qui semblait trancher la voûte céleste aussi sûr que les rochers acérés s'étendant à ses pieds. Son œil gauche lui était rivé sur la palette, et lorsque la dernière goutte de peinture vint achever l'ensemble son propriétaire la disposa délicatement sur un grand tabouret. Puis, les deux mains sur ses hanches, le dos droit et le torse bombé, l'artiste contempla de tout son soûl la grande structure qui faisait la renommée de Lect.

Le phare du Kelt. Une merveille disaient certains. Une horreur effrayante selon d'autres.

Le peintre esquissa un sourire de mépris. Tous des idiots qui ne savaient pas capturer l'essence de la structure même.

Mais lui, lui artiste de renom y avait consacré les grandes années de sa vie. Toute une vie de voyages, de rencontres, d'apprentissages, d'épreuves, de réussites et d'échecs... Toute une vie sacrifiée sur l'autel d'un seul dieu : captare.

Captare, le pouvoir de saisir la vraie essence des choses.

Une renaissance.

Le phare du Kelt lui apparaissait dans toute sa splendeur : une lumière aveuglante qui depuis des millénaires tenait à l'écart la voracité insatiable des ténèbres. Ultime rempart, dernier bouclier pour une humanité impuissante face aux puissances immémoriales de nature, lumière pour éclairer les marins et gloire du Progrès.

Ses pierres étaient noires, d'un noir d'encre qui aspirait et toute clarté et toute obscurité.

Le peintre s'y noyait hypnotisé par l'abîme béant que suggérait cette couleur abysse. Un guide des ténèbres pour un serviteur de la lumière

Captare. Le paradoxe

Les tours crénelées dressées sur chacun des deux promontoires, reliées entre elles par les trois arches de pierres tout aussi noires et surplombant la mer perpétuellement en furie ; les formes presque diaboliques que proposait l'agencement particulier des pierres composant l'ensemble ; tout participait à la légende de ce bâtiment aux origines inconnues. Pourquoi ? Comment ? Par qui ? Tout était mystère au sein du phare : il transpirait le ténébreux, il suait l'occulte et révélait l'impénétrable. En découlait alors nombre de légendes et d'histoires folkloriques, toutes plus folles les unes que les autres

Captare. Le phare vénérait l'Inconnu.

Une vague impressionnante vint percuter avec violence le roc et la structure. Peine perdue. Depuis des millénaires Kelt était le vainqueur de son éternel némésis : la mer. Avatar militaire de la nature elle-même. Deux rivaux pour la même terre, un affrontement immémorial, deux forces brutes et enchaînées : un combat de gladiateur sans fin.

Captare. Un élément traversant l'éternité

Le peintre se saisit de trois pinceaux dans son coffret. Au loin un corbeau croassa tandis que l’albatros jeta sur la face du monde son dernier cri.



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