Chapitre 15

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Le sms s'affiche :

“Ce n’est pas la peine d’aller jusqu’à l’horloge, venez nous rejoindre à la table du fond”

Je me retourne. L’homme qui m’avait souri me fait un signe de la tête. Je n’ai plus le choix, je m’avance vers eux. Il se décale sur la chaise d’à côté pour me laisser sa place et m’invite à m'assoir d’un geste.

  • Bonjour Léa.
  • Je... Sur mes papiers je m’appelle Sophie...
  • Je ne vous propose pas un second café, vous n’avez pas bu le vôtre.
  • Il est dégueulasse.
  • C’est vrai, il y a aussi un embargo sur le café...

Celui qui est assis en face de moi m’observe attentivement depuis le début en silence. Il dit à l’autre:

  • La ressemblance est extraordinaire.

Et en se tournant vers moi :

  • C’est pour ça que vous êtes ici. Nous avons besoin de vous. Si vous voulez renoncer, c’est maintenant. Si vous restez, il y aura des risques, beaucoup de risques.

Donnez-moi le téléphone. Nous allons sortir. Dans deux ou trois minutes, une voiture va s’arrêter devant le café. Vous monterez à l’arrière. Il y aura un masque de sommeil sur le siège. Mettez-le et faite semblant de dormir. Ou dormez, la route est longue.

D’un geste, il s’empare du téléphone que je pose devant moi et Ils se lèvent tous les deux. Je recule ma chaise pour laisser passer le premier.

  • A tout de suite. Ou pas, ...vous avez encore le choix.

Je suis montée dans la voiture quand elle s’est arrêtée. La route a été longue, mais je n’ai pas dormi malgré la fatigue, l’obscurité et le bercement régulier de la route.

J’étais peut-être en train de me faire embarquer de mon plein gré par une police secrète chargée de faire disparaitre de la circulation les ennemis du régime. Deux fois, j’ai senti mon téléphone vibrer mais je n’ai pas osé y toucher : ni l‘éteindre, ni répondre.

J'avais très envie de faire pipi aussi. J'ai pensé aux héros de mes romans d’aventures qui n’avaient jamais ce genre de problèmes et dans d’autres circonstance je me serais mise à rire.

Je ne savais pas quoi faire de mes mains alors je serrais mon sac contre moi. Je sentais le pistolet à travers le tissu. Ils ne m’avaient même pas fouillée : confiance ou amateurisme. Ou bien, ils n’imaginaient même pas que je puisse représenter un danger pour eux.

C’est une ancienne ferme transformée en chambres d’hôtes, mais l’endroit ressemble plus à un refuge d’Emaüs ou à un repère de marginaux. Je suis la seule fille alors j’ai droit à une chambre individuelle. Les toilettes sont au bout du couloir, mais d’abord j’ai rassuré Maxime :

“Tout va bien, je suis à la campagne. Je t’aime”

“Meublé pourri sous le périph mais je t’aime quand même”

La pièce est petite, basse de plafond et poussiéreuse. Derrière une table à tréteaux, l’homme me regarde en silence le visage à moitié caché par ses mains jointes, les pouces soutenant son menton.

Il me fait penser à un directeur de colo et je ne peux m’empêcher de sourire. Il sourit aussi.

  • Vous auriez pu laisser votre sac dans la chambre.
  • J’ai une arme dedans, un pistolet

Il réprime un sursaut.

  • Ces baltringues ne vous ont pas fouillée ?
  • Non.
  • Vous savez vous en servir ?
  • Oui.
  • Elle a déjà servie ?
  • Non, pas avec moi en tout cas.
  • Je peux la voir ?

Je mets l’arme en sécurité et je la lui tends crosse en avant. Il semble apprécier la manipulation.

  • C’est une arme de flic. Vous vous l’êtes procurée comment ?

Je lui raconte l’épisode de l’hôpital.

  • Il y a eu beaucoup de flics tués les tous premiers jours. Il y en a parmi nous, mais la plupart ont prêté allégeance au nouveau pouvoir. Je ne les juge pas. C’est un énorme sacrifice de mettre en danger les siens pour une lutte idéologique. Mais un jour, nous serons amenés à nous entretuer...

Il me regarde, silencieux.

  • Mon père est policier.

Il ignore ce que je viens de dire.

  • Si vous êtes ici, c’est parce que Platon pense que vous serez à la hauteur de ce que nous attendons de vous. Et qu’il a confiance en vous. Et si Platon a confiance en vous, j’ai confiance en vous.

Ce n’est pas du tout ce que je ressens.

  • Qui est Platon ?
  • Un philosophe grec qui pensait que la démocratie portait en elle les germes de la tyrannie...
  • Mais encore ?
  • Le chef du réseau, mais peu importe... Moins tu en sauras sur le réseau, et moins le réseau en saura sur toi, plus tout le monde se portera mieux. Tu ne peux pas trahir quelqu'un que tu ne connais pas...

Il me tutoie.

  • Je ne parle pas de trahison volontaire. Mais dans certaines circonstances, on donnerait même sa mère pour arrêter de souffrir ! C'est pas donné à tout le monde d'être recommandé par Platon. Tu n’as aucun fait d'arme, s'il n’avait pas confiance en toi tu ne serais pas là.

Il n'y a qu'une seule personne qui me connaisse : Gérard Pasquier... Son nom de code est donc Platon. Je souris ça ne m'étonne pas. Ainsi, ce petit homme rondouillard que se cache dans son pavillon de banlieue en province est chef d'un réseau de résistants ! J'ai frappé à la bonne porte !

Je ne dis rien, je ne suis pas sure qu’il apprécie que j’en sache autant.

Il me regarde à nouveau en silence. Il me scrute, malgré ce qu’il vient de dire, il n’a pas encore confiance en moi. Il a juste confiance en Platon qui a confiance en moi et il essaye de se convaincre que c’est suffisant.

  • Quand tu auras été identifiée par les gens que nous combattons, ta vie ne tiendra qu’à un fil et même ta famille sera en danger. Est-ce que tu es prête à les mettre en danger ?

Je pense à Camille et Lucas. Je n’ai pas attendu qu’il me pose la question pour avoir conscience des risques que je leur faisais courir.

  • Normalement ils sont en sécurité en Espagne, j’espère. Papa ? Je n’ai pas de nouvelle depuis le premier jour.
  • Le mieux, c’est de faire comme s'il était déjà mort.

Il dit ça d’une voix douce, mais je prends une grande claque. Pourtant il a raison et depuis le début, c’est ce que je fais, je parle à papa comme à un mort qui pourrait me guider de son au-delà, comme Lucas parle à maman. A chacun ses fantômes.

Il repousse le pistolet vers moi et se lève brusquement. L'entretien est terminé, je n'en saurais pas plus pour le moment.

  • Ici, on m'appelle Jo. Toi, ce sera... Élise, c'est bien Élise. Viens, je vais te présenter aux autres. J’ai confiance en toi !

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