Piégé dans WOW

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Voilà, la table était mise, le bouillon finissait de mijoter. La cuisine embaumait de ces fragrances de cuisine familiale. Le père et la fille discutait dans le salon, elle les appela. Puis Sylvie se pencha vers l'escalier.

– Anthony ! À table !

Elle vérifia le calendrier : il n’avait pas raid ce soir-là. Il devait encore être sur son jeu vidéo mais devrait descendre rapidement. Il y avait eu de telles tensions suite à son engouement pour les MMO qu’ils avaient fini par convenir de cette solution : les raids étaient notés sur le calendrier familial au même titre que les cours de sport ou les rendez-vous chez le dentiste. Ils le laissaient tranquille durant ces évènements mais il devait suivre la vie de famille le reste du temps. Son époux et sa fille s’installèrent à table.

– Le frangin n’est pas descendu ? On peut rallumer la télé le temps qu’il arrive ?

Sylvie acquiesça sans mot dire. Habituellement, on l’entendait déjà descendre avec la délicatesse de l’éléphant. Elle relança son appel, il n’avait peut-être pas entendu. Elle servit les carottes rappées. Au moins, ce plat ne refroidirait pas.

— Il est bien long, se plaignit le père.

— Il a peut-être oublié de noter un raid, suggéra la sœur sans quitter l’écran de l’autre côté du couloir.

— Je vais le chercher.

Elle grimpa les marches de la vieille maison. Les craquements du bois annonçaient son arrivée sans détour. La maîtresse de maison se rappela du mal qu’ils avaient eu à installer le wifi dans cette vieille bâtisse. Elle ouvrit sans frapper.

— Et bien alors ? On t’a appelé à table ! Il faut venir manger, lâche ce jeu !

Aucune réponse. Son fils ne détourna même pas le regard. Vexée de se sentir ignorée, elle avança à grands pas et lui attrapa l’épaule pour le secouer :

— Tu vas me répondre, oui ?

Ce fut alors à ce moment-là qu’elle remarqua son immobilité, sa main ne bougeait pas la souris, ses doigts n’enfonçaient aucune des touches du clavier. L’inquiétude fusilla la colère, l’anxiété la submergea. Elle se pencha et découvrit l’état de l’adolescent. Ses yeux étaient vides, son visage étrangement neutre, comme une poupée vide.

— Mon dieu ! Anthony, réponds-moi !

Sylvie le secoua par les bras mais il resta dans le même état. À peine oscilla-t-il légèrement malgré la force qu’elle avait employée. Elle le gifla, une fois, deux fois, trois fois sans autre succès que de faire apparaitre une tâche rouge sur ses joues. La mère recula, le contempla dans son entièreté. Ses doigts n’avaient pas bougé, sa main restait comme collée à la souris. Une tâche mobile en périphérie de sa vision attira son œil. Elle se pencha sur l’écran et poussa un cri d’étonnement.

Devant ses yeux, son fils sautait sur place et agitait les bras pour attirer son attention. Il était un personnage du jeu ! Son fils était dans un jeu vidéo. L’idée lui coupa le souffle, lui donna le vertige. Son fils avait été hypnotisé par un jeu vidéo, son âme aspirée de son corps. La conversation du goûter lui revint en mémoire. Il avait parlé d’une nouvelle mise à jour. Elle vit sur l’écran, une petite bulle s’afficher :

< Maman ! Maman ! Au secours ! >

Les larmes lui brouillèrent la vue. Son fils, son tout-petit qui l’appelait à l’aide. Son fils dans cette machine maudite.

D’un revers de poignet, elle essuya l’eau et raffermit sa volonté. Elle tapa un message sur le clavier : que devait-elle faire ? Mais un nouveau message apparut :

< Maman ! Aide-moi ! Ne t’en vas pas ! >

— Mais dis-moi ce que je dois faire !

Le micro. Elle l’enleva du visage de son fils, passa le casque sur les oreilles et cria :

— Anthony ! Je suis là ! Dis-moi ce que je dois faire !

< Maman ! Maman ! Je suis dans le jeu ! >

Il n’avait pas reçu ses messages, pas entendu sa question. Elle appuya sur la touche Échap. Le menu apparut. Elle poussa sa main, reprit la souris et cliqua sur «quitter le jeu ». Une pop-up apparut : | Voulez-vous sauvegarder ? |

— Certainement pas ! Et puis quoi encore ?

Elle cliqua à nouveau sur la confirmation.

| Error 415hpz. Quitting the game impossible. Try later |

— Try later ? Try later !!! Tu te fous de moi, machine de merde, tu vas voir comment je vais te try laterer tout de suite, moi !

Elle jeta le casque sur le bureau, s’éloigna jusqu’à la prise, éteignit l’onduleur et arracha le câble d’alimentation du mur. Un bruit de chute surgit dans son dos.

— Anthony !

Il s’était finalement détaché de cet engin de malheur. L’hypnose ayant été rompue, il s’était effondré au sol. Elle se jeta sur ses genoux et le prit dans ses bras.

— Anthony ! Mon bébé, mon petit loup ! Réveille-toi ! C’est fini ! Tu es de retour chez nous ! Anthony !

Ses yeux s’étaient fermés, il ne répondait pas, ne se ranimait pas. Elle le reposa aussi doucement et vite que possible et se précipita au rez-de-chaussée.

— Vite ! Mon portable ! Il faut appeler les urgences !

Elle se précipita dans le salon, fouilla dans son sac, avec sa fille à ses côtés, surprise et interdite, pendant que le père grimpait dans la chambre à toute vitesse pour voir ce qu’il se passait.

— Les urgences ! Anthony ne se réveille pas, il a besoin de soins, il faut un docteur ! De l’oxygène peut-être !

Ses doigts tremblaient, elle dû s’y reprendre à plusieurs fois. Le 15, le 18 ? Dans la confusion, elle eut un doute. Le 112 surgit dans son esprit. Elle réussit à composer le bon numéro. Alors que la sonnerie retentissait à son oreille, elle se retourna et aperçut la télévision.

« Flash spécial ! Interruption des programmes. Un problème informatique touche le jeu MMO World of Warcraft. Les utilisateurs ont été piégés dans le jeu, leurs esprits y sont présents. Si un de vos proches joue à ce jeu, surtout n’y touchez pas et n’essayez pas de l’éteindre. Un rupture de la connexion ou l’arrêt des ordinateurs provoque le décès des joueurs. Les autorités sanitaires insistent : surtout ne touchez pas aux joueurs et signalez-vous auprès des autorités. »

À ses oreilles, une voix se manifesta :

— Le 112, en quoi avez-vous besoin d’aide ?

Le téléphone tomba de ses doigts, ses jambes s’amollirent, elle glissa à terre, incapable de parler, de pleurer, de respirer. À l’étage, une voix masculine hurla le nom de son fils.

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