Chapitre 2 : Remords

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Je ne réussis pas à me concentrer sur la conduite. Mon esprit reste focalisé sur les phrases de Timothée et de François : «Y a du sang qui coule sur sa tête», «Elle ne bouge pas », « Ça ne sert plus à rien de venir ». Elles résonnent dans ma tête et font écho à mon angoisse grandissante.

Depuis l’appel téléphonique de mon fils, je ressens au plus profond de moi, un poids qui ne fait qu’augmenter. Mes pensées sont toutes dirigées vers un sentiment particulièrement destructeur : la culpabilité. Elle ronge inexorablement le fond de mes entrailles et ravage mon esprit. Les regrets m’assaillent, en particulier celui de m’être absenté ce soir pour participer à un pot de départ au bureau. J’ai dû laisser Sarah et Timothée chez leur oncle pour m’y rendre. Je ne pouvais pas faire autrement !

— Je n’avais pas le choix ! hurlé-je.

Je frappe violemment le volant, fou de rage. Puis une deuxième fois, une troisième fois. Encore et encore, je m’acharne dessus sans pouvoir m’arrêter. Dévoré par les remords, je hurle ma souffrance dans l’habitacle de la voiture. Les larmes coulent à flots sur mes joues, mais la rage, elle, ne s’estompe pas ! Au contraire, elle s’amplifie jusqu’à devenir insoutenable.

Incapable de me contenir, j’accélère l’allure, dépassant ainsi de beaucoup la vitesse maximale autorisée en ville. Les immeubles défilent de plus en plus vite à travers le pare-brise. Je prends peu à peu conscience du danger de la situation. Je ralentis puis j’ouvre la fenêtre, malgré le froid glacial, pour chasser cette atmosphère empuantie par les idées noires.

Le vent froid me fait du bien et je parviens à me calmer. Sous la lumière blafarde des lampadaires, je reconnais le boulevard Arago. Encore cinq minutes à rouler en ligne droite et je serai à la place Denfert-Rochereau. À partir de là, je n’aurai plus qu’à remonter l’avenue du Général Leclerc jusqu’à Alésia et j’y serai enfin !

— Plus que 10 minutes. Ça va le faire…, me dis-je.

Le reste du trajet se fait sans encombre et à 21h19, j’arrive sur l’avenue où vit François. Je ne trouve aucune place libre dans les environs de l’appartement, alors je décide de me garer sur l’emplacement réservé aux livraisons du supermarché, pas très loin de l’entrée d’immeuble. Je descends de voiture, me dirige en toute hâte vers l’interphone et sonne à l’appartement 602.

J’attends.

Les secondes se succèdent sans la moindre réponse. L'impatience me gagne. J’appuie de nouveau sur le bouton avec insistance.

Toujours rien.

La nausée me prend. Incapable de réfléchir correctement, je panique. Que faire ? Je décide d’appeler mon frère sur son téléphone portable. Je mets ma main dans ma poche pour récupérer le mien mais constate son absence. Mon malaise s’intensifie. Je sens mes jambes faiblir et je peine à rester debout.

— Il est où bordel ?! dis-je en fouillant maladroitement les poches intérieures de mon manteau.

Je finis par me souvenir l’avoir lancé sur le siège passager. Je cours à la voiture, cherche à tâtons dans la semi-obscurité de l’habitacle et le trouve avec soulagement au fond du fauteuil. J’appelle immédiatement François sur son portable depuis ma Clio.

La sonnerie artificielle résonne dans mon oreille et semble s’étendre à l’infini. Sa voix répond finalement mais ce n’est que le répondeur :

— Salut, salut! Désolé, je ne suis pas dispo pour le moment mais ne vous inquiétez, je vous rappellerai dès que j’en aurai l’occasion. N’hésitez pas à me laisser un message après le bip !

Le bip strident retentit :

— C’est moi François. Pourquoi tu ne réponds pas ? Je suis devant l’immeuble là, alors dépêche-toi de m’ouvrir !

Je sors de la voiture et retourne devant la porte de l’immeuble. J’attends quelques minutes sous le petit porche qu’on me rappelle, mais rien ne se passe. Je décide alors de sonner à tous les interphones. Avant que quelqu’un me réponde, la porte s’ouvre, laissant sortir un jeune couple. D’autres personnes les suivent de près, probablement des amis. Ils finissent par les rejoindre dehors et j’en profite pour m’engouffrer à l’intérieur. Je rejoins les escaliers que je monte quatre à quatre jusqu’au sixième étage. À bout de souffle, en sueur et l’estomac au bord des lèvres, je rejoins l’appartement de mon frère, qui se situe en face de la sortie des escaliers. Je frappe à sa porte avec l’énergie du désespoir. Chaque coup résonne et produit un écho malsain.

Je m’arrête pour écouter. Je guette le moindre bruit provenant de l’appartement mais mes oreilles ne discernent aucun son. Pas même celui d’une télé ! Ce silence écrasant intensifie ma détresse. Je me jette de nouveau sur la porte, appuyant sur le bouton de la sonnette de la main gauche et frappant de la main droite.

— François, c’est Marc !

Aucune réaction.

— Timothée, c’est papa ! Viens m’ouvrir la porte, s’il te plaît! Mon grand ?

Toujours rien.

Où sont-ils bon sang ? Timothée aurait déjà dû m’ouvrir. Je réfléchis et commence à penser que le SAMU est peut-être arrivé avant moi. En vingt minutes, c’est possible. Ils sont certainement déjà partis! Oui, c’est forcément ça ! Ils ont probablement pris en charge Sarah. Ne pouvant laisser seul mon fils, François a certainement réussi à l’emmener avec lui.

Je reprends espoir. Je respire lentement pour me calmer. Je fais demi-tour et me dirige vers les escaliers. Dans la foulée, je sors mon téléphone de sa poche pour appeler de nouveau mon frère. Je sélectionne son nom dans mes contacts et lance l’appel. Devant la porte de la cage d’escaliers, Je m’arrête, hésitant. Dois-je rester et attendre dans le couloir ou retourner à la voiture ? Je ferme les yeux. Le visage souriant et lumineux de Sarah m’apparaît une nouvelle fois. Cette vision, si bienfaisante d’ordinaire, est une véritable torture en cet instant. La peur me noue le ventre et je prie intérieurement de toutes mes forces pour que mon frère décroche enfin son téléphone.

Soudain, une sonnerie familière retentit derrière moi. Je me retourne et comprends qu’elle provient de l’appartement de mon frère. Le portable toujours collé à l’oreille, je reviens sur mes pas. Je ne suis pas encore arrivé devant la porte que la sonnerie cesse brutalement. Au même instant, la liaison dans mon téléphone s’interrompt et le répondeur de mon frère se déclenche prématurément. Je comprends que François vient de raccrocher et probablement d’éteindre son téléphone.

La situation ne fait plus aucun doute : Mon frère est chez lui !

Pourquoi ne m’ouvre-t-il pas la porte dans ce cas ?

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