Hirofumi Aomori grommela sans ménagement au son de son réveil qu'il éteignit brutalement. Il avait enfin réussi à pondre un manuscrit potable tard le soir et il n'avait pu dormir que deux petites heures.

Le bureau où il s'était vautré à cause du manque de sommeil ressemblait maintenant à un dépotoir remplis de bols de nouilles instantanées et de canettes de bière vides.

Du café s'était répandu sur le sol à cause de sa tasse tombée à terre et une odeur acre, mélange de transpiration et d'encens de santal, planait dans sa salle de travail. "Va falloir que je nettoie tout ça après, soupira-t-il en s'étirant les bras. Ses muscles dorsaux étaient endoloris. Pas étonnant vu où il s'était assoupi. "Bah, au moins Takagi sera content, fit-il en rangeant les feuilles écrites dans une enveloppe qu'il sortit du tiroir.

En temps normal, il aurait tapé son texte à l'ordi mais pour une fois, Hirofumi souhaitait écrire de sa plume. Son frère Takafumi lui disait souvent qu'il était vieux jeu. C'était le cas et ce fut aussi la cause des échecs de ses relations passées. Les femmes qu'il avait fréquenté jadis lui préféraient généralement des jeunes plus fringants, plus intrépides au lit, plus mystérieux aussi.

Un peu comme ces beaux gosses froids et mauvais genre que l'on trouvait dans bon nombre de shôjô manga.

Et parmi ses anciennes relations se trouvait la mère de ses deux trésors.

Ses deux princesses qui furent la source d'inspiration de ses histoires.

Hirofumi était écrivain de petits contes pour enfants. Il usait d'un nom de plume féminin, Sumire Misaki, sous le conseil de Takagi afin d'appâter davantage sa clientèle principale, à savoir les mères de famille. Bien qu'il détestait mentir, si ça lui permettait de mettre plus de beurre dans ses épinards, il n'était pas contre.

Sa main passa un moment dans les mèches d'un brun foncé teint hirsutes avant qu'il ne pousse un énième soupir. Hirofumi se gratta ensuite machinalement sa barbe de trois jours en baillant. L'envie d'un café bien fort le taraudait mais il décida à la place de se lever afin de nettoyer tout ce désordre bon gré mal gré.

Sinon sa petite cuisinière en chef allait encore rouspéter en voyant ce bazar. A cause de l'absence de leur mère, sa fille ainée Himeka avait décidé de jouer son role dès qu'elle eut appris pour son départ. La fillette de dix ans veillait aussi farouchement sur sa petite soeur Fumie dont le tempérament timide et craintif l'empêchait de se faire des amis.

Hirofumi aurait aimé être plus présent ces derniers temps mais avec la deadline, il avait dû confier les petites à son frère ce week-end afin de tout boucler. Il avait hate de les revoir et de faire une bonne soirée sukiyaki avec elles.

Himeka et Fumie furent ses rayons de soleil dans son existence de trentenaire célibataire.

Quand son ex lui avait annoncé sa grossesse du temps où elle avait attendu Himeka, Hirofumi avait été plus qu'heureux. Reina et lui s'étaient connus à la fac et ils avaient vécu ensemble ensuite après avoir obtenu leur diplome, lui en cursus littéraire, elle dans le management. Reina était alors devenue une office lady dans une boite très cotée.

Sa première grossesse avait été mal vue, surtout qu'elle n'était pas mariée mais Hirofumi avait arrondi les angles pour elle en disant à son patron que c'était pour bientôt. Malheureusement, Reina avait dû quitter l'entreprise où elle travaillait suite à la naissance de Fumie deux ans après celle de Himeka à cause d'une banqueroute.

La situation avait alors empiré entre eux.

Reina avait accusé sans cesse leurs deux filles d'avoir volé sa jeunesse et sa carrière. Puis elle était partie alors que Fumie fêtait ses six ans pour se jeter dans les bras d'un beau gosse qui bossait dans un host bar et qu'elle avait rencontré lors d'une sortie entre filles.

Hirofumi se souvint amèrement des pleurs de Fumie et de la colère de Himeka. "Pourquoi Maman nous déteste?, s'était morfondue sa fille cadette.

Il n'avait pu leur dire la vérité.

Que Reina les avait désirées uniquement parce que la plupart de ses amies étaient devenues mères de famille et qu'elle avait voulu faire pareil.

Un peu comme pour leur relation au fond. A l'époque, Reina sortait avec les mecs les plus populaires et malheureusement pour lui, il avait été major de sa promo. Ils s'étaient rencontrés lors d'une soirée organisée et elle l'avait accosté. Ils s'étaient bien accrochés malgré tout même s'il remarquait déjà à l'époque la façon dont elle l'exhibait comme un trophée devant ses copines de fac.

Mais Hirofumi l'aimait et avait pensé qu'elle changerait avec le temps mais... "Bon, ça sert à rien de ressasser, se dit-il en triant les cannettes et les gobelets de nouilles vides pour les mettre à la poubelle. Il récupéra la tasse tombée par terre qui fut à son grand soulagement intacte puis sortit ensuite l'aspirateur du placard pour nettoyer le parquet de son bureau après avoir essuyé la tache de café au sol.

Takafumi allait arriver en fin d'après-midi, ce qui lui laissait le temps de se reposer un peu après avoir passé un petit coup de fil à Takagi pour venir chercher son manuscrit.