Un soir de l’année 2956

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“Mayday! Mayday! The ship is slowly sinking. They think I'm crazy but they don't know the feeling.”
Extrait de la chanson My demons de Starset.

« Au vingt-unième siècle, des scientifiques français ont développé une nouvelle biotechnologie – appelée CrispR-Cas9 – qui, comme l'on s'en apercevrait plus tard, serait le point de départ d’une civilisation. A l’instar d’un couteau suisse, cet outil multitâche permettait de cibler un gène, de le stimuler ou au contraire de le réprimer, de le réparer ou même de le remplacer par un autre. Aussitôt que la nouvelle fut connue, les journalistes, tels des oiseaux de proie, se saisirent de l'information, y accolant le terme de science-fiction... sans se douter à quel point ils avaient raison.
Car, bien que dans ce cas, la technologie existât déjà, au contraire des robots tueurs ou des extraterrestres, nul scientifique n'avait encore imaginé ses conséquences sur l’humanité – qu’elles soient positives ou négatives. Et surtout envisagé que grâce à CrispR-Cas9, une association de termes compliqués qui étaient à eux seuls les prémices de l’évolution humaine, naîtrait un jour la génération des Homo sapiens absolus. Lorsque les premiers enfants absolutis furent révélés aux yeux de tous, un scandale planétaire avait bien évidemment éclaté. Nos ancêtres avait déjà connu à l’aube du deuxième millénaire, deux guerres mondiales sous fond d’eugénisme racial. Alors, la peur était bien sûr légitime. Mais bien vite, l’Homme oublia ses principes éthiques contre la promesse d’une vie sans maladie. Si bien qu'au crépuscule du troisième millénaire, la nouvelle Humanité avait atteint l'apogée de sa perfection, comme les médias s’exaltaient à le répéter dans les documentaires historiques. L’Homo sapiens absolus ne pouvait développer ni cancer, ni maladie génétique, et résistait à toute infection qu’elle soit virale ou bactérienne. »


Méryl mâchouilla son stylet, tout en tapotant nerveusement sa tablette de la main gauche. Se relisant, elle tiqua en imaginant le Professeur Muller, son directeur de thèse lui faire une remarque cinglante. C’est beaucoup trop romancé, mademoiselle Tancray. C’est une thèse que vous écrivez, l’imagina-t-elle lui dire. Tout le monde connaît cette histoire, pas la peine de la développer.


« Bien sûr que tout le monde connait cette histoire », maugréa Méryl, puisque c’était leur histoire. Les derniers Homo sapiens sapiens avaient laissé place à la nouvelle génération d’absolutis, il y a environ un siècle. L’humain de l’an 2000, comme il était souvent appelé, trouvait à présent son squelette exposé dans les musées de paléontologie au côté de ses confrères disparus les Homo neanderthalensis, erectus ou habilis. L’étudiante faisait une thèse sur l’évolution humaine, d’un point de vue plus anthropologique que biologique. Pour elle, il était indispensable de rappeler les bases historiques, les populaces ayant une fâcheuse tendance à oublier le passé, en particulier lorsque celui-ci n’est pas glorieux. Soudain, la porte de son bureau s’ouvrit brusquement, la faisant sursauter. Son collègue Léonard la regardait, goguenard, appuyé contre l’encadrement de la porte.
– Tu ne peux pas frapper avant d’entrer ! vociféra-t-elle.
– Je crois que ce que je préfère chez toi, c'est ta personnalité naturellement accueillante, ironisa le doctorant en entrant dans la pièce.
Ce dernier se jeta sur la chaise de bureau et regarda son amie en battant des paupières de manière innocente. La jeune femme soupira avant de lui accorder un sourire contrit.
– Désolée, j’étais hyper concentrée. J’ai l’impression que cela fait des heures que je travaille.
– C’est peut-être parce que cela fait des heures que tu travailles, répondit-il en lui pointant du doigt l’horloge. A force de bosser dans les conditions du vingt et unième siècle, tu perds la notion du temps !


Levant les yeux vers l'horloge, elle s'aperçut en effet qu'il était déjà cinq heures de l’après-midi. Elle avait oublié de déjeuner. Méryl plissa les yeux de défi à la dernière remarque de son camarade. Au cours de ses recherches, elle avait sauvé de la destruction une série de carnets datant de la première moitié du millénaire en cours. Étudiant le passé, elle trouvait logique et écologique de les utiliser dans le cadre ses recherches. Le papier était devenu obsolète il y avait déjà quatre siècles, à la suite du traité mondial de conservation des forêts et du développement de composants numériques biodégradables.


– Très drôle, reprit la jeune femme, de nouveau sur la défensive. Tu es venu pour quoi par ailleurs ?
– Je voulais te demander si tu venais au repas des doctorants ce soir. Mais je sens que tu es de mauvaise humeur, fit remarquer son ami dans un demi-sourire.
– Non, soupira-t-elle. Je suis juste fatiguée et tendue. Et non pour ce soir. C’est vraiment très gentil, mais j’ai pris beaucoup de retard avec la correction des copies et je dois rendre mon premier chapitre à Muller dans une semaine…
– Je m’en doutais, lui lança-t-il sans cacher sa déception. Tiens, je ne suis pas venu pour rien. Il y avait ça devant ta porte, continua-t-il en lui tendant un paquet.


Méryl saisit le colis en polymères bio-sourcés recouvert de nanoquide, ce nouveau liquide qui imperméabilisait toute substance sans altérer ses propriétés originelles. Un détail piqua son attention. Pas d’expéditeur. Pas non plus de code source attaché, alors que c’est normalement intégré à tous les nouveaux papiers nanoquides depuis deux ans, se dit-elle. D’un geste assuré mais prudent, elle inséra son ongle sous le dispositif d’ouverture métallique. Une note numérique était accrochée : « Mademoiselle Tancray, vous trouverez dans ces mots des fragments d’un passé que certains veulent cacher. En espérant qu’ils vous apporteront les réponses que vous cherchez ». Tandis qu'elle parcourait la série de documents – protégés sous vide – qui se trouvaient sous ses yeux, Méryl sentit plusieurs sentiments opposés s’infiltrer dans ses veines. Retenant sa respiration, elle fixa, incrédule, un article datant des années 2500 intitulé « Crispeurs ».

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