Victoire n'en pouvait plus. Chaque pas qu'elle faisait accroître sa migraine. Arsèce lui proposa:

- Monte sur mon dos.

- Merci.

Ils marchèrent encore. Le Giquareu coupa le silence:

- Vous croyez à ce que cet... oiseau nous a dit? J'ai l'impression qu'il nous ment.

- Qu'est-ce qui te fait croire ca? voulut savoir Jaréa.

Arsèce resta muet.

- Je n'ai pas aimé la facon dont il parlait des Giquareux, finit-il par avouer.

- Moi non plus, confirma l'ainée. Il y avait tant de haine...

- Juste à cause de ca, vous pensez qu'il nous a menti? s'étonna Victoire.

- Le nain nous a aussi menti. Et nous en sommes là à cause de lui, dit Jaréa. Nous avons toujours fait confiance aux gens que nous croisions. Mais il faut prendre en compte, c'est que à cause de notre statut, beaucoup nous veulent du mal.

- Mais comment savoir si une personne est honnête ou pas? C'est facile de ne plus faire confiance à personne. Mais si quelqu'un veut nous aider et qu'on l'écoute pas, ca pourrait engendrer des conséquences... qui pourrait être désastreuses dans certains cas.

- N'empêche que cet oiseau avait l'esprit dérangé, dit le Giquareu.

- C'est peut-être la solitude, suggéra la cadette.

- Oh Victoire! Comment peux-tu faire autant confiance après ce qui nous est arrivé et ce qui nous arrive en ce moment même? demanda Jaréa.

L'intéréssée se figea. Elle respira profondément pour contrôler son irritation.

- Donc... vous ne croyez pas l'oiseau? Vous voulez arrêter? Arrêtez de... d'avancer? Vous vous rendez compte que ce qu'il nous a dit est pour l'instant la seule piste qui nous permettrait de nous en sortir? Moi, même si je n'avais pas confiance en lui, entre rester à tourner en rond et attendre d'être changé en pierre ou essayer de trouver un moyen de m'en sortir avec le seul indice que j'ai, mon choix est vite fait!

Sa soeur allait dire quelque chose mais elle ne lui en laissa pas le temps.

- Il faut savoir analyser la situation. Si on avait été à la surface, peut-être que j'aurais hésité et fait un autre choix. Mais là? Sous terre, sans que personne ne sache que nous sommes là? Ici, tous se changent en pierre. L'oiseau n'aurait pas pu nous faire une embuscade! Il ignorait qu'on allait venir! C'est tout le contraire avec ce qui c'est passé avec le nain! C'est de la pure logique!

Arsèce et Jaréa baissèrent les yeux, penauds. Victoire se calma petit à petit.

« Je ne suis pas allé un peu trop loin? Non, je pense sincèrement ce que j'ai dit. »

L'ainée finit par relever la tête.

- Tu as raison Victoire.

Arsèce ne dit rien mais la manière dont il battit des ailes fut la seule réponse.

*****

Bien avant d'arriver à la cascade, Victoire l'entendit. Le léger clapotis de l'eau lui donna envie de danser.

Ils émergèrent des arbres pétrifiés et ils se figèrent/s'arrêtèrent. La cascade était d'un bleu claire, presque transparent mais pas totalement. La roche où l'eau coulait était d'une blancheur immaculée. La cadette avait l'impression de rêver.

« Comment quelque chose d'aussi beau peut-il être entouré de... ca? Il n'y a aucun rapport! »

Ils continuèrent d'observer, immobiles devant tant de beauté. Jaréa murmura alors:

- Une carte, elles devront chercher,

Là où les animaux sans but errent,

Dans une forêt au nom sombre,

Tapie au creux d'une roche blanche,

Caché par une cascade d'un bleu,

que je ne saurais décrire.

Victoire et Arsèce se regardèrent. Ils venaient de comprendre.

La cadette se jeta dans les bras de sa soeur, malgré la douleur que ce mouvement lui procura.

- Comment as-tu deviner? s'exclama-t-elle. Jamais je ne l'aurai deviné! Mais c'est pourtant si logique!

- De la pure logique, n'est-ce pas? répondit-elle avec un sourire malicieux.

- Oui. Alors?

- Ca fait des semaines que je me retourne la prophétie dans tous les sens. L'oiseau a utilisé des mots clés: errer, maudit, le nouveau nom de cette "forêt". C'était des indices! Mais c'est seulement quand j'ai vu la cascade que j'ai compris.

- Je ne vois pas pourquoi maudit est un mots clés, souligna Arsèce.

- Pas forcément un mot clé. Mais quand on est maudit, souvent on erre.

- Vous n'allez pas vous lancer dans un débat! les interrompit la cadette. On a une carte à trouver!

L'enthousiasme de Victoire étant contagieux, les deux soeurs s'enfoncèrent dans l'eau froide avec entrain. C'est Jaréa qui la trouva. Elles avaient passé leur main à travers la chute d'eau pour tâter des doigts la pierre.

- Comment on fait pour la sortir? s'enquit alors la cadette. Je doute que le parchemin et l'eau aillent ensemble.

Comme réponse, l'ainée réussit à glisser le parchemin entre la pierre et la chute d'eau pour le sortir. Ensuite, elle l'étala sur une pierre qui sortait hors de l'eau. La première chose que Victoire remarqua, c'est que la carte n'était pas tout à fait la même que celles actuelles. Toutefois, on y reconnaissait Événia.

- Alors, commenca Jaréa. Ici, nous avons le lac Salsabys. Ici, Hédénia, si je me trompe pas. Le désert. 

- La croix est situé au milieu des groges de Topase, remarqua Arsèce.

- Oui, confirma l'ainée.

- Elle ne nous indique pas comment sortir? s'enquit Victoire.

- Non.

- Mais..., commenca le Giquareu.

- Mais? répétèrent les deux soeurs.

- Pourquoi est-ce qu'on ne referaient pas le chemin inverse?

- C'est à dire? C'est pas très précis ce que tu nous dis..., commenta l'ainée.

- Détrompe-toi Jaréa. Si nous retrouvons l'endroit où on a trouvé Victoire, on pourrait remonter le tunnel.

- À la nage? 

- Et pourquoi pas?

- C'est...

- Invraisemblable, compléta la cadette. Mais peut-être réalisable! On y va! ordonna-t-elle.

Jaréa éclata de rire. 

- Je t'ai rarement vu aussi déterminé et aussi enthousiaste!

- Merci du compliment. 

Le trio repartit sur ses pas. Ils aluèrent le rapace et le remercièrent. 

« Finalement, il semble dépassé... Peut-être qu'il ne savait rien finalement. En tout cas, il nous a été d'une aide précieuse. »

Ils retrouvèrent la sortie grâce à la mémoire exceptionnelle d'Arsèce. Le tunnel était rempli d'eau. Victoire s'engagea doucement dans l'eau pour la deuxième fois. 

« Pourrais-je retenir ma respiration assez longtemps? »

Jaréa se posait vraisemblablement la même question. Elles se prirent les mains et aggripèrent la queue du Giqaureu. Ce dernier se propulsa violemment dans le tunnel. Il remonta rapidement tous les croisements. Toutefois, Victoire sentit ses poumons brûler et demander de l'air. Sous ses yeux, elle vit alors quelque chose pousser sous le menton de Jaréa.

« Une branchie? »

Aussitôt, la cadette se concentra et s'imagina à son tour une branchie. Hélas, son pouvoir n'était pas constitué de la même manière que sa soeur, elle se transforma en poisson. Passée sa surprise, elle fit ce qu'elle put pour suivre Arsèce.

Petit à petit, le niveau de l'eau baissa et ils purent respirer. Ils ralentirent le rythme. 

- Voilà l'endroit où le nain et ses acolytes nous ont poussé, les informa le Giquareu.

Ils avaient devant eux une longue paroi rocheuse haute de minimum dix mètres.

- Il ne nous reste plus qu'à voler jusqu'en haut, annonca Jaréa.

- Montez sur mon dos, les invita-t-il. Se sera moins épuisant pour vous.

- Oui, mais pour toi? s'inquiéta Victoire.

- Ce n'est rien.

La cadette comprit qu'il leur mentait.

« Pourquoi? »

Mais pour ne pas le vexer, elle obtempéra.