Chapitre 31 :

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Luke lu et relu encore la lettre, l’écriture était soignée, et l’on pouvait voir que l’auteure avait pris le temps de faire bien. Les yeux de l’amnésique s’attardèrent encore sur les dernières lignes.

Tout se passe bien, je progresse rapidement, tu vas être surpris quand on se reverra !

Je n’ai pas encore pu croiser le professeur Rom, il est tout le temps occupé à cause la guerre, mais je devrais bientôt pouvoir le rencontrer !

Déjà cinq mois, tout passe si vite... Encore un dernier et nous pourrons enfin nous revoir ! Ne lui dis jamais, mais j’en viendrais presque à croire que je serais heureuse de voir cet idiot d’Eddie.

Je ne m’en rendais pas compte au début, mais maintenant que tu es loin de moi, j’ai l’impression qu’il me manque quelque chose. Je te remercie encore pour tout Luke, c’est grâce à toi que je suis vraiment vivante aujourd’hui.

Il termina la lettre, et encore une fois une sensation étrange - à la fois agréable et gênante – l’envahis. Luke avait dû dire au revoir à Elise devant les portes de l’Académie, car il est interdit d’en sortir pendant les études, sauf pendant les périodes prévus à cet effet. Tous les six mois pendant ce qui pouvait durer plus de cinq ans, jusqu’à devenir un mage accompli.

Luke se leva en rangeant soigneusement sa lettre dans sa table de chevet, et s’approcha d’un calendrier accroché sur le mur. Cela faisait déjà cinq mois qu’il s’était réveillé sans aucun souvenir, et presque autant de temps depuis qu’il s’était battu avec ses compagnons pour sauver le village d’Elise. Pourtant ces moments lui paraissaient déjà si loin, et un peu irréel.

Chaque jour était à présent aussi banale que le précédent, lui, Eddie et Sokann travaillaient là où ils pouvaient, devenant bûcheron, maçon ou encore transporteur selon les besoins, le travail ne manquait pas avec la situation. Luke ne détestait pas ce genre de travail, les gens d’Aria était quasiment tous sympathiques, et la paye était bonne. Mais c’est en posant les yeux sur son katana, hérité de Lan'Ru, qu’il réalisa que cela faisait longtemps qu’il ne s’était battu, que cela faisait longtemps qu’il n’avait tué. Il se gifla lui-même.

Mais à quoi tu penses !

Il attrapa tout de même son arme, et la sortit de son fourreau pour en admirer la lame. L’amnésique fit quelque geste dans le vide, s’imaginant face à un adversaire invisible. Devenir mercenaire ou même rejoindre l’armée lui avait traversé l’esprit, mais cela augmenterait les risques que l’on remonte jusqu’à Eddie, ou pire, qu’il soit considéré comme un criminel à cause de son passé.

La porte s’ouvrit sans prévenir, et l’arme frôla le visage du Chafe qui sortait de son bain.

— Désolé ! s’excusa immédiatement Luke en rangeant le katana.

— Si tu veux me tuer, fais-le au moins pendant mon sommeil, plaisanta Eddie. Ça te manque ? ajouta-t-il en désignant l’arme du menton.

— Un peu, admit l’amnésique. Mais j’ai l’impression d’être fou, me battre ne m’a jamais attiré que des ennuis.

— Peut-être que c’est dans ta nature comme toi ! Je dois t’avouer que ça ne m’est jamais arrivé.

— De quoi tu parles ? l’interrogea Luke en levant un sourcil.

— Que je ne tue personne en quatre mois ! Tu te rends compte ?

— Ne me compare plus jamais à toi.

Il reposa son arme contre le mur, sans savoir quand il devrait l’utiliser de nouveau. Eddie lui cachait son arme sous son lit, et de temps en temps il la dégainait pour admirer les flammes danser sur la lame, il n'avait plus réessayer la libération depuis sa dernière expérience. Leur nouvelle chambre était plus petite, trois lits placés dans un salon en réalité, mais cela ne coûtait pas très cher, et le patron était quelqu’un de fiable.

Luke se coucha, et attrapa un livre posé à côté de lui. Il avait pu en lire un bon nombre durant son temps libre, mais aucun signe d’une méthode pour récupérer la mémoire. L’idée d’en apprendre plus sur les autres pays lui était alors venu, mais aucune de ses lectures ne lui fit remonter des souvenirs. Même ses recherches pour la malédiction d’Eddie n’avaient mené à rien. Après tout ce temps il était encore au point mort. Son dernier espoir était ce Fireon Rom, mais cela ne serait peut-être qu’une énième perte de temps.

Quelque chose s’était alors imposé à lui.

Peut-être que je ne retrouverais jamais la mémoire, et c’est très bien comme cela.

La poignée s’abaissa de nouveau, et ce fut au tour de Sokann de rentrer. Il s’était laissé pousser la barbe dernièrement, annonçant fièrement que c’était la mode à Aria, et que les femmes adoraient ça, son nombre de conquête prouvait difficilement ses dires.

— J’ai une bonne et une mauvaise nouvelle ! annonça-t-il en souriant.

— Tu t’es fais virer du bar parce que tu passais ton temps à parler aux clientes ? tenta Eddie avec un sourire.

Luke éclata de rire devant la tête que fit leur compagnon, il avait pardonné à Sokann, et avait même appris à l’apprécier ces derniers temps.

— Si vous êtes déjà au courant, passons à la bonne ! Comme vous le savez, le grand Sjef va bientôt arriver en ville !

— Cela fait trois mois qu’il est censé venir, argua l’amnésique.

— Apparemment Ryke Fryst est dans une période compliquée, répondit Sokann en levant les épaules. Mais cette-fois c’est la bonne. Selon mes sources il est en route.

— Et ou veux-tu en venir ? s’impatienta Eddie.

— Cesses donc d’être aussi impatient ! Avec la guerre qui mobilise beaucoup d’hommes, le prince Roland a peur que la sécurité soit insuffisante en ville, et recrute donc n’importe qui sachant se battre !

Luke qui s’était levé pour se servir du vin, gracieusement offert par l’aubergiste, tendit un verre à ses deux amis.

— On ne risque rien ? Je te rappel qu’on est recherché pour l’explosion d’une chambre, il but une gorgée et vit qu’Eddie arborait son sourire narquois. Et sans doute pour d’autres crimes dont je n’ai pas encore conscience.

— Aucun ! La garde ne peut pas faire la fine bouche ces temps-ci, et c’est très bien payé !

— J’imagine que ça nous fera passer le temps, accepta Luke en terminant de boire.

Reprendre son arme en main, cette simple pensée le réjouit.

Les rues trop propres le dégoutaient, le sourire des gueux l’horripilait, et la ville entière lui donnait envie de vomir. Le prince n’arrêtait pas de parler, sans arrêt à expliquer ceci ou cela, comme si quoi que ce soit qu’il pouvait raconter l’intéressait. Son conseiller, un vieillard court sur patte, toussa pour lui signaler qu’il fallait au moins faire semblant, il ignora la recommandation.

— Messire Etienne ? Tout va bien ?

Boucle-la et avance idiot.

— Parfaitement bien, répondit-il avec un grand sourire. Continuons d’avancer Messire Roland.

Ils reprirent leur route, et à chaque pas il maudissait un peu plus son père. Utilisant le prétexte que le pays avait trop besoin de lui, c’était son fils qu’il avait envoyé comme ambassadeur à Astria, ce qui déplaisait au principal intéressé.

Il me revaudra ça, ce vieux pourri.

Du haut de ses vingt-quatre ans, le prince héritier de Ryke Fryst impressionnait la foule. Tout en longueur, mesurant presque deux mètres, il impressionnait par sa posture et sa démarche élégante. Ses cheveux blonds formaient de belles boucles qui entouraient un visage fin et gracieux, légèrement pâle, et deux yeux d’un bleu clairs, qui regardaient les autres avec une arrogance qu’il ne masquait pas. Il portait une veste bleu cobalt, et un pantalon blanc, tous deux finement décorés par de l’or. Partout ou le prince marchait, il semblait crier aux autres qu’il leur était supérieur en tous points.

Le prince Roland l’avait accueilli depuis la porte nord, et il le guidait à présent jusqu’au château, sous bonne escorte. Mais les soldats de l’armée d’Aria faisaient bien peine figure face à la garde personnelle du prince Etienne. Ses hommes portaient des armures semblant peser deux à trois fois plus lourds - sans aucune difficulté - sur lesquels étaient accrochés de longs lambeaux de fourrure, certains ensanglantés. Leur apparente brutalité tranchait avec la grâce de leur prince.

— Regarde, ils arrivent, lui souffla Eddie à sa gauche.

Luke tourna la tête, pour voir le cortège royal s’avancer jusqu’à eux. Il mourrait de chaud sous l’armure qu’on lui avait fournie, d’une part parce que le casque était trop petit, et aussi parce que les habitants se pressaient derrière lui. Des soldats étaient placés de chaque côté de la rue, empêchant les villageois de gêner la progression des deux princes.

— Rien qu’à sa tête il m’énerve, enchaîna le Chafe.

Regardant de plus bas, Luke ne pouvait voir que ses cheveux à cette distance. L’héritier du trône de Ryke Fryst s’approcha encore davantage, et l’amnésique pu enfin voire précisément à quoi il ressemblait.

Le temps sembla s’arrêter pendant une seconde, tandis que ses yeux se posaient sur le visage du Prince Etienne. Ce dernier tourna la tête vers lui, et leurs regards se croisèrent pendant un court instant.

Une certitude s’empara de lui, si puissante et si claire que cela lui fit mal à la tête. Luke eu soudain froid, et vit une étendue de glace rougeoyante, comme si du sang la recouvrait. Quelqu’un se tenait dessus et lui souriait.

Quand sa vision se termina, il vit la même personne devant lui, marchant au milieu de la rue.

Le prince Etienne.

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