Chapitre 1

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En entendant ces pleurs et toutes ces voix s'exclamer pour les couvrir, je me souviens pourquoi mon père me demandait de ne pas venir avec lui. Il disait que je n'avais pas à voir des gens souffrir, car notre pays est encore bien trop barbare pour évoluer.

Sentir tous ces regards emplis de peine et de désespoir, ne fait qu'augmenter cette impression d'être incapable de faire plus pour eux. Perebim, toujours droit derrière mon père, nous suit de près. Je ne me prive pas de balader mon regard sur les différentes étales de produits exotiques et plus communs. Dans ce lieu, on peut trouver tout ce que l'on désire. Même ce qui provient d'un pays étranger. Mais avant tout, on peut se procurer des esclaves. Ils viennent de nombreux horizons, pour la plupart, du pays d'Etherberyl. Un étalage de différentes ethnies, de la peau la plus claire à la plus sombre. En passant par des teintes bien plus coloré, bleutées ou rougeâtres. Ceux qui ont le plus de succès montrent des signes d'origine des enfants de la Lune, avec leurs cheveux aussi blancs que la neige. Certains ne sont encore que des enfants, plus jeunes que moi, orphelins, livrés à eux même et plongés vers un avenir incertain.

— Monseigneur, peut-être que nous devrions rentrer avant d'attirer l'attention ? intervient Perebim. Je ne pense pas que le jeune Andrek soit en âge de voir...

Je m'immobilise devant une femme apeurée, tenant dans ses bras un petit garçon. Ils viennent vraisemblablement de la région de l'Ouest, avec leurs cheveux aux différents reflets roux. Les mêmes que ma mère. Ils portent de nombreuses ecchymoses sur leurs visages et leurs bras. Leurs tenues ne ressemblent plus qu'à des loques, couvrant à peine leurs peaux pâles de la chaleur écrasante.

Mon père me regarde et pose une main sur mon épaule.

— Fils, je veux que tu apprennes ce contre quoi je me bats depuis des années.

Il observe la mère, qui recule un peu plus contre le mur, protégeant son enfant de nous. Elle se met à parler rapidement dans un dialecte que je ne comprends pas. Mon père se rapproche d'elle et lui prend doucement la main. Il lui répond dans la même langue, avant d'être interrompu par Perebim.

— Monseigneur...

— Seigneur Morgen ! Mais quelle surprise de vous voir ! Cette esclave vous intéresse ?

Je fais face au vendeur d'esclaves. Il n'est pas très grand, a les cheveux grisonnants et aborde une tenue élaborée, proche de celle des nobles, avec des fils d'argent, montrant à tous que son commerce lui permet de s'enrichir. Mon père abandonne la femme et se tourne vers le marchand.

— Je ne suis pas ici pour ça.

Il semble presque déçu de sa réponse et dévisage la femme et son enfant. Il me jette brièvement un coup d'œil, puis il retourne à son intention, abordant un regard plus respectueux.

— Dans ce cas, en quoi puis-je vous aider ?

— As-tu reçu la commande que je t'ai faite ?

Il s'incline d'un mouvement rapide et nous demande de le suivre vers sa boutique. Il referme le tissu derrière nous, atténuant le bruit de la rue en effervescence.

— J'ai effectivement reçu les livres que vous m'aviez demandés. Ce n'était pas de tout repos de les récupérer.

Il s'excuse auprès de nous et disparaît vers une autre partie de la tente, marmonnant dans sa barbe. J'en profite pour observer sa boutique. Il ne vend pas que des esclaves. Il est aussi attiré par le trafic d'animaux du pays d'Etherberyl, avec leurs fourrures et leurs plumages exotiques impossible à confondre avec ceux de notre pays. Il possède de nombreux spécimens dans des cages trop étroites, probablement destinés aux plus offrants.

J'ai la soudaine impression d'être observé. Cette impression que quelqu'un m'en veut atrocement, comme si je suis responsable de son malheur. Je me retourne vers celui qui m'observe. Un jeune adolescent d'environ mon âge, habillé d'une simple tunique sale, recroquevillé dans un coin. Ses longs cheveux noirs et humides de sueur, pendent devant ses yeux, mais ne m'empêchent pas d'apercevoir toute sa colère. Sa peau a le teint sombre des habitants d'Etherberyl, recouvert de marques de coups violents. Du sang coule de son front pour atterrir sur le sol poussiéreux de la tente en formant des gouttes brunes. Personne ne s'est encore occupé de le soigner. Il a les poignets attachés au-dessus de sa tête par des chaînes en or, celles réservées aux esclaves ayant le plus de valeur.

Mon père observe à son tour le jeune garçon et profite du retour du vendeur pour lui poser la question de son identité.

— Qui est-ce ?

— Personne d'intéressant, Monseigneur.

Il pose devant nous les livres et observe à son tour l'esclave, d'un œil que je devine malsain. L'adolescent lève les yeux vers lui. Il le hait.

— Mais il est issu d'un village de métamorphe. Son ancien propriétaire me l'a revendu quand il a commencé à devenir trop âgé.

Le jeune homme tire sur ses chaînes en faisant claquer le métal, tout en parlant dans sa langue avec colère, avant de cracher à nos pieds. Le vendeur nous demande d'attendre et se dirige vers l'Etherberien pour lui asséner un coup en plein visage. Un sursaut m'échappe.

— La prochaine fois, que tu manques de respect au Seigneur, je te ferai couper la langue.

Cela ne fait qu'attiser sa colère. Il jure plus fort, toujours avec cette colère dans le regard pour l'esclavagiste, qui ne se gêne pas pour lui donner un autre coup. Ma main serre le bras de mon père.

— Tu vas apprendre le respect.

Il lève une nouvelle fois la main vers lui, mais mon père l'interpelle avant qu'il ne lui assène un autre coup.

— Combien pour lui ?

— Monseigneur... soupire Perebim.

— Seigneur Morgen, je ne suis pas certain qu'avoir un esclave comme lui vous convienne. Il n'est pas discipliné et ne parle pas un mot de notre langue.

— Peu importe. Dis-moi ton prix.

— Monseigneur, je ne pense vraiment pas que cette créature puisse vous apporter un quelconque bénéfice.

— Tu remets en cause ma volonté ?

L'esclavagiste balbutie, les yeux grands ouvert.

— Oh ! Oh non ! Ça ne me viendrait jamais à l'esprit !

Perebim sourit.

— Bien, alors combien ?

Il regarde rapidement son esclave, qui a le visage tourné vers le sol. Il semble murmurer quelque chose.

— Trois mille pièces.

Il tend la main vers Perebim, qui se pince les lèvres, avant de lui tendre la bourse. Il la fait tomber sur le bureau et le vendeur se précipite pour en vérifier le contenu. Il compte chaque pièce et relève la tête dans sa direction.

— Je n'ai rien de plus sur moi, puisque c'était le prix des livres. Mais je reviendrai demain avec le reste. Et pour récupérer les livres en gage de ma bonne foi.

Perebim lui assure que mon père paie toujours ses dettes.

L'esclavagiste détache le trousseau de clefs à sa ceinture et déverrouille les chaînes du métamorphe, sans pour autant lui enlever les bracelets d'or. Libéré, il ne fait aucun mouvement et ne cherche pas à se transformer pour fuir. Le vendeur le pousse à se mettre debout, le soutenant d'un bras. Debout face à moi, l'Etherberien me surpasse. Je peux lire toute la haine dans son regard. S'il avait eu la capacité de se transformer, il l'aurait fait et m'aurait certainement tué d'un seul coup de griffe ou de crocs.

Mon père remercie l'esclavagiste et Perebim attend que le métamorphe se mette à nous suivre pour fermer la marche.

Je jette un dernier regard aux esclaves et il fait de même. Certains font peut-être partie de sa famille. J'espère qu'il les reverra un jour.

Les chevaux nous attendent là où nous les avions laissés, surveillés par un garçon. Mon père lui remet deux pièces, le remercie et se met en selle, Perebim monte sur son cheval de trait.

— Andrek, tu l'aideras à se mettre en selle sur ton cheval, me demande mon père.

Je me mets en selle et le métamorphe s'approche du mien, lui caresse la tête avec compassion.

— Je peux t'aider à monter si tu as besoin, lui proposé-je en lui tendant la main.

Il saute sur le dos de l'animal avec facilité derrière moi, sans me prêter attention. Il murmure dans sa langue, passant ses doigts dans la robe alezan. Mon cheval remue les oreilles d'un air attentif et se met en marche.

Les autres seigneurs et hommes riches de la région se retournent vers nous. Tout le monde observe mon père d'un œil mauvais en voyant l'esclave derrière moi. Monter à cheval est un luxe réservé aux nobles. Et jamais, en toutes mes quatorze années d'existence, mon père n'avait acheté d'esclaves. Il n'a fait cela que pour une bonne raison.

Durant le voyage, l'Etherberien ne dit aucun mot, même dans sa langue natale. Néanmoins, il observe le paysage, les oliviers, la route sableuse sous les sabots de nos chevaux. Il prête une attention particulière à l'océan et aux vagues qui se fracassent contre la roche. Son pays se trouve de l'autre côté.

Nous finissons par arriver devant le domaine. Un des serviteurs, Belal, vient à notre rencontre. Il remarque rapidement l'adolescent sur mon cheval.

— Monseigneur ? demande-t-il à mon père.

— Mettez les chevaux à l'écurie, je vais accueillir notre nouvel hôte, explique-t-il en mettant pied à terre.

Le métamorphe descend avant moi et regarde derrière lui. Les portes se referment. J'aimerais lui dire qu'il ne risque plus rien, mais je n'ai aucun moyen de communiquer avec lui. Nous avançons vers l'entrée du château et sa paume se pose sur la pierre rosée de l'entrée.

Je lui fais signe de nous suivre et m'enfonce dans la demeure. Perebim s'excuse auprès de nous pour repartir travailler.

— Andrek, tu devrais retourner à tes leçons, demande mon père.

— Père, je préférerais rester avec vous.

Il n'insiste pas.

Nous faisons découvrir le château au métamorphe. Mon père l'a acquis avec la fortune de sa famille. Immense, avec ses caractéristiques pierres rosées et ses dalles en mosaïque, il est le symbole d'une certaine richesse dont je vais hériter malgré moi. Nous saluons poliment chaque personne que nous croisons et ils nous saluent à leur tour. Nous passons devant le jardin aux plantes exotiques, ce qui attire longuement le regard de l'Etherberien. Mon père lui promet de lui laisser le loisir d'y retourner, bien que ne doit comprendre aucun mot.

Nous finissons par le grand salon. Je m'assois sur le canapé aux tissus brodé, encore perturber par la présence du métamorphe.

— As-tu faim mon garçon ? lui demande mon père.

Il commande à l'une des servantes de revenir avec de quoi manger et à boire, tout en demandant à ce qu'une chambre soit préparée dans l'aile des visiteurs. L'Etherberien reste debout. Les poings serrés, il fait un mouvement de poignet en apercevant le plateau être servi sur la table en fer blanc devant lui.

— Tu peux manger.

Il ne bouge pas.

Je me lève et attrape une mangue pour lui donner. Il la laisse tomber par terre.

— Si tu restes ainsi, mon garçon, tu vas finir par mourir de faim, explique mon père. Je sais que tu ne connais pas notre langue, ni ce pays, mais j'ai envie de t'aider. Tout comme mon fils.

Il me regarde et se met à parler rapidement dans sa langue. Mon père fait tourner la bague à son pouce et se dirige vers la bibliothèque. Il attrape le livre des langages du royaume et semble chercher des informations sur la sienne.

Ma mère arrive peu après dans le salon, suivie par une des servantes.

— Je viens d'apprendre que tu as acheté un esclave, s'adresse-t-elle vivement à mon père.

Il se tourne vers elle. Pour la première fois, je vois ma mère en colère.

— Sylia, je crois que c'est un terrible malentendu.

— En effet, Morgen.

Elle soupire, me sourit et remarque la présence du métamorphe dans la pièce.

— Par les Dieux...

Compatissante, elle se rapproche de l'adolescent et observe ses blessures. Il ne bouge pas quand ma mère inspecte délicatement son visage. J'ignore s'il a peur d'elle ou de se prendre un coup s'il ose s'agiter.

— D'où vient-il ?

— D'Etherberyl. Un métamorphe. Son ancien propriétaire l'a revendu quand il a commencé à vieillir.

— Bon sang... Quelle langue parle-t-il ?

— Un dialecte que je ne connais pas.

— Il comprend le cherish ?

— Je ne crois pas.

Elle commence à lui parler en langue commune, mais il parle plus fort qu'elle dans une langue inconnue, alors elle essaie en Cherish, qui est la langue régionale, sans succès.

Ses doigts couvrent ses lèvres, embêtée. Nous n'avons aucun moyen de communiquer correctement avec lui.

— Pour le moment, on va se concentrer sur ses blessures et lui donner de quoi manger et se changer.

— Il a refusé de manger.

Pourtant, il est aisé de comprendre qu'il meurt de faim, à sa manière de fixer la nourriture sur la table. Ma mère le fait asseoir sur le canapé et lui tend un verre de thé chaud.

Bu chir dhut ol... (Tu peux boire )

Son regard sombre se perd au fond du verre et il relève les yeux vers nous.

A bheil a choir agam ? (J'ai le droit ? )

Sa voix enrouée doit le faire souffrir. Ma mère hoche la tête pour accepter et il boit le thé à petites gorgées.

— Il ne doit connaître que le Virnam. Et ce ne doit pas être beaucoup de mots.

— Comment le savais-tu ?

— Les chaînes à ses poignets. Ce sont des enchantements complexes, impossibles à défaire sans magie. Un Virnois, donc. Ils sont les seuls à connaître des mages capables d'une telle chose.

Elle me regarde et vient poser sa main sur mon épaule.

— Mon fils, ce garçon aura besoin de toi à l'avenir. Tu vas devoir lui apprendre ce que tu sais.

— Mère...

— Il suivra avec toi tes études et je suis certaine que de son côté, il t'apprendra de nombreuses choses.

J'ose poser les yeux sur le métamorphe, qui m'examine derrière son verre. J'espère sincèrement que mes parents ont pris la bonne décision.

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