II

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Quand je parviens enfin à mon étage, je suis nauséeux et la tête me tourne. Je m'assieds sur la dernière marche et appuie ma tête sur mes genoux le temps que le malaise passe.

J'écoute les bruits qui me parviennent à travers la porte de la cage d''escaliers. Bourdonnement de voix, raclement de chaises, quelques rires – peu nombreux. Bientôt, chacun s'installera à son poste pour la matinée.

Je dois faire mon entrée maintenant si je veux pouvoir traverser la salle discrètement.

Me hissant de la main à la rampe, je me relève et franchis le seuil pour pénétrer dans l'open space. Je laisse aller la porte derrière moi et examine l'activité de la salle. Chacun a regagné son box et des têtes, déjà, commencent à disparaître derrière les cloisons de séparation.

Le battant claque soudain dans mon dos en me faisant sursauter et une dizaine de têtes se tournent vers moi. Je soutiens leurs regards et m'avance vers mon poste.

Je n'en mène pas large, mais ce peu de confiance retrouvée m'emplit de fierté et j'ai le sentiment sous cette petite vingtaine d'yeux curieux de fendre une foule hostile avec l'indifférence d'un monarque tout-puissant.

Je m'assieds toutefois rapidement sur ma chaise pour me dérober à cet intérêt gênant et tombe nez à post-it sur un message collé sur mon écran.

« Merci de venir dans mon bureau. Hinergeld.»

Avec lui, même la politesse est agressive et menaçante.

Mon stress augmente d'un cran.

Il n'a pas indiqué d'horaire mais je sais bien qu'il veut me voir à mon arrivée.

Une manière de me déstabiliser davantage.

La boule de haine brûlante qui s'est allumée ce matin et qui rêve de consumer Peter-Hinergeld pulse à nouveau au milieu de mon ventre.

Je réfléchis un instant à ce que je vais lui dire.

Et surtout au comment.

Puis, lentement mais fermement, je me relève et marche d'un pas décidé vers le bureau de mon supérieur.

Petit bureau.

Avec une baie vitrée vertigineuse donnant sur les immeubles de la Défense et un abîme de plusieurs dizaines de mètres de fond.

Je m'arrête, toute assurance envolée.

Je respire à fond.

Je visualise le visage de Sophia pour me donner du courage. Je convoque celui d'Alim et de ma mère – celle de Samba. J'invoque le rictus malveillant et sadique de Peter. Je me frotte le visage et m'élance vers la porte sur laquelle je frappe trois coups fermes.

- Entrez.

Là non plus, ce n'est pas une invitation polie.

Je laisse la porte ouverte derrière moi et m'avance d'un pas dans la pièce, à distance respectueuse de la fenêtre. Raide et aussi digne que possible, les poings crispés sur ma colère pour ne pas la laisser s'échapper, j'entame l'échange du ton le plus neutre à ma disposition.

- Bonjour monsieur. Vous souhaitiez me parler ?

J'essaye de trouver la fermeté de voix autoritaire qu'il me réserve habituellement, mais la mienne tremble un peu. Je mets optimistement cela sur le compte de ma férocité nouvelle.

- Je voulais connaître votre réponse quant à ma proposition de lundi dernier. Je n'ai pas eu l'occasion de vous recroiser depuis.

Je ne l'ai visiblement pas déstabilisé et mon manège pour l'éviter n'est apparemment pas passé inaperçu. Une bouffée de honte agacée monte en moi devant ma lâcheté évidente.

- J'avais beaucoup à faire et je réfléchissais à ma décision.

Je suis assez content de moi, cette fois. Mais le regard fixe d'Hinergeld continue de me scruter, autoritaire et impatient.

Son petit sourire mielleux a disparu.

- J'accepte la promotion et les nouvelles responsabilités qui vont avec.

Il arque les sourcils et je comprends soudain que ma réponse le prend totalement au dépourvu. Manifestement, il ne s'attendait pas du tout à ce que j'accepte. Et mon insistance sur les termes de promotion et de responsabilités semble l'agacer.

Il se donne une seconde pour préparer sa réponse, temps durant lequel ses sourcils reviennent à la position sourcilleuse qu'ils occupent habituellement tandis que son regard cherche à percer mes défenses. Enfin, il lâche, comme un pilote de bombardier lâche sa cargaison de mort :

- Bien monsieur Roth. Vous serez lundi prochain en formation au siège et vous irez à la rencontre de nos équipes du Maghreb dès le mois prochain.

Toute mon énergie et toute ma volonté se massent dans mes jambes pour m'empêcher de tomber et sur mon visage pour faire barrage au cri de panique qui monte en moi. Muet, j'acquiesce et je quitte le bureau. M'appuyant au passage sur les cloisons de mes collègues qui, déjà au travail, ignorent ma présence, je m'écroule sur mon fauteuil, tremblant.

Dès que j'ai repris un peu de force, je fonce aussi discrètement que je le peux vers ma seconde étape vitale : les toilettes.

La salle, grande et aux petites fenêtres hautes donnant sur le ciel, me fait moins peur et, surtout, je peux y laisser aller mon angoisse et mon trop-plein d'émotions.

Je me lave ensuite les mains et me rince le visage et la bouche.

Face à moi-même dans le miroir, je tente de reprendre contenance. Que ferait Alim, dans ma situation ? Sans doute qu'il rirait de la réaction presque hébétée du chef. Un petit rire triste m'échappe à la pensée de mon meilleur ami que je n'ai pas connu et qui est mort pour me venger.

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