La conférence

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Vilem avait reçu une invitation de l’Université de Prague pour donner une conférence sur la crise énergétique. Bien qu’il fût débordé par l’organisation du rassemblement, il avait accepté la proposition. L’université Charles de Prague, prestigieuse et historique université de la République Tchèque, était logée dans un grand bâtiment baroque. L’amphithéâtre était plein, plus d’un millier de personnes étaient venues pour assister à cette conférence. Bien que ce ne fût pas la première de ses apparitions en public, jamais Vilem n’avait été aussi nerveux. Il scrutait tous ces visages venus l’applaudir, jeunes, vieux, en costumes ou en jeans, tous avaient un regard bienveillant et empli d’un espoir nouveau. Il ne devait pas les décevoir.

Vilem se courba et sourit en signe de remerciements.

— S’il vous plait, n’applaudissez pas trop, les agents des services secrets vont avoir des problèmes d’audition avant l’âge, commença-t-il.

Les rires fusèrent dans la salle puis le public prit place dans les sièges. Le calme était revenu et tous les regards étaient désormais tournés vers Vilem, seulement éclairé par un spot unique, laissant le reste de la scène dans le noir.

— Je vous remercie sincèrement pour vos applaudissements et votre soutien. Je crois que lors de la première conférence que j’ai faite ici, nous étions à peu près dix, moi compris.

L’assistance gloussa.

— J’étais venu parler de crise géopolitique énergétique à des étudiants, la pire des choses à faire. D’ailleurs, à leurs âges, j’aurais préféré aller boire une bière ou faire du sport plutôt que d’entendre ça. Mais, si nous sommes réunis ce soir, ce n’est pas pour discuter du manque d’audience à mes conférences, mon psy s’en charge pour moi.

Rires.

— Parce que nous vivons une situation politique et sociale des plus instables et que nous avons besoin de discernement pour comprendre ce qu’il se passe, je suis venu vous parler de causes qui sont en grande partie à l’origine de ces maux. Que vous soyez d’accord ou non avec mon approche, je respecte votre position, vous êtes les seuls maîtres de votre opinion. Je n’ai pas ma carte dans un parti ni de stocks options dans des entreprises d’énergies renouvelables. J’ai étudié pendant des années les relations qu’il pouvait y avoir entre la crise énergétique et climatique et les crises sociétales. La plupart des historiens reconnaissent que la disparition des civilisations est intimement liée aux problèmes de ressources. Angkor a décliné en grande partie à cause de son système d’irrigation, le peuple de Pacques par le manque de ressources forestières et les Anasazis, peuple amérindien du Nouveau Mexique s’est probablement éteint par la combinaison de ses deux dernières causes. Pour ne citer qu’eux. Je ne dis pas que les causes climatiques et énergétiques sont les seules raisons de notre crise actuelle mais elles sont clairement les composantes principales de la déstabilisation de notre système.

Vilem détailla longuement l’impact direct de la tension en approvisionnement énergétique sur la stabilité politique, économique et sociale d’un pays.

— Alors, vous allez me poser la question des énergies renouvelables. Mais je dis oui bien sûr ! Je suis bien évidemment pour leur déploiement massif à condition que leur développement soit logique et non démagogique. Faisons de l’hydraulique quand il y a des montagnes, de la biomasse quand il y a des déchets agricoles perdus, de l’éolien quand il y a du vent et du solaire quand il y a du soleil. Cela vous fait peut être sourire mais nous développons encore des politiques de l’énergie irraisonnées, nous faisons du solaire dans le nord de l’Allemagne, nous créons des fermes industrielles pour vendre de l’électricité issu de la biomasse en délaissant l’agriculture, nous érigeons des parcs éoliens pour satisfaire des candidatures politiques bien pensantes et nous construisons des barrages dans des zones en sécheresses potentielles. Alors, oui aux énergies renouvelables mais soyons sérieux dans l’approche scientifique du problème.

De nombreuses questions fusèrent sur la sécurité de l’approvisionnement, la capacité des énergies renouvelables à répondre aux besoins du pays, les paradis fiscaux, la politique énergétique à propos de laquelle le gouvernement n’avait jamais été pédagogue, autant de questions qui révélaient un intérêt certain pour un sujet qui avait été longtemps l’apanage des élites. Vilem tenta de rassurer l’audience inquiète sur la situation tout en démystifiant les idées reçues propagées par le gouvernement et les médias de masse. Il se garda de faire la promotion de l’appel, cette conférence ne devait pas se transformer en meeting politique.

Un homme au grand manteau gris se faufila à la sortie de la conférence et l’aborda.

— Oleg, que faites-vous là ? Je croyais avoir été clair la dernière fois.

— Vilem, c’était une très belle prestation, félicitations. Pouvez-vous m’accorder cinq minutes en privé ?

Vilem s’excusa auprès des personnes venues l’interroger et emmena Oleg à l’écart.

— Oleg, je…

— Je n’en ai pas pour longtemps Vilem, le coupa-t-il. La prophétie se réalise. Je vous avais prévenu sur le délitement de la société, non ? Regardez-maintenant, ce sont les télécommunications qui tombent et les voitures restent dans leurs garages. Si vous ne voyez pas la complicité du gouvernement dans cette déroute, vous êtes aveugle.

— Vous interprétez une nouvelle fois les faits pour servir votre idéologie.

— Je ne parle pas de politique, je parle de l’approche intellectuelle du problème. Il y a des lacunes dans votre réflexion, j’ai été agréablement surpris que vous évoquiez les thèses de Diamond sans le citer mais déçu par les conclusions que vous en avez tirées. Ne voyez-vous pas l’évident ? Le déclin dont vous parlez est plus grand que vous ne le pensez et il est volontairement organisé par un spectre très large de personnes.

— Vous avez fini Oleg ? Je n’ai plus rien à vous dire, fit Vilem en se détournant de son interlocuteur.

— C’est très dommage que vous le preniez de cette façon. L’avenir nous montrera avec clarté tout cela, vous verrez ! cria Oleg alors que Vilem retournait à la séance de questions.

Vilem quitta l’Université vers minuit. Le public avait déserté depuis longtemps l’amphithéâtre. Une nuit sans lune l’accueillit froidement dans les ruelles vides. Le choix de Vilem d’être opaque aux paroles d’Oleg le mettait dans une situation d’inconfort. Certains de ses arguments n’étaient pas infondés mais Oleg savait bien combler les situations obscures par des éléments de sa théorie. L’esprit était aisément malléable et les hommes de charisme s’en servaient sans vergogne pour faire asseoir leurs idéaux. Vilem s’était donc résolu à maintenir le cap de ses pensées, quitte à se tromper, quitte à passer à côté de certaines choses. Le temps était seul pourvoyeur de vérité.

C

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