perles perdues

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Et pourtant, il avait compté jusqu’à vingt… et il ne restait plus que cinq perles rouges restantes sur son plateau. Le total faisait donc vingt-cinq et non trente, comme la semaine dernière, lorsque son client lui avait confié l’aumônière contenant les perles rouges avec lesquelles M. Dupré, artisan joaillier de grande réputation avec son expérience de plus de vingt ans de métier, devait réaliser un collier. Ce bijou destiné à l’épouse de son nouveau client M. Fournier devait symboliser leurs trente ans de mariage. Quoi de mieux qu’un collier de perles pour la circonstance !

Le client avait insisté sur la valeur sentimentale de ces perles :

- Nous les avions rapportées de notre voyage de noce à Tahiti. Puis happés par les vicissitudes du quotidien, on les a peu à peu oubliées ; or, je viens de les retrouver par hasard dans un tiroir elles croupissent depuis des lustres dans l’attente d’une autre destinée. Je profite de nos noces de perles pour faire une surprise à ma femme qui sera certainement heureuse de les retrouver, de surcroît sous cette forme !

M. Fournier évoquait son voyage et la rémanence du souvenir transpiraient l’émotion sur son visage :

  • Je nous revois encore allongés sur la plage au clair de lune rêvant notre avenir. La douceur du sable fin, les odeurs enchanteresses des plantes exotiques nous transportaient, et les clapotis de la mer nous berçaient. Une légère brise plus faible la nuit agitait les branches de palmiers qui nous surplombaient sur le chemin du dortoir trouvé chez l'habitant, car à l’époque notre jeunesse ne s’encombrait pas du moindre confort. Nous avions choisi cette destination pour profiter des paysages sensationnels et nous perfectionner dans la pratique de la planche à voile, une passion commune qui nous anime depuis notre enfance.

Pour concevoir ce collier, M. Dupré avait suggéré qu’il ajouterait des pierres semi-précieuses taillées, des coraux, soit un ensemble de pièces raffinées qui s’harmoniseraient aux perles rouges pour aboutir à un bijou digne d’une telle valeur sentimentale. Or, maintenant qu’il l’avait presque finalisé, il lui manquait cinq perles sur les trente apportées par M. Fournier. Catastrophe ! Avouer cette faute mettrait en danger la prospérité de son affaire, et son énervement est à son paroxysme après plus d’une heure de recherche vaine dans son atelier.

L’atelier se réduisait à une petite pièce au rez-de-chaussée d’une maison individuelle d’un quartier modeste et ressemblait plus à un débarras qu’à une boutique d’où sortaient les plus beaux spécimens en bijoux de la ville. Difficile en voyant ça de se représenter un des meilleurs joaillers, qualifié parfois d’artiste, travailler ses créations dans cet univers si étriqué ! Une fenêtre trop exiguë imposait un éclairage électrique permanent, garanti par un hideux néon au plafond, et une petite lampe allogène sur un plan de travail recouvert de pinces de toutes les tailles ; ainsi le joaillier exerçait son talent assis le plus généralement sur son tabouret à hauteur variable devant cette table.  Une quantité innombrable de petits casiers ou petits tiroirs fermés recouvraient tout un pan du mur : on devinait qu’ils recelaient des trésors de pierreries ou des métaux précieux comme de l’or, de l'argent ou des fils de cuivre, utiles et nécessaires à M. Dupré. Un canapé au velours usé et un fauteuil, proche de la porte d’entrée, faisaient à eux deux, office de salle d’attente permettant aux clients de s’asseoir quand la discussion ou l’attente était trop longue. Seule la tapisserie, avec ses motifs contemporains, assurait une touche de modernité à la décoration de cet espace de travail.

En voyant M. Fournier derrière le grillage et pousser le portail, M. Dupré improvisa un subterfuge pour camoufler sa négligence pour la perte de perles confiées :

  - Bonjour M. Fournier dit-il à son client, avant que celui-ci n’ait le temps d’arriver. Le collier est presque achevé mais j’ai eu un souci sur quelques unes de vos perles qui se sont réduites en morceaux lorsque je les ai percées. Quelle perte ! Le sourire de M. Fournier avait disparu lui aussi avec l'annonce de la nouvelle. Je suis vraiment confus, continua M. Dupré, car cela s’est produit sur cinq d’entre elles. Je ne comprends pas ce qui s’est passé - là-dessus M. Dupré ne mentait pas-. Mais le collier reste magnifique, car pour compenser, j'ai adjoint des pierres taillées qui mettent parfaitement en valeur la couleur et le relief de vos perles.

M. Fournier désapointé par les nouvelles et l’émotion qu’elle avait provoquée s’était assis machinalement dans le vieux canapé. Il dit, la gorge serrée :

  • Je peux voir ce que cela donne ? Le résultat est satisfaisant quand même ?
  • Oui, tenez. 

M. Dupré, fait fi de sa nervosité qu’il veut cacher au plus profond de son être car il n'a en tête que l’avenir de sa réputation, la vie de son affaire ; il saisit sur sa table de travail, avec une infinie précaution un collier aux coloris rouge mais avec des touches de violine et parmes. Il exhibe dans les airs le bijou au milieu du rang de perles rouges étaient intercalées et enfilées des pierres roses et violettes taillées en forme de papillon. M. Fournier, ébahi, s’adossa dans le canapé et dans un soupir de soulagement dit d’un sourire satisfait :

  • Il est magnifique ! Votre travail est à la hauteur de votre réputation, et dommage pour les perles détruites, c’est évident que c’est une perte conséquente mais votre créativité l’a parfaitement compensée.

M. Dupré sentait des gouttes de sueurs lui couler dans le dos car depuis les dernières minutes, il était suspendu au jugement de M. Fournier. D’habitude, il ne doutait pas de son expérience et de son goût car il se savait dans une juste position et expert dans son domaine, mais, aujourd’hui le stratagème éhonté qu’il avait mis sur pied le mettait particulièrement mal à l’aise. Les deux hommes convinrent donc que le collier serait préparé et emballé dans les règles pour la fin de semaine.

Le lendemain, M. Dupré arrivait, à son atelier à la même heure que d’habitude et fut surpris de trouver Marguerite la femme de ménage, avec une mine dépitée.

  •  Bonjour Marguerite, vous êtes encore là, que se passe-t-il ? Vous avez pris du retard sur votre emploi du temps, mais rien de dramatique ! Pas de quoi vous mettre dans cet état.
  • Monsieur, je vous attendais dit Marguerite en se tordant les doigts et en se mordant les lèvres.
  • Qu’y a -t-il Marguerite, vous savez que cela ne peut pas être si grave que cela. Faites-moi confiance, depuis combien de temps travaillez-vous ici ? Dix, onze ans ?

- Douze Monsieur. Mais je dois vous avouer que la semaine dernière, j’ai fait l’erreur de venir avec mon fils sans vous en avertir. Mon mari était en déplacement et je l’ai emmené ici avant de le déposer à l’école.

M. Dupré ne comprenait pas où Marguerite voulait en venir et vu l'embarras de la femme face à lui, il finit par s’asseoir. Marguerite continuait ses explications :

- Vous savez, il est raisonnable et je lui ai bien ordonné de ne toucher à rien pendant que je travaillais. Or, ce soir-là, je l'ai vu jouer avec de nouvelles billes, mais je ne me suis pas inquiété outre mesure car il en gagne souvent à l'école dans les compétition avec ses camarades.

- Oui, c'est de son âge, qui n'a pas jouer aux billes dans les cours de récréation a manqué une des joies dans la vie de l'école ! souriait M. Duré quoique un peu inquiet de la suite de l'histoire de Marguerite. Elle, ne souriait plus du tout et continuait :

- Oui Monsieur.  Sauf que, un soir, il est rentré en pleurant car il avait perdu quatre belles billes comme il disait.

 - Des billes ou des perles ? De quelle couleur ? la coupa M. Dupré qui s’était relevé d’un bond. Il se frottait le front, il allait comprendre un mystère qu’il n’arrivait pas à élucider depuis des jours. Mais devant l'irruption soudaine de son patron, Marguerite effrayée sanglota.

- Des perles... car j'ai regardé celle qui lui restait, j'ai reconnu les perles que vous manipulez d'habitude. Il m’a avoué les trouver dans votre atelier, dans votre vide-poche dit Marguerite en montrant une petite coupelle en céramique. Au même moment, elle tendait sa main contenant des perles rouges, je suis désolée M. Dupré, je sais que j’ai vraiment fait une faute, je comprendrai, si vous voulez me renvoyer… on en est conscient, on en a parlé toute la nuit avec mon mari. Elle n'en finissait pas de sangloter.

- Calmez-vous Marguerite, c’est la première fois qu'une chose nous arrive ! ajouta-t-il en reprenant la perle qu'elle lui tendait depuis plusieurs minutes pour la redéposer dans la coupelle.

- Je ne savais pas où je les avais mises, j’avais dû les mettre là, maintenant je me souviens, quand j’ai eu un appel téléphonique l’autre jour et comme mon interlocuteur m’avait réquisitionné beaucoup de temps pour une affaire délicate, je les ai oubliées. Je les ai retrouvées, je comprends enfin ! Rien que pour m’avoir éclairci de la situation, je ne vous renverrai pas Marguerite, et je vous remercie même de votre honnêteté ! Une seule inquiétude pour moi maintenant : j'espère que les adversaires de votre fils ne sont pas les petits-fils de mon client !

 

 

 

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