VIII

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Assis côte à côte dans le bourdonnement des machines et des passagers, Béatrice et moi laissons planer un silence plein d'appréhension.

Le hublot près de moi, noir de nuit, me laisse deviner quand je m'approche de lui pour regarder au travers, les lumières du tarmac.

J'ignore ce qui est pire : voir le vide et la nuit ou bien ne pas les voir mais les savoir de l'autre côté des parois de l'habitacle.

Le tintement et le voyant des ceintures se met à clignoter.

Je m'attache.

Le bruit des moteurs couvre le bruit des conversations et de la climatisation.

Je fixe l'appui-tête du siège qui me devance, mes mains accrochées aux accoudoirs.

Un message de bienvenue du commandant de bord, enjoué, amiable, chaleureux, confiant.

Flippant.

Dans les films, c'est toujours lorsqu'on montre ces scène que l'avion s'écrase ou qu'un taré pète un câble parmi les passagers.

Ma respiration s'accélère et mes doigts se plantent dans les accoudoirs.

L'appareil se met lourdement en mouvement.

Lourdement.

Un gémissement m'échappe, pitoyable.

Une plainte de chiot terrifié qui va se pisser dessus.

Un contact sur ma main me fait sursauter et je tourne vivement mon regard vers elle pour découvrir ce que c'est.

Une main.

Une main sur ma main.

Une main fine et fraîche.

Je remonte le long du poignet vers le bras, l'épaule, et je découvre au bout de cette main amicale un sourire, un regard, un visage encourageants.

Je m'accroche des yeux à se regard.

Ma main se relâche.

Mon corps se décrispe.

Ma respiration s'apaise.

Je lui souris en retour.

Je ressens à nouveau cet étrange vertige agréable.

Pourtant, on n'a pas décollé.

Nos yeux restent plantés les uns dans les autres tandis que l'avion vire, tandis que l'avion se place, tandis que l'avion repart, tandis que l'avion accélère.

La main de Béatrice presse peu à peu la mienne tandis que son sourire se crispe. Je pose ma seconde main sur la sienne.

C'est à mon tour de sourire pour deux.

Dans un rugissement des turbines, nous fermons les yeux, nos mains serrées, puis c'est l'arrachement du sol, cette sensation de manège.

Puis plus rien.

Nous flottons sans chaos, sans vibration autre que celle des moteurs.

Nos doigts toujours entremêlés, nous détachons nos regards pour nous pencher vers le hublot où les lumières se multiplient tandis que l'on s'élève.

Plusieurs, minutes, nous nous laissons captiver par la vue étonnante et singulière de cette ville lumineuse dans son écrin de nuit, de ces serpents rouges et blancs qui étincellent dans le quadrillage obscur de l'urbanisation mangée de ténèbres.

Puis nous sommes trop hauts et des nuages dissimulent le sol à nos yeux.

Nous volons !

Je regarde à nouveau Béatrice, souriant comme un môme et, brusquement, je prends conscience que nous nous tenons toujours les mains et je rougis comme un enfant pris en flagrant délit la main dans un bocal de bonbons qui ne lui appartient pas.

Un instant de gêne durant lequel nos mains se desserrent, lâchent prise et reviennent chez leurs propriétaires respectifs.

Gros silence pendant lequel nous examinons consciencieusement le tissu du siège qui nous fait face, dénombrant les nuances, les vis, appréciant les textures, suivant les coutures.

Puis, quand la tension devient insupportable, je laisse fuser dans un murmure :

- Merci.

Sa voix, mêlée à la mienne, prononce le même mot au même moment.

Je me tourne vers elle qui s'est tournée vers moi et, nos yeux pétillants de bonne humeur, nous partons tous deux dans un fou-rire aussi soudain que bruyant.

Quelques claquements de langue et sourcils froncés nous aident à nous canaliser et, nos langues débloquées, nous nous repassons le fil de nos émotions et sensations lors de ce décollage qui, pour Béatrice comme pour moi, était le premier de notre vie.

Pleins de gaieté, nous causons comme deux amis qui partent en vacances.

Par le hublot, le halo blanchâtre de la lune éclaire une mer de nuages de coton. La vue est fascinante et, quelques instants, nous nous taisons pour contempler ce paysage incroyable sous les étoiles innombrables, épaule contre épaule, respirant le même air, le cœur battant au même rythme de notre joie.

Moi, Frère des Esprits, et elle, Cœur de Lune.

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