Chapitre 3

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Les mains dans les poches de mon gilet, je déambulais dans les jardins en traînant les pieds. Je n’avais jamais autant craint ma mère avant aujourd’hui. À croire que ses secrets étaient plus importants qu’une fugue. J’avais déjà essayé de fuguer, c’est vrai, mais ma mère ne s’était jamais mise en colère à ce point. C’était comme si elle préférait une tentative de fugue à la découverte de la vérité.


— Mademoiselle Elena !


Une voix cria dans mon dos, me ramenant à la réalité. Je relevais la tête, vis l’écorce d’un arbre et m’arrêtais aussitôt. Un pas de plus et je m’y cognais. Je me retournais et vis que c’était Emma qui venait à ma rencontre.


— Quelque chose ne va pas ?

— Tu n’es pas au courant ? J’ai surpris la conversation de ma mère avec les diplomates et…

— Ah mince, me coupa-t-elle. Je comprends mieux pourquoi vous êtes dans la lune. Que s’est-il passé exactement ?

— Le diplomate m’a demandé de l’aide. Pourquoi ?

— Et bien… je ne sais pas…


En disant ça, Emma s’était mise à jouer avec ses doigts et à regarder ses chaussures. Je faisais la même chose quand je mentais à ma mère. C’était évident qu’elle aussi mentait. J’étais déjà en colère à cause de ma mère et son mensonge ne fit que rajouter de l’huile sur le feu.


— Arrête de me mentir, Emma ! Je sais que tu ne me dis pas tout !


J’en avais assez de tous ses mensonges et ses secrets. J’en avais assez d’être prise pour une idiote, incapable de comprendre quoi que ce soit.


— Je ne veux que votre sécurité, Mademoiselle.

— Ma sécurité ? Vous avez toutes les deux la même excuse pour ne rien me dire !

— Je vous protège de votre mère en ne vous disant rien.


Elle tenta de se rapprocher de moi et posa une main sur mon épaule. Mais je reculais aussitôt. Je savais exactement ce qu’elle était en train de faire et je ne voulais pas me faire avoir.


— Pourquoi ? Pourquoi me protéger d’elle ? demandais-je tout de même. En quoi est-elle aussi odieuse que tout le monde le prétend ? Pourquoi même les diplomates ont-ils peur d’elle ? J’en ai assez de toujours être la dernière au courant !

— Retournons dans votre chambre. Vous devez vous calmer, dit-elle pour changer de sujet.

— Mais bien sûr !


Je la suivis tout de même en silence, en serrant mes poings pour éviter de m’emporter encore une fois. Une fois dans ma chambre, je m’assis sur mon lit et la regardais s’agiter. Elle ferma la porte de la salle de bain à clé et fis de même avec mon armoire. C’était les deux seules clés en métal qu’Emma possédait. Elle récupéra tout ce qui pouvait être dangereux comme mes ciseaux, mes bougies parfumées et décrocha toutes mes photos pour enlever les épingles qui les maintenaient au mur. Quand je compris ce qu’elle était en train de faire, je me levais aussitôt pour lui bloquer la route. Je m’appuyais contre la porte pour qu’elle ne puisse y accéder.


— Ne fais pas ça, je t’en supplie.

— Je ne fais que vous protéger, Mademoiselle. Vous êtes trop en colère pour que je laisse des objets dangereux dans votre chambre.


Délicatement, elle essaya de me pousser sur le côté pour que je lui libère le passage. Mais je tenais bon.


— Je suis peut-être en colère, mais pas suicidaire. S’il te plaît, Emma, ne m’enferme pas dans ma chambre. Tout, mais pas ça.

— Je n’ai pas le choix, Mademoiselle. Je dois suivre les ordres.

— Désobéie-lui, pour moi. S’il te plait.

— Je suis désolée. Je vais essayer de vous convaincre que c’est l’unique solution. Avez-vous déjà vu votre mère aussi en colère qu’aujourd’hui ?


Elle était si proche de moi que je pouvais sentir son souffle sur mon front. Sa main droite était appuyée contre la porte juste au-dessus de mon oreille. Si ça avait été une autre femme à sa place et dans d’autres circonstances, j’aurais sûrement apprécié.


— Non, répondis-je en baissant la tête.


Quand Emma voulait me convaincre qu’elle faisait quelque chose dans mon intérêt, elle savait toujours ce qu’il fallait dire.


— Avez-vous déjà été autant en colère qu’aujourd’hui ?

— Non.

— Vous êtes toutes les deux en colère. En vous enfermant dans votre chambre ainsi, je vous protège de vous-même et de votre mère. J’ai peur de ce qu’elle pourrait vous faire si elle venait vous voir.

— Pitié Emma, enchaînais-je désespérée.


J’espérais vraiment faire réagir Emma avec un mot que je n’utilisais jamais. Je ne l’avais jamais supplié pour quoi que ce soit, mais c’était le seul moyen. Je relevais les yeux et c’est de la détermination que je vis dans les siens. Elle était déterminée à me protéger coûte que coûte.


— Tu sais que je n’aime pas être enfermée, ajoutais-je d’une voix faible.


Si elle savait ça, elle ne savait pas tout de ma peur d’être enfermé. Je ne voulais surtout pas qu’elle connaisse ma pire phobie. Pourtant, je savais que si je lui disais, elle renoncerait. Mais ne je n’y arrivais pas.


— Je sais et j’en suis désolée. Laissez-moi passer.


Je croisais les bras et m’appuyais encore plus contre la porte. Je voyais bien dans son regard qu’elle n’aimait pas ce qu’elle était en train de faire et je comptais bien jouer là-dessus. Pourtant, rien de ce que j’essayais ne la faisait changer d’avis. Rien hormis la vérité que je refusais de dévoiler.


— Vous ne me laissez pas le choix, mademoiselle. Gardes ! appela-t-elle en frappant contre la porte, juste au-dessus de ma tête.


Cette fois-ci, je savais que j’avais perdu. J’étais obligé de me déplacer pour que les gardes puissent ouvrir la porte sans me blesser. Je ne la lâchais cependant pas du regard, espérant qu’elle renonce à m’enfermer jusqu’à la dernière seconde.


— Oui ? répondit le premier garde qui entra. Il était à peine plus âgé qu’Emma.

— Empêchez la Princesse de sortir.


Les deux gardes s’approchèrent de moi et m’attrapèrent les bras pour qu’Emma puisse sortir sans que je tente de m’enfuir. Même en essayant de me débattre, mes gardes ne bougeaient pas d’un millimètre.


— Emma ! hurlai-je à plein poumon pour la retenir en vain.


Je vis cependant ses yeux briller quand elle m’adressa un dernier regard. À bout de souffle, j’arrêtais enfin de me débattre et les gardes me lâchèrent. Tandis qu’ils quittaient ma chambre, je m’assis par terre, contre le lit et remontais mes genoux contre ma poitrine. Dès que la porte fut fermée, j’entendis le déclic de ma serrure électromagnétique. Emma m’avait bel et bien enfermée dans ma chambre et personne ne viendrait me sortir de là. J’étais seule dans cette immense pièce et pourtant j’avais l’impression qu’elle était minuscule. Les murs se rapprochaient déjà de moi, petit à petit.

Je restais là, assise par terre à pleurer et à hurler silencieusement pendant ce qui me parut durer une éternité. Ma plus grande phobie était d’être enfermé, comme maintenant. Avec le temps, j’avais appris à maîtriser cette peur, ayant deux pièces pour me déplacer. Mais aujourd’hui, alors même que ma salle de bain était, elle aussi fermée à clé, ma peur reprenait le dessus. Je n’avais pas accès à l’eau pour me rafraîchir. Je n’avais pas accès à la peluche qui m’avait tant servi quand j’étais petite pour vaincre cette peur. Cette peluche était dans mon armoire, elle aussi fermée à clé.

Je n’osais pas relever la tête, par peur de voir les murs plus proches de moi que je ne le pensais. J’essayais pourtant de me convaincre que les murs ne pouvaient pas bouger, mais j’y parvenais de moins en moins. Plus aucune larme ne coulait sur mes joues, mais je peinais à respirer. L’air était devenu oppressant. Il me brûlait les poumons. J’étais incapable de faire le moindre mouvement, complètement paralysé.

Quand j’entendis enfin ma porte se déverrouiller, sans doute des heures après le début de mon enfermement, j’étais toujours incapable de bouger. J’avais fini par me recroqueviller sur moi-même pour prendre le moins de place possible et mes muscles étaient endoloris.


— C’est fini Elena, je suis là.


La voix d’Emma me rassura légèrement. Je ne pouvais toujours pas bouger, j’en étais incapable. Dans la position où j’étais, je ne pouvais même pas la voir.


— Pourquoi as-tu fait ça ? demandais-je si bas que je crus qu’elle n’avait pas entendu.

— Excusez-moi, Mademoiselle. Je ne savais pas.


En effet, c’était ma première crise en six ans. Emma n’était même pas encore ma servante lorsque j’avais eu mon dernier épisode de claustrophobie.


— Combien de temps ? réussis-je à demander.

— Même pas vingt minutes. Et je suis restée derrière la porte tout le temps. C’est seulement quand la domestique de votre mère m’a parlé de votre phobie que j’ai compris mon erreur et je suis venu vous rejoindre aussitôt. Je voulais seulement vous protéger, Mademoiselle.

— J’ai cru mourir, Emma, avouais-je en relevant la tête vers elle.


Mes yeux avaient du mal à se réhabituer à la lumière. Le fait d’avoir pleuré ne m’aidait pas. Je voyais trouble et ne parvenais pas à distinguer Emma même si je savais que c’était elle.


— Je t’avais dit que je n’aimais pas être enfermée.

— Vous ne m’avez jamais dit que vous étiez claustrophobe. Et comment s’en douter quand vous vivez dans une si grande pièce ?

— Ce n’est pas la taille de la pièce qui compte. Le simple fait de savoir que la porte est fermée à clé m’oppresse.

— Je n’aurais pas dû fermer toutes les portes à clé. Je n’aurais pas dû vous enfermer tout court. Je vous demande pardon, Mademoiselle, sincèrement. Prenez le temps qu’il vous faut pour vous en remettre. Je vais vous préparer un bain en attendant.


De là où j’étais, je pouvais voir la porte de ma chambre grande ouverte. Ce simple détail me permit de mieux respirer. Je pouvais aussi sentir de l’air frais, ce qui me rassurait d’autant plus. Emma avait dû ouvrir la fenêtre.

Quand mes muscles se délièrent enfin, je me levais lentement et rejoignis Emma dans la salle de bain. Le simple fait de la voir avec moi, de ne pas être seule dans une pièce, fit partir la moindre sensation d’enfermement. Je n’arrivais cependant pas à la regarder. J’avais trop honte de ce qu’il venait de se passer. Elle m’avait vu dans le pire état de faiblesse possible. Même ma mère n’avait jamais assisté à ça.

C’est seulement en me déshabillant que je remarquais à quel point ma robe était trempée. J’aurais pu aller dans le bain, complètement habillée, ma robe aurait été mouillée de la même façon. Plonger dans l’eau chaude, presque brûlante du bain me fit un bien fou.

Pendant toute la durée de mon bain, Emma m’expliqua son acte en long et en travers, mais j’écoutais d’une oreille lointaine. Je n’aimais pas être enfermé dans ma chambre chaque soir, mais j’avais pris l’habitude. Cette fois-ci, ça avait été différent. Mes émotions, la colère et la peur surtout, avaient complètement pris le dessus sur la raison. Même avec toute la préparation et l’entraînement possible de ses dix-neuf dernières années, je n’avais pas su y faire face. J’aurais dû contrôler mes émotions, comme je le faisais chaque soir après le couvre-feu, au lieu de les laisser me submerger. Et même si Emma était en partie responsable, je n’arrivais pas à lui en vouloir.

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