Pax domus

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C’est ainsi que je repris le chemin de ma chambre : celle que je partageais avec Ren et nos petits. Le sourire lumineux qui apparut sur le visage de mon compagnon lorsqu’il me vit arriver dans nos quartiers le soir suivant dissipa tous mes doutes : Ren était radicalement différent de Krorgo ou de l’ældanide Tínin.

« Comment tu te sens ? me demanda-t-il, concerné, en se poussant pour me faire une place sur le lit.

— Largement mieux, le rassurai-je. Et toi ? Tu en as vu de dures, toi aussi !

Ren chassa cette idée d’un geste de la main.

— Non, ne t’en fais pas. J’ai largement eu le temps de me reposer. Mais je m’inquiétais pour toi.

Je lui rendis son regard.

— Bereth m’a dit, pour Tanit. Est-ce que tu…

Je n’eus pas le temps d’exprimer mes peurs. Ren posa doucement ses longs doigts sur mes lèvres.

— Jamais. Je ne suis pas un objet qu’on utilise à loisir. J’ai déjà amplement donné. Je t’appartiens, Rika, à toi et toi seule. Si tu veux bien de moi... »

Pauvre Ren ! C’était lui qui doutait, désormais. Je lui fis un sourire engageant et me dressai sur les genoux pour l’embrasser. Ren se cala sur le lit, me permettant de venir au-dessus de lui. Prenant son visage entre mes mains, je le regardai.

« Je suis désolée, Ren, lui murmurai-je. Je ne sais pas trop ce que j’ai bien pu raconter dans mon délire, mais quoi que j’ai pu dire, sache que je n’en pensais pas un seul mot. J’étais en plein cauchemar psy.

Il hocha la tête.

— Je sais, répondit-il. Et je t’assure que tu n’as rien dit du tout, si ce n’est que tu hurlais sans discontinuer… Je me suis vraiment inquiété.

Je l’embrassai à nouveau, puis lui caressai le front.

— Désolée.

— C’est pas de ta faute. C’est de la mienne. Je n’ai pas été assez vigilant. »

Je me lovai contre lui, les yeux sur le panier où dormaient nos trois petits. Au moins, ils étaient là, avec leur père, et non dans la chambre de Tanit.

« Et Tínin ? demandai-je du bout des lèvres. Tu as eu une explication avec Mana à ce sujet ?

Je vis Ren baisser les paupières.

— Oui. Je lui ai dit que je l’accompagnerai sur Kharë, mais pas au-delà.

Je gardai le silence. Cela ne pouvait se terminer qu’ainsi.

— Elle est allée trop loin, murmura-t-il.

J’arrangeai un peu les coussins et me calai contre eux.

— C’est sûr que changer un jeune homme – pardon, un jeune mâle – en abomination intersidérale puis s’adonner à des actes sexuels avec ladite abomination qu’il est devenu, c’est fort, quand même ! Et tout ça pour une bête insulte.

Ren poussa un douloureux soupir. Pour une raison sur laquelle je ne souhaitais pas trop m’étendre, il se sentait responsable.

— Les valeurs de Mana sont trop différentes des nôtres, statua-t-il. Le conflit était inévitable.

Je fis la moue. S’il n’y avait que cela !

— Elle a copulé avec Tínin, Ren… Avec une araignée géante !

Ren tourna la tête sur le côté. Il s’était nettement assombri.

— Mana est ainsi. Elle a des goûts… étranges, en ce qui concerne ces choses-là.

— Des perversions, tu veux dire ! soufflai-je.

— C’est une khari, lâcha-t-il d’un ton plus froid.

Je me tournai vers lui.

— Cela n’explique pas tout. Franchement, Ren ! Tu es d’origine khari, toi aussi. Et pourtant, je n’ai jamais rencontré un homme – un mâle, pardon – aussi équilibré, moral et respectueux que toi. Pourquoi Mana ne pourrait-elle pas faire un effort dans ce sens, elle aussi ?

— Je ne suis pas un khari, corrigea Ren. Je ne suis pas né à Kharë, et mon cœur n’en porte pas les couleurs, loin de là.

— Tu te considère sorśari, donc ? De clarté lumineuse ?

Ren secoua la tête.

— Ni l’un ni l’autre, comme je l’avais dit au héraut d’Arowed, là-bas. Je n’éprouve aucun besoin de me mettre une étiquette sur le dos… En revanche, je sais ce que je veux et ce que je ne veux pas.

Je lui tapotai la main. Ren avait vraiment une personnalité affirmée.

Mais les doutes suscités par la Trame n’étaient pas entièrement dissipés.

— En revenant à Mana… Je me demandais, Ren. Comment c’était, de coucher avec elle ? Qu’est-ce que vous faisiez qui vous plaisait autant, tous les deux ?

De nouveau, Ren se rembrunit.

— Est-ce qu’on est vraiment obligés d’aborder ce sujet ?

— Si tu me le dis, je te parlerai de mes deux premier amants, Levi Fenrig et Keri Mauser, et des pratiques sexuelles humaines.

Ren me regarda. Je sentis que le sujet l’intéressait, mais qu’il n’osait pas trop y aller franchement.

— Il n’y a rien à dire, si ce n’est que je préfère de loin être avec toi qu’avec n’importe quelle elleth, finit par lâcher Ren, Mana y compris. Et ce n’est pas seulement une affaire de sentiments ou de physiologie. Je t’ai déjà expliqué en quoi consiste l’amour chez nous : cela doit être un duel, un combat, une conquête. D’ailleurs, ce mot n’existe pas notre langue… et en dorśari, pour exprimer ce type de sentiment, on dit « tu me fais mal ». Féconder Mana fut une corvée, pour moi. C’est d’ailleurs extraordinaire que ça ait fonctionné. Elle considérait que j’avais besoin d’un bon dressage, comme elle disait, et m’a refusé le moindre soulagement pendant deux lunes. Je me pliais à ses caprices en songeant à la satisfaction du serment dument respecté. À cela… Et à toi, Rika. »

J’effectuai une petite pression de sympathie sur sa main. Et dire que je m’étais imaginé quelque chose de cosmique entre les deux, à l’époque !

Ren se tourna vers moi. Son visage énigmatique avait l’air de me dire « à ton tour, maintenant ».

« Dans son livre sur les dangers de l’Abîme, Trinidad M’Badi prétend qu’il est impossible à un humain de revenir vers ses congénères, une fois qu’il a été envoûté par le luith ældien. Je ne peux que le confirmer. Après t’avoir connu, Ren, plus aucun homme ne pouvait me satisfaire. Tu as court-circuité ma vie sexuelle naissante, si j’ose dire. Mais je ne t’en veux pas, loin de là !

Je lui pressai à nouveau la main. Ren posa sa tête sur mon épaule.

— C’est pareil pour moi, murmura-t-il. Personne n’ose l’exprimer chez nous, mais les humains nous fascinent… Vous étiez les premiers êtres à vous montrer capables de compassion, et d’une telle abnégation pour l’être aimé. Quoique tu t’imagines, aucune elleth ne pourra me donner ce que j’ai avec toi, Rika. »

Rassurée, je renonçai à lui poser mes autres questions. J’avais eu ma réponse.

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