2.

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Mes mains tremblent un peu lorsque j'attends sur le perron qu'on m'ouvre. Puis, la tête de ma meilleure amie surgit et je souris.

— Sacha ! On attendait plus que toi.

Elle m'enlace et me claque un bisou sur la joue.

— Tu as réussi à les convaincre ? Ils n'ont pas été trop chiants ?

— Je ne serais pas là, sinon, soufflé-je, amusé.

— Oui c'est vrai ! Aller entre !

Je secoue doucement la tête. Louise est merveilleuse, mais parfois, elle peut poser des questions... idiotes.

Je pose les affaires que j'ai ramenées – petits sachets de gâteaux à grignoter et autres babioles – sur la table de la cuisine et rejoins les autres dans le salon. Nous sommes une petite vingtaine et honnêtement, j'en connais tout juste la moitié. Instinctivement, je le cherche. Lorsque je l'aperçois, une bière à la main, je me sens apaisé. Il est là.

— Sacha ! s'écrie Lucas en me voyant arriver.

— Salut les amis, vous allez bien ?

Je fais la bise à Marie et Camille, serre la main que me tend Guillaume, le meilleur ami et, lorsque c'est au tour de Lucas, celui-ci me serre dans ses bras avant que je n'ai le temps de réagir. Son corps chaud contre le mien et son parfum me transcendent et fait monter la température d'un cran, faisant rougir violemment mes joues. Je lui rends maladroitement son étreinte et lorsque nous nous séparons, j'évite son regard, préférant m'accrocher à celui de Louise, qui sourit d'un rictus narquois. Je lui fais les gros yeux avant de reporter mon attention sur la conversation. Très vite, je décroche à nouveau, et je laisse mes yeux dériver sur le visage de Lucas devant moi. Ils s'accrochent à ses yeux verts, son nez parfait que certains pourraient qualifier de bossu, ses lèvres roses humides à cause de la gorgée de bière qu'il vient de prendre, son cou et sa clavicule gauche que son t-shirt laisse entrevoir. Soudain, je croise son regard sur moi. Nouveau coup de chaud, de honte cette fois-ci. Mais il me sourit et je respire à nouveau.

La soirée se lance enfin, et très vite, on pousse les meubles pour faire de la place pour notre piste de danse improvisée. Enfin, je n'y mettrais pas les pieds, comme à chaque fois. J'ai bien trop honte pour pouvoir danser. Louise tente plusieurs fois de me lever du fauteuil, sans succès. Tout en sirotant mon verre de vodka orange, je lorgne Lucas, qui sautille sur place au rythme de la musique et semble s'amuser comme un fou. Je meurs d'envie de le rejoindre, de danser et de rire avec lui. Mais à cette simple idée, les battements de mon cœur s'accélèrent.

Il finit par faire signe à ses amis qu'il n'en peut plus, et quitte la piste. Il prend son verre sur la table et s'affale à côté de moi. Il se penche vers moi et son haleine me chatouille l'oreille :

— Ça va, Sacha ? Pourquoi tu ne viens pas danser un peu ?

— Je suis bien ici, lui répondis-je en retour.

Il hausse les épaules et prend une gorgée de sa boisson.

— Je vais fumer, tu veux venir ?

Je hoche vivement la tête. Je ne vais pas laisser passer cette occasion. Nous nous levons et nous sortons dehors. Le froid nous cueille de plein fouet mais je ne bronche pas. Pour rien au monde je ne voudrais rentrer.

Lucas allume sa cigarette et tire dessus.

— Tu sais, je pensais pas que tu pouvais être aussi cool. C'est vrai, ajoute-t-il devant mon froncement de sourcil, tu es plutôt du genre solitaire et à aller à la bibliothèque du lycée plutôt que de sortir et de t'amuser.

— Je m'amuse aussi...

— Oui, je sais, pardon, c'est pas ce que je voulais dire, me coupe-t-il. Mais tu m'as compris ?

Je ris devant sa mimique désolée. Le silence revient mais il n'est pas pesant.

— Tu veux ? me demande-t-il en tendant sa cigarette.

Je réfléchis quelques instants.

— Si tu veux.

Je me saisis de la cigarette et tire dessus. Je recrache aussitôt la fumée lorsqu'elle me brûle les poumons et manque de m'étouffer.

— Putain !

Lucas rit et reprend la cigarette.

— Je t'aime bien Sacha, t'es drôle.

Mon cœur rate un battement et je relève les yeux. Son regard m'envoûte instantanément et je m'y noie. Soudain, mon cerveau grille et je franchis l'espace qui nous sépare pour l'embrasser.

Lucas reste de marbre sous mes lèvres.

Je romps le contact et la honte me submerge.

— Je...

Je ne dis rien, tétanisé par le regard ardent qu'il pose sur moi.

— Je suis désolé, je ne suis pas... T'es vraiment un bon pote, Sacha. Mais je... je ne peux pas...

Mon cerveau m'ordonne d'ouvrir la bouche pour avaler une goulée d'air.

— Désolé, c'est moi... Oublie, d'accord ?

Je sens les larmes monter, alors je me précipite à l'intérieur de la maison, enfin soulagé d'échapper à ses yeux qui me transpercent de part en part.

La chaleur qui contraste avec le froid de dehors me coupe la respiration lorsque je déboule dans le salon. Je cherche du regard Louise, la trouve, l'arrache à sa danse endiablée et lui crie à l'oreille :

— Je m'en vais, à plus.

— Quoi ? Tu t'en vas déjà ? Mais pourquoi ? bégaye-t-elle tant bien que mal à cause de l'alcool.

Je ne prends pas la peine de lui répondre. Tout ce que je veux, c'est fuir cette baraque. Fuir la douleur qui cisaille ma poitrine. Je récupère mon manteau et claque la porte derrière moi.

Les larmes qui cascadent sur mes joues sont comme des lames de rasoir sous l'assaut du vent qui s'est levé. Elles me coupent, me brûlent, me taillent, m'empêchant de voir à plus de 10 mètres devant moi. J'ai honte. Honte de ce que j'ai fait, honte d'avoir cru cela possible, honte de moi. Je marche à l'aveuglette, ne sachant où je suis ni même ou je vais. Tout ce que je veux, c'est mettre le plus d'écart possible entre Lucas et moi. Entre ma vie et moi.

Ce n'est que lorsque j'aperçois un pont que je comprends que je me suis perdu. Quelle idée de partir à pied alors qu'il a fallu un quart d'heure en bus pour venir ?

Je m'approche du seul point de repère que j'ai dans cette immensité de bitume et de béton qui m'entoure. Lorsque je parviens au pont, je m'arrête et me penche par dessus le petit muret. Je devine plus que je vois l'eau en contrebas grâce au clapotis que j'entends.

Je m’affaisse sur le muret et colle mon front à la pierre froide. Je laisse échapper ma douleur et mes hoquets se transforment en sanglots qui secouent tout mon corps.

J'avise alors le rebord et trouve la force de monter dessus. J’essuie mon visage trempé pour pouvoir plonger mon regard vers le néant sous mes pieds. J'enfouis mes mains dans mes poches et mes doigts rencontrent alors un bout de papier. Comprenant ce que c'est, un sanglot menace de s'emparer à nouveau de moi mais je résiste. À la place, je déplie le bout de papier et le dessin que j'ai fait hier s'offre à la lumière jaunâtre du lampadaire. Lorsque mes yeux glissent sur la feuille, les dernières barrières cèdent et je me laisse emporter par le tsunami qui se referme sur moi.

***

Quelque part non loin du petit pont, une feuille de papier dérive sur le fleuve. Elle finit par se coincer dans une branche d'arbre qui baigne dans l'eau froide près de la berge. Le portrait qui y ait dessiné est quasiment estompé, emportant avec lui les dernières réminiscences d'un amour qui appartient déjà au passé.

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