Chapitre 6

7 minutes de lecture

Lorsque Rosie émergea de sa chambre le lundi matin, Imane était déjà attablée devant une tasse d'Earl Grey et des tartines de beurre. Elle salua sa colocataire d'un bonjour pâteux et se servit un bol de café. Imane, sifflotant, lisait les actualités sur son téléphone portable et Rosie apprécia son effort pour la laisser émerger tranquillement. Son thé terminé et ses actualités lues, Imane fila à la salle de bain pour se préparer, laissant son amie à la quiétude de son petit-déjeuner. Lorsque Nephtys sauta sur les genoux de Rosie, elle eu droit à un petit bout de beurre contre la promesse de ne rien dire à Imane. Les ronronnements qui suivirent la dégustation du beurre furent considérer comme un accord. Rosie remplit ensuite le bol de croquettes de Nephtys et elle s'attarda un instant sur le balcon pour fumer sa cigarette matinale. Le ciel était nuageux, la température de l'air plus frais que les jours précédents. Elle songea à son site de fouilles. Si la pluie commençait à tomber ça allait être un joyeux bain de boue pour tous les fouilleurs. Malgré les conditions parfois difficiles sur le terrain, c'était la partie de son travail qu'elle préférait, comme beaucoup de ses collègues. Elle soupira en pensant à sa journée, enfermée dans une salle de cours et avec ce foutu journaliste.

Imane reparu, prête à partir. Elle portait des chaussures noires à talons, un jean de la même couleur et une veste rouge brodée de noir. Même si elle passait la majorité de sa journée affublée d'une horrible blouse blanche, elle tenait à être impeccable. Elle avait son grand parapluie rouge sous le bras.

  • Tu penses qu'il va pleuvoir ? demanda Rosie.
  • Pas sûre mais je préfère être parée. On mange ensemble à midi ?
  • Ça marche, amuses-toi bien avec tes microbes.
  • Et toi avec tes vieux os .

Imane quitta l'appartement et Rosie se prépara à son tour, s'habillant d'un pantalon de toile rouge brique et un T-shirt blanc sur lequel on pouvait lire « United Woman can save the World». Elle enfila sa veste de toile noire et prit son sac puis sortit. Elle avait la chance de pouvoir se rendre à son bureau à l'université en seulement quarante minutes de marche et elle ne s'en privait pas. Quel que soit le temps à Paris, souvent gris comme ce matin, elle marchait. Elle s'arrêta à un kiosque acheter le dernier numéro de Courrier International et le glissa dans sa sac pour le lire plus tard. Ce matin là, les rues étaient encore calmes et ce n'est qu'en approchant de l'Université que la foule se fit plus dense dans les rues de la capitale. Les étudiants se rendaient à leur cours, sacs sous le bras ou sur le dos et bien souvent un café à emporter dans la main. Le laboratoire d'Histoire des Civilisations et d'Archéologie était situé dans un grand bâtiment de briques jadis rouges mais plus proche du grisâtre à présent. La jeune femme prit une succession d'escaliers et arriva sans essoufflement à son bureau, au cinquième étage au fond de l'aile Nord. Sur la porte du bureau, une feuille blanche scotchée là indiquait : Rosie Boyer, Paolo Mennini, Noémie Petit. Un petit seau et une truelle en égayait le coin inférieur droit. Lorsque Rosie ouvrit la porte, fermée à clé, aucun des deux autres occupants n'était là et une forte odeur de renfermé lui agressa les narines. Rosie ouvrit les deux grandes fenêtres qui donnaient sur la rue pour aérer la pièce. Une brise fraîche vint soulever quelques papiers. Rosie posa son sac en cuir le long au pied de son bureau, retira sa veste et constata qu'elle avait laissé un véritable bordel avant de partir sur le terrain. Des piles articles scientifiques s'entassaient un peu partout, de même que des livres traitant de divers sujets : les Celtes, la protohistoire, les grottes ornées ou encore les pétroglyphes. Un vieille tasse « Trust me I'm an Archaeologist », avec dans le fond ce qui avait dû être du café, surmontait un numéro de l'Obs daté de plusieurs mois. Deux cartes IGN, pas totalement repliées avaient été laissées dans un coin. Elle remit de l'ordre dans ses papiers, se demandant encore comment elle avait pu laisser son bureau dans cet état avant de partir. Sans la rassurer pour autant, elle constata que le bureau de Paolo, juste en face du sien, était dans le même triste état. Mais aussi loin qu'elle se souvienne, elle n'avait jamais vu ce bureau rangé. Au contraire de celui de Noémie, qui chaque soir veillait à le remettre en ordre avant de partir. Ces deux là faisaient un couple bien étrange. Tous les deux en dernière année de thèse, ils habitaient et travaillaient ensemble. Ils arriveraient peut être plus tard dans la matinée voire dans la journée. A moins qu'ils ne préfèrent travailler chez eux. Ils ne s'attachaient pas vraiment aux horaires de bureau classiques et travailler la nuit et le week-end n'était pas vraiment un problème. Rosie appuya sur le bouton d'allumage de son ordinateur ; un ronronnement sonore résonna dans la pièce mais l'écran resta noir. L'appareil presque une antiquité – un comble pur un laboratoire d'archéologie - mais elle espérait qu'il tiendrait encore un peu. Le laboratoire n'aurait les fonds pour du nouveau matériel informatique qu'en janvier prochain, pas avant. D'ici là il devait tenir le coup. Patientant le temps que la machine daigne vouloir s'allumer, Rosie arrosa les très nombreuses plantes vertes réparties sur les trois bureaux mais aussi sur les étagères et les bords de fenêtres. Certaines, pendant mollement et d'un marron terne, en avaient bien besoin. La jeune femme avait parfois l'impression de se trouver dans une jungle mais elle devait avouer que la présence de ces plantes apportait une ambiance apaisante à la pièce. Et c'est vrai que de s'occuper d'elles la calmait. Paolo disait souvent qu'à défaut de leur travail de thèse, avec les bégonias, ficus et autres azalées, il y avait au moins quelque chose qui grandissait dans la pièce. Lorsque enfin la machine fut opérationnelle, Rosie consulta ses mails. Elle en avait reçu deux de sa directrice. Dans le premier Anne espérait qu'elle était bien rentrée et lui envoyait la mise à jour de la liste des pièces archéologiques retrouvées à Noiron-sur-Seine. La jeune femme enregistra le document pour le consulter plus tard. Dans le second mail, intitulé « Cours de Protohistoire », Anne lui envoyait le déroulement des cours et les PDF associés à diffuser aux élèves. Il était à peine 9 h et le premier cours qu'elle donnait aux première année de licence était à 11 h, Rosie avait le temps de s'y préparer. Elle ouvrit le premier document relatif au cours de ce matin et commença à potasser le sujet, vérifiant parfois ces connaissances grâce aux différents livres présents dans le bureau. Elle ne faisait que rafraîchir toutes ses notions qu'elle avait elle même apprise il y a quelques années et qu'elle avait également enseigné l'an passé lors des cours de Travaux Dirigés. Le contrat doctoral qu'elle avait signé un an auparavant impliquait de dispenser une petite centaine d'heures d'enseignements par an. Cela ne lui déplaisait pas et surtout cela allait de paire avec une paie pas mirobolante certes, mais plus que bienvenue. Lorsque l'on frappa d'un coup vif et bref à la porte du bureau près d'une heure plus tard, Rosie leva la tête. L'esprit encore plongé dans les formes de hiérarchies du Néolithique, elle répondit d'un « entrez » absent. Son attention fut alors captée par l'allure de l'homme qui ouvrit la porte. Grand et maigre, il portait une veste de toile épaisse grise sur un pull bordeaux duquel dépassait un col de chemise bleu clair. Son pantalon de jean rendait sa tenue plus décontractée. Son visage pâle et fin était marqué par des yeux sombres et doux. Ses cheveux poivre et sel lui donnait un air sérieux, mais il devait être moins âgé qu'il n'en avait l'air, probablement une trentaine d'années, guère plus.

  • Bonjour, je cherche Rosie Boyer.
  • C'est moi.

Silence. Il la regarda depuis le pas de la porte comme si il doutait de ce qu'elle venait de dire. Il se reprit et afficha un sourire qu'il voulait charmeur.

  • Gabriel Mons, enchanté.

Rosie resta interdite un court instant. C'était quoi son problème à ce type ? Elle le salua à son tour, lui tendant une main qu'elle voulait résolue. Mais il ne la lui serra pas et n’esquissa même pas un pas dans sa direction. Misogynie ? Racisme ? Décidément il ne lui plaisait pas. Elle recula vivement sa main mais ne se démonta pas.

  • Que puis-je faire pour vous, monsieur Mons ?

Il semblait étonné de son ton sec, comme s'il ignorait ce qu'il avait pu faire ou dire pour provoquer cela.

  • Je suis journaliste. Comme on a dû vous le dire, j'écris un article sur les étudiants en doctorat. Je souhaite discuter avec vous de votre travail, de votre quotidien et plus largement de votre vie.
  • C'est un vaste programme, monsieur Mons.
  • J'en conviens, sourit-il. Je suis très curieux et tout en vous m'intéresse.

Étonnant ce revirement, et légèrement inquiétant. Il lui manquait de respect quelques instants auparavant et voilà qu'il lui faisait maintenant son numéro de séduction à deux sous. Mais la jeune femme ne se laisserait pas amadouer aussi facilement. Elle avait accepté de voir le journaliste, pas de lui être agréable. Il avait un curieux accent, très léger, traînant. Elle n'arrivait pas à situer son origine.

  • Vous m'excuserez mais je suis malheureusement très occupée. J'ai un cours à donner dans moins d'une heure et je dois encore y travailler. Alors si vous voulez bien...
  • Mais c'est parfait ! Laissez moi y assister, je ne vous gênerai pas.

Son sourire était implorant mais son regard était amusé et plein d'attente. A quoi jouait-il ? Qui était ce type qui se disait journaliste ?

  • Vous m'avez dit travailler pour quel journal ?
  • Je ne vous l'ai pas dit. Je travaille à l'Obs'.

Rosie leva un sourcil interrogateur. Pouvait-elle le croire ? Pas sûr. Lui faire confiance ? Encore moins. Mais sa directrice de thèse comptait sur elle pour s'occuper de ce journaliste et venter les joies d'appartenir au laboratoire.

  • Amphithéâtre Tournal. A 11 h. Merci de refermer la porte derrière vous.

Il la remercia d'un sourire et c'est alors qu'elle remarqua qu'il portait de fins gants d'un blanc cassé. Elle s'en étonna un instant mais à peine eut-il quitté la pièce qu'elle était déjà replongée au Néolithique.

Annotations

Vous aimez lire Olympe_Galet ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0