II

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- Tu crois qu'on a eu tort de signer ?

La question de Béatrice fait écho à mon inquiétude.

- Je ne sais pas. Mais je me voyais mal refuser devant tous nos formateurs et j'étais pas à l'aise pour pinailler avec tous ces regards...

Les enfoirés.

Ils nous ont piégés.

Manœuvre magistrale.

Magistrale mais prévisible.

Les enfoirés.

J'ignore si Jérôme ou Karim étaient dans le secret de ce traquenard, mais leur coopération les a salis à mes yeux.

- Espérons que nous ne venons pas de signer nos actes de démission...

Je me retourne vivement vers Béatrice, paniqué.

Elle sourit.

- Après tout, nos valises sont prêtes et j'ai bien envie d'aller découvrir ce pays.

Je souris faiblement à sa blague. J'ai peur que derrière l'humour ne se cache cette triste vérité : nous avons signé notre arrêt de mort.

- Il nous faut une copie !

Je ressors en trombe du bureau pour foncer sur mademoiselle Rossignol.

Qui a déserté son poste pour la pause déjeuner.

L'étage est silencieux, vide.

Plus personne n'est là.

Je regarde dans les papiers de la secrétaire mais rien.

C'est Riggson qui les a gardés.

Je reviens, piteux, vers Béatrice qui m'observe depuis l'encadrement de la porte.

- C'est fait, dit-elle avec résignation. Profitons de l'après-midi et du voyage maintenant !

J'acquiesce, confus.

Que vais-je faire de cet après-midi, moi ? Je n'ai rien prévu. Avec ma grosse valise, je devais filer chez Prakaash puis à l'aéroport ! Chez moi, je n'ai plus rien à y faire...

- Je sais pas quoi faire, du coup ! me lance Béatrice. On déjeune ensemble ? C'est ton tour de régaler, il me semble !

- Avec plaisir !

Et, en effet, cette proposition chasse mes préoccupations immédiatement et mon sourire se fait plus franc.

- On laisse les valises ici ? je propose, pragmatique, mais cette perspective fait renaître au creux de mon ventre une boule d'appréhension à l'idée de revenir plus tard et d'affronter Fauvel, Rorgal ou même Rossignol - ou de croiser Jérôme ou Karim, que je ne suis pas loin de considérer comme des traîtres.

- J'avoue que je n'ai pas tellement envie de revenir...

- Parfait ! Moi non plus ! conclus-je, ravi que nous soyons raccord.

Non sans une petite protestation de mon corps déjà endolori et une sensation de brûlure dans ma paume où des ampoules commencent à se former, je récupère mes affaires, et notamment le cheval mort qui me sert de valise, et je suis comme je peux ma partenaire.

Partenaire.

Le mot m'est venu spontanément.

Avec toutes les subtilités de sens qu'il renferme.

Les papillons reviennent voleter furieusement dans la cage de mon cœur, venant disperser le nœud de vipères.

- J'ai hâte de partir, maintenant ! je lâche spontanément.

- Moi aussi ! s'étonne-t-elle. Bizarre, mais maintenant que tout est prêt, j'ai l'impression de ne plus avoir ma place ici !

- Pareil, dis-je en me tournant vers elle tandis que les portes de l'ascenseur se referment.

Dans la promiscuité de la cabine, nos visages sont très proches et nos corps se frôlent.

Je retrouve ce vertige éprouvé la veille quand nous avions failli – la vision de Béatrice-pas-Béatrice embrassant un autre homme me revient, rompant le charme par un accès de colère et de souffrance.

Mais qu'est-ce que c'est que cette vision ?

- Tu veux m'accompagner quand j'irai chercher Elina ?

La proposition de Béatrice me cueille en plein estomac.

J'ignore ce que je ressens, mais ça ressemble fort à du trac, une espèce d'angoisse mêlée d'envie. Un sentiment d'immérité.

- Ce serait un honneur, je finis par répondre, reprenant avec une évidence étrange cette formulation désuète et constatant qu'elle correspond exactement à mon humeur.

Elina est son trésor, son jardin secret.

Et elle m'invite à le découvrir.

Mais ça me met la pression, du coup. Et si je lui déplaisais ?

J'ignore presque totalement ce qu'est un enfant. Quand j'étais moi-même enfant, ils me terrifiaient. Désormais, c'est plutôt une tendresse sacralisante mâtinée de cynisme que j'éprouve pour eux.

- Elle a quel âge ? finis-je par demander tandis que nous traversons le hall de l'immeuble où ne trainent plus qu'un ou deux vigiles à cette heure.

- Elle va avoir sept ans au mois de mai. Elle est petite pour son âge mais adorable, tu verras !

Son enthousiasme m'émeut.

- Je n'en doute pas !

Elle me jette un regard étrange tout en avançant. Nos yeux s'accrochent un instant et je sens le rouge me monter aux joues.

Une diversion, vite !

- Tu as envie de manger quoi ce midi ?

- Je sais pas trop, et toi ?

Je réfléchis rapidement aux différentes alternatives quand je me remémore notre conversation de la veille sur le végétarisme.

- Indien ?

- Parfait !

Et nous plongeons dans la lumière solaire de ce midi printanier.

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