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  • Allez, c’est l’heure de la toilette !
  • Je suis une grande fille, je peux peut-être prendre une douche ?
  • Bien sûr, si tu t’en sens capable.

L’aide-soignante me soutient quand je me lève et me prend le bras pour aller jusqu’à la salle de bain.

  • Tu veux que je t’aide ?
  • Ça devrait aller.
  • Tu sonnes si tu as un problème, je suis dans la chambre d’à côté.

Depuis le temps qu’elle fait ma toilette, mon intimité n’a plus aucun secret pour elle, mais j’ai envie d’être seule. Ce n’est pas la douche qui m’intéresse, plutôt le miroir au-dessus du lavabo.

J’ai tout à fait conscience d’être faible et décharnée, mais je veux le voir.

Je me suis retournée en pensant voir maman derrière moi. Maman qui s’éteignait doucement, amaigrie, la peau transparente, telle que nous l’avions vue sur son lit d’hôpital le dernier jour. Pas encore morte, mais déjà, plus vraiment vivante.

Mais non, c’est bien moi qui me reflète dans le miroir

C’est la première fois que je vois mon visage depuis que je suis réveillée.

Je laisse glisser ma chemise de nuit à mes pieds.

Je ressemble à un cadavre mais je suis vivante : elle était aux portes de la mort, je suis aux portes de la vie : blême, efflanquée, squelettique, ce qu’il me reste de seins tombent lamentablement comme deux vieux gants de toilettes, je n’ai plus de hanches, plus de cul. Déesse oubliée de la laideur, sortie de l’ombre où on l’avait cloitrée. Une rescapée des limbes. Mais vivante !

Du bout des doigts je suis la ligne presque parfaite formée par les quatre cicatrices rondes, partant de sous mon sein droit jusqu’à mon épaule gauche. Découpez en suivant les pointillés...

  • Ça va Léa ?

C’est Alexandra. Sans attendre de réponse elle ouvre la porte et me trouve devant le miroir, fascinée par le spectacle morbide de mon cadavre encore debout.

  • C’est un peu tôt pour ça... Ne t’inquiète pas, tu vas redevenir comme avant. Tu vas refaire ta masse musculaire, reprendre du poids. Ce n’est qu’une question de temps, je te le promets.

Sans me demander mon avis elle me prend par le bras et me conduit à la douche. Je me laisse faire.

  • Il y a un siège, tu peux t'assoir. Si tu as besoin d'aide, tu m'appelle.

Je n'ai pas eu besoin d'aide. Quand je suis sortie, elle avait masqué le miroir avec une serviette de toilette.

Elle m'attend assise sur le lit.

  • On part en ballade, cet après-midi, je t'emmène à la plage. Il faut que tu prennes l’air.

Elle me montre un sac posé à côté d’elle

Habille-toi, tu n'es pas épaisse mais ça t'ira. Et je ne veux plus te voir devant le miroir, c'est pas bon pour le moral.

  • C'est quoi les cicatrices que j'ai sur les fesses et les cuisses ?
  • Des morsures...des rats sans doute. Ce n’est pas beau, c’était infecté, mais c’est guéri.

Finalement, c’est elle qui m’habille, comme une poupée. Puis, elle me tend sa main ouverte, avec, posé sur sa paume, le médaillon de Max.

  • Je crois que c’est à toi...

Je le prends et je le serre dans mes mains tremblantes et je le porte à mes lèvres. J’ai les larmes aux yeux. Alex sourit et m'aide à boucler le fermoir.

  • Ce n’est pas l’océan, mais ça te fera du bien.

*****

La mer à la couleur du ciel qui roule de lourds nuages sombres poussés par un vent glacial. Emmitouflée sous une couverture, je grelote, mais je ne donnerai ma place pour rien au monde. Je respire à plein poumons le vent du large.

Alex pousse mon fauteuil sur la jetée jusqu'à la margelle.

Un éclair semblant surgir de la mer fend l’horizon en deux mais le tonnerre se perd, emporté par le vent et les vagues avant d'arriver jusqu'à nous.

Plus près, un rayon de soleil déchire les nuages et dessine à la surface de l’eau un ilot de lumière dont le relief change au gré des vagues.

  • C'est le Bon Dieu qui te cherche, tu manques à l’appel !

Elle sourit en disant ça, je l'entends dans sa voix.

Le voile de nuages se referme, Il ne m’a pas trouvée.

Debout derrière mon fauteuil, elle pose ses mains sur mes épaules. Puis, sans doute pour les réchauffer, elle les glisse sous mon écharpe, contre mon cou. Je frissonne.

Elle se fait caressante quand elle les remonte et effleure ma joue. Surprise, je lève la tête vers elle. Et, dans ma poitrine, mon cœur explose.

C'est Max qui a pris sa place ! Il est penché vers moi, comme dans un rêve !

Je l'attrape par le cou et l'attire contre moi de toutes mes forces.

Je glisse mon nez glacé sous son col et je m'enivre de son odeur.

J'aperçois Alexandra qui nous regarde en souriant. Elle me fait un petit geste de la main avant de se retourner et de s'éloigner vers l'hôpital.

  • Si je promets de ne pas repartir tout de suite, te me lâche ?
  • Non, plus jamais.

Il se contorsionne pour passer devant moi.

Il a pris mon visage entre ses mains et il me dit tous les mots doux que je voulais entendre. Je ne pleure pas. C'est lui qui a la voix tremblante, une grosse larme au coin de l'œil. Je l'essuie de mon pouce que je suce comme une gourmandise rare et je pense qu'elle a le gout de la mer derrière lui.

  • Il ne faut pas pleurer…
  • Je ne pleure pas. Je t'ai tenue morte dans mes bras et tu es là mon cœur.
  • Je n'étais pas morte, je faisais semblant.
  • Tu faisais bien semblant.
  • Je voudrais marcher pieds nus dans le sable…

Il saisit au vol la diversion, se lève et pousse mon fauteuil jusqu'aux escaliers.

Agenouillé devant moi, il me déchausse, me prend dans ses bras et nous descendons sur la plage.

Il me dépose doucement sur le sable. J’aime le froid sous mes pieds et la piqure du sable, soulevé par le vent, qui fouette mes chevilles,

  • On va vers où ?
  • Jusqu'à la mer !

Je m'accroche à son bras, nous avançons vers la mer. Juste quelques pas, parce que je ne suis pas capable de faire plus.

  • La mer monte. On pourrait s'assoir ici et attendre qu'elle arrive jusqu'à nous ?

Je me laisse tomber au sol en guise de réponse.

Il va chercher la couverture et, bien à l'abri du vent et du sable qui tourbillonne, nous attendons la mer, serrés l'un contre l'autre.

Le fantôme d'Hugo passe près de nous, sans laisser de trace sur la plage. Il se tourne vers moi en souriant. Le vent emporte ses paroles mais il dit : Tu sais bien que tu ne m'oublieras jamais.

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