Chapitre 11 - When I was king

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Recroquevillé dans un coin de sa cellule, il attendait. Ses yeux parfaitement habitués à l’obscurité percevaient la fine goutte d’eau qui ruisselait le long du mur. Il se referma un peu plus sur lui même, il détestait cette humidité ambiante et dégoulinante. Une autre goutte apparue le long des pierres et roula ensuite pour glisser le long de ses chaînes. Combien de temps devait-il encore attendre qu’on vienne le chercher ? Il haïssait ce qu’elles lui faisaient, il maudissait son corps qui leur procurait du plaisir, mais il détestait plus que tout être enfermé, seul, dans le noir. Ici, on perdait toute notion du temps. Alors ses pensées divaguaient, seul moyen trouvé pour ne pas se concentrer sur cette faim qui lui prenait les tripes en permanence, d’oublier cette voix qui hurlait dans le fond de son être, qui vociférait de tuer, arracher, déchiqueter.

Il s’accrochait au peu de souvenirs restant. Le rire innocent de sa soeur résonnait encore, la vision de son sourire avec ses petites dents manquantes semblait être gravée dans son esprit. Et pourtant : il ne se rappelait plus de son nom. Ni du sien, d'ailleurs. Les jours, semaines, passés ici effaçaient petit à petit ces images et il avait compris que, tôt ou tard, il ne resterait plus rien de sa vie d’avant. Un sourire mélancolique se dessina sur ses lèvres, il n’était plus que l’ombre de lui même ; un démon qui espérait garder quelques liens avec son humanité révolue. Hier encore, il se souvenait du visage de celle qu’il appelait “mère” quelques années auparavant, aujourd’hui il n’en restait plus rien. Le jeune homme poussa un long soupir. S’il avait la possibilité de s’ôter la vie, il n’hésiterait pas un instant : il pourrait mourir avec le peu de dignité qui lui restait, et s’assurer qu’il ne blesserait plus personne.

Si son esprit était encore quelque peu présent, il se désolait de ne plus aussi bien contrôler ses faits et gestes. Il n’arrivait plus à parler depuis ce jour, et seuls des grognements bestiaux sortaient de sa gorge. Son visage s'apparentait à ceux des yōkai dépeints sur les estampes et ses doigts étaient dotées de griffes. Les haillons lui servant de vêtements couvraient à peine son corps devenu squelettique. Il voulait qu’on l'achève. Il ne voulait pas vivre un instant de plus ainsi, mais ce n’était pas dans les plans de ses geôliers. Il élaborait alors des stratagèmes pour qu’on le tue sous le coup de la colère, lorsqu’on le sortait pour donner du plaisir aux autres démons. Cependant, sa marche de manoeuvre étant limitée par les chaînes, tous ses plans n’avaient été qu’échecs jusqu'à présent. Pas grave. Il réussirait tôt ou tard.

Un bruit lointain le sortit de ses réflexions. Il n’arrivait pas encore à mesurer les distances, mais c’était définitivement un bruit de pas qui se rapprochait de sa cellule. Étrange, il avait déjà été appelé quelques heures plus tôt, les rendez-vous n’étaient pas aussi proches habituellement. Curieux, il redressa la tête en direction du bruit. Il distinguait au moins trois différentes allures. Il ne recevait jamais autant de personnes en visite, quelque chose était inhabituel.

La faible lueur de la bougie l’aveugla sur le moment, il ne supportait plus la moindre lumière. Ses yeux s’adaptèrent lentement avant de percevoir trois formes, humaines en apparence, se tenant devant lui. L’une d’elle était son geôlier. Avoisinant les deux mètres, le gardien de cellule était imposant, son armure de samouraï et le sabre porté à sa ceinture renforçaient sa musculature impressionnante, et ses yeux bleus perçants vous coupaient toute envie de discuter avec. Les deux autres silhouettes, féminines, lui étaient inconnues. Il décida de se rapprocher de la barrière pour mieux les voir, le grincement de ses chaînes annulant toute tentative d’approche discrète. Une des deux femmes, japonaise au physique des plus banals et d'âge mûr, possédait un visage fermé et des cheveux tirés. Il avait le sentiment qu’elle appartenait à la même classe que les autres monstres féminins qu’il côtoyait lors de ses rendez-vous, peut-être était-ce lié à ses yeux violets. La troisième et dernière silhouette était bien plus frêle ; il était certain qu’il s’agissait d’une femme de petite taille. Son visage était caché par un voile posé sur sa coiffe, le tissu de son kimono et les motifs cousus dessus démontraient qu’elle était issu d’un rang prestigieux. Que pouvaient-elles bien lui vouloir?

Assis en tailleur devant la barrière, non loin de l’emplacement dont il se souvenait, il attendait patiemment que l’on décide de son sort. Et si elles étaient là pour juger ses actes ? Juger qu’il méritait la peine de mort pour ce qu’il avait fait ? Au fond de lui, il n’y croyait pas vraiment.

La plus petite des deux s’approcha elle aussi de la barrière, cette barrière invisible qui délimitait sa cellule. Le premier jour, il avait été presque heureux de se dire qu’ils avaient été stupide pour ne pas mettre de barreaux à sa prison. Cependant, il apprit assez vite l’existence de cette barrière immatérielle dont seul le gardien pouvait passer outre. Surement l’oeuvre des démons eux-même.

— Agenouille-toi devant Sa Majesté ! beugla le gardien.

L’une d’elle était de sang royal ? La plus petite ? Gouvernait-elle tout les monstres dont il faisait désormais parti ? Sans même attendre une réaction de sa part, l'attraction des chaînes qu’il portait autour du cou devint soudainement plus lourde, forçant sa tête à s’incliner dans une grimace d’inconfort.

Le gardien était probablement un démon qui usait de ses pouvoirs sur ses chaînes ; il avait pu remarquer que les chaînes qu’il avait aux pieds, poignets et cou - ces dernières étant effroyablement lourdes et encombrantes - étaient soumises à la voix du gardien qui pouvait changer leur poids par de simple mots. Ainsi, il arrivait facilement à faire ce qu’il voulait de sa personne.

— Est-ce bien lui qui a… supprimé Dame Murasaki ? demanda la femme.

— Oui, répondit aussitôt le garde. Nous avons pris des mesures particulières avec le prisonnier, des chaînes et des sceaux ont dû être rajoutés pour canaliser sa force.

La femme eut une mimique écoeurée en le regardant, tandis que “Sa Majesté” restait impassible.

— Sommes-nous bien certains qu’il l’ait tuée ? N’a-t-il pas été aidé ? Les livres n’ont jamais mentionné une telle chose.

— Certain, Dame Yumi. Nous l’avons retrouvé au dessus de son corps sans vie. Il en avait déjà dévoré la moitié à notre arrivée.

Elle se mit une main devant la bouche et détourna son regard du prisonnier.

— Comment a-t-il réussi à faire ça, à sa propre Créatrice ? Si c’est bien vrai, il pourrait être doté d’une force incroyable. Du moins, c’est que les écrits mentionnent, ça n’avait jamais été le cas jusque là mais c’est une théorie que-

— Gardien, puis-je le voir de plus près ?

Elle fut interrompu par Sa majesté. Sa voix était douce mais candide. Etait-ce une enfant qui se cachait derrière l’écran de tissu ? Il tourna les yeux vers le garde : ce dernier, pris au dépourvu, fuyait du regard en direction de Dame yumi.

— Princesse, pourquoi insistez-vous pour approcher un esclave ?

Esclave. Il avait été esclave dans sa précédente vie, et le serait encore dans celle-ci. Il grogna, il n'appréciait pas le dédain avec lequel elle s’était exprimée.

La princesse s’agenouilla, les deux mains posées sur la barrière invisible, recherchant désespérément le contact du prisonnier.

— Il est beau, soupira-t-elle. Malgré les chaînes et la saleté, je le trouve beau.

Ce n’était pas comme ça qu’il souhaitait réagir, et pourtant, son corps eu pour réflexe de s’attaquer violemment à la barrière, ses crocs apparents. Mais les chaînes le repoussèrent vite en arrière, la pression au niveau de sa gorge se faisant de plus en plus intense. Comme un vulgaire chien en laisse, il n’était maître d’aucun de ses mouvements.

La femme poussa un cri d'effroi, mais la Princesse n’avait pas cillé, pas eu un seul mouvement de recul lorsqu’il avait voulu l’attaquer comme un dangereux animal.

— A-t-il été affamé ? Je le trouve encore très agressif pour un Éveillé de plusieurs mois.

Le garde déglutit avant de répondre :

— Non, pas encore Majesté. Il se trouve que ceux qui le demandent l'aiment… violent et bestial.

La Princesse soupira, déçue du comportement de ses semblables.

— Organisez-lui le rituel en bonne et dûe forme. Brisez-le jusqu’à ce qu’il reprenne la parole.

— Majesté, vous ne pouvez pas l’envisager ! Il appartient, certes, à la lignée d’argent, mais en plus de s’être nourri de sa Créatrice, c’est un esclave de sang de surcroît ! Il ne vous apportera que déshonneur. Revoyez votre décision, Majesté, supplia la femme à ses côtés.

Replié sur lui-même, il se débattait avec les chaînes qui l'étouffait. Il avait bien réalisé qu’il n’avait plus besoin de respirer, néanmoins cette pression au niveau de son cou lui donnait l’impression d’avoir la tête dans un étau.

Il portait vaguement attention à ce qu’ils disaient. Depuis qu’on l’avait laissé croupir dans cette cellule, personne n’avait pris la peine de s’adresser à lui directement, et encore moins de lui expliquer ce qui lui était arrivé. Comment il était devenu un monstre. Et il ne comprenait pas un traître mot de ce qu’ils bavassaient. De quel rituel parlaient-ils ?

La plus jeune s’était redressée et la femme se tû, la tête basse.

— Garde, possède-t-il un nom ?

— Non, Majesté. Nous n’avons aucune idée de son identité.

Les bras croisés, la Princesse se mit à taper du pied, contrariée. Elle eut une moue enfantine, se tenant le menton, la tête vers le haut comme si elle réfléchissait rapidement.

— Yuki, finit-elle par dire, quel jour sommes-nous ?

Dame Yuki sursauta à l’évocation de son nom, et répondit en balbutiant :

— Le 21 juin, P-Princesse. C’est le geshi, aujourd’hui.

— Oh, vraiment ? Alors c’est tout trouvé, dit-elle d’un ton enjoué.

Elle ôta sa coiffe, révélant de ce fait un visage sans aucune imperfection, des yeux légèrement en amande, à l’éclat doré. Derrière son sourire enfantin, la jeune fille dévoilait des canines disproportionnées qui lui donnaient une aura terrifiante. Instantanément, le garde et la dame de cour s’inclinèrent, conscients de ne pas devoir la regarder en face.

D’un geste gracieux, la Princesse dissipa la barrière qui les séparait, cette dernière se transforma en sable qui retomba aussitôt au sol, dans un léger écran de poussière. La prénommée Yuki laissa échapper un couinement de peur, effrayée de ce qui pouvait arriver si les chaînes venaient à se briser.

Immobile, il la regardait avancer d’un pas assuré. Ses yeux étaient captivant, il n’arrivait pas à s’en détacher. C’était de loin le plus beau démon qu’il avait eu la chance de rencontrer jusqu’ici, et ce malgré son apparence d’adolescente. Elle s’assit à ses côtés, lui qui était désormais immobile, puis prit son visage entre ses mains, des mains aussi douce que la soie. Ce qu’il ressentait était inexplicable. Cette voix qui le hantait depuis des semaines s’était enfin éteinte, et il sentit une once d’humanité revenir dans ses traits à son contact. Qui était-elle ? Il ne s’était jamais senti aussi bien.

— Tu dois te demander ce qu’il t’arrive, n’est-ce pas ?

Chaque mot qu’elle prononçait en le regardant ainsi l’emplissait d’un sentiment nouveau. Une forme de chaleur, de douceur. Il hocha la tête, les émotions le submergeaient petit à petit. Les larmes coulaient le long de ses joues, des larmes de bien être, indescriptibles. Il n’avait qu’un désir : mourir pour elle.

— Tu ne dois plus t'inquiéter. Dorénavant, tu seras mon Ombre et tu t’appelleras…




 Natsu rouvrit les yeux, la tête lourde et ses sens à l'affût. Les vertiges étaient si forts qu'il dû attendre quelques secondes avant de pouvoir regarder son téléphone, les notifications reçues venaient de le sortir de son état de transe. S'allongeant dans son canapé, il fit défiler les différents messages ; Niel qui lui envoyait des blagues, Naoko qui demandait s'il était libre ce soir, June qui lui demandait comment ça allait, Emi… Voilà. Seuls les messages d'Emi l'intéressait. Mais sa vision encore trouble l'empêchait de lire les caractères chinois qu'elle avait utilisé. Il souffla, massant frénétiquement ses tempes ; c'était quelque chose qu'il avait vu les humains faire lorsqu'ils se tapaient un bad trip – ce qu'il était visiblement en train de vivre. Ses tempes étaient… mouillées ? Putain. De la sueur ? Cette drogue de merde, en plus de réveiller des souvenirs dont il se passerait bien, le faisait suer comme un vulgaire humain ?! Il lâcha un juron : June allait l'entendre.

 Il s'essuya le front du revers de la manche et reprit son téléphone, sa vision revenant petit à petit. "Université" et "toilettes". Emi faisait dans les messages cryptés désormais. Il envoya directement un message à Niel pour savoir s'il n'y avait rien d'anormal. Ce dernier répondit dans la minute qu'elle n'était pas encore sortie de la fac alors qu'elle avait fini il y a une heure, et que pour une raison inconnue, l'établissement avait été évacué. Hm, il n'avait pas un bon pressentiment à ce sujet. Il attrapa un sweat qu'il enfila rapidement, prit ses clés de moto et s'apprêtait à sortir lorsqu’il croisa Tsuyu dans l’entrée, les bras croisés, qui lui bloquait la porte.

 Fujita Tsuyu, de son nom complet, était à son service depuis vingt-deux longues années. Il la logeait au premier étage avec sa fille, en échange de quoi elle s’occupait du ménage et des diverses tâches administratives propres à la législation humaine. Malgré ses quarante ans révolus, Tsuyu restait joviale, parfois un tantinet trop enfantine au goût de Natsu. Elle endurait surtout les soirées qu’il organisait, ses vêtements tachés de sang, et autre commodités dont il avait le secret, avec calme, patience et une certaine forme de distance. C’était bien la seule qui était restée aussi longtemps à ce poste, et il l’admirait pour cet exploit. Tsuyu avait un visage des plus communs, mais un tour de poitrine qui attirait toujours le regard du brun malgré les années passées. Une des rares femmes de son entourage avec qui il n’avait eu de relation, c’était inclu dans leur pacte, et elle avait été intransigeante à ce sujet. De ce fait, le tatouage sur leurs poignets gauches respectifs était toujours intact.

— Tu m’engueuleras plus tard, Tsuyu. Je dois passer, signa-t-il avec hâte.

— Est-ce que vous avez vu votre visage ? signa-t-elle en réponse, visiblement exaspérée.

 Natsu croisa son reflet dans le miroir accroché au mur de son entrée : ses yeux étaient aussi noir que la nuit, ses veines ressortaient et ses canines visibles. Il n’arrivait pas à reprendre un visage convenable, encore la faute de cette foutue drogue. Il lâcha un énième juron à voix haute, pris ses lunettes de soleil dans un tiroir et quitta l’appartement en maudissant June de tous les noms.





— C’est de loin la pire merde que tu aies pu me faire en un siècle et demi, June.

 Il balança le sachet contenant la poudre blanche sur le comptoir, sous le regard moqueur de la rousse. Elle ramassa la drogue avant de la dissimuler dans un tiroir, essayant tant bien que mal de contenir son rire.

 June ne portait pas une de ses magnifiques robes moulantes aujourd’hui, mais son haut noir en dentelle mettait tout de même son imposante poitrine en valeur, dont Natsu n’arrivait pas à défaire le regard. Le fait de se concentrer sur ses seins calmait quelques peu ses nerfs, mais il restait tout de même d’une humeur massacrante : son aura meurtrière avait fait fuir tous les clients du bar. Tant pis pour June, elle pouvait bien perdre quelques clients pour ce qu’elle lui avait fait, c’était de bonne guerre.

 Elle se pencha sur le comptoir, attrapant le menton de Natsu et se mit à le détailler sous tous les angles. Elle souleva ses lunettes de soleil, qu’elle remit en place aussitôt lorsqu’un grognement sourd résonna dans la gorge du brun.

— En dehors du fait que tu n’arrives plus à retrouver une apparence humaine, tu as eu quels autres symptômes ? Il faut que je l’équilibre un peu mieux.

— Un peu mieux ? June, j’ai l’impression de ne pas avoir bouffé pendant trois mois, la lumière me fait mal à la tronche, j’ai des vertiges, je sue. Je sue, June, putain. Donc non, tu revois la formule entièrement, dit-il d’un ton sec.

 June explosa de rire, elle était si hilare que les larmes perlaient aux coins de ses yeux, tandis que Natsu fulminait dans son coin. Par vengeance, il agita calmement la main droite et brisa une bouteille de whisky japonais qui se trouvait sur l’étagère en verre derrière elle.

— Connard.

— Je pourrais exploser encore une bouteille ou deux qu’on ne serait toujours pas quitte, vu ce que ta merde a réveillé comme souvenir.

Elle lui servit un verre de whisky avec le reste de la bouteille et repoussa les débris de verre dans un coin de la pièce. Seul le haut de la bouteille était détruit, ils allaient donc la finir ce soir.

— D’accord, j'arrête de rire. Elle s’assit sur un tabouret à ses côtés, se servit un verre à son tour puis trinqua avec lui. Raconte moi.

— Il n’y a rien à raconter. Je doute simplement que les humains se souviennent d’un jour si triste lorsqu’ils dorment.

— Lequel, Natsu.

— Celui où je l’ai rencontrée.

 June grimaça et lui resservit un autre verre, soudainement désolée. Ils s'appréciaient autant qu’ils se détestaient, et ils se connaissaient depuis assez longtemps pour savoir les sujets blessants. Elle en faisait partie. June ne devait pas se sentir coupable, elle n'avait pas choisi les effets indésirables de la drogue, mais elle se sentait tout de même navrée. Elle se dirigea vers l'arrière de son bar pendant qu’il la regardait, les yeux perdus dans le vide, le verre en main.

 Au fond du bar se trouvait une armoire, toujours fermée en présence de ses clients ; Natsu n'en était pas un. Marmonnant des phrases quasi inaudibles, June se parlait à elle même. Elle sortit du placard quelques bouteilles étiquetées par ses soins, d'autres récipients aux couleurs étrange, ainsi que divers écrins, aussi abîmés les uns que les autres. Posant le tout sur son bar, elle réfléchissait encore aux quantités à utiliser.

— Et ta petite humaine, alors. Parle moi d'elle, ça m'occupera pendant que je te prépare quelque chose qui puisse te rendre une tronche correcte.

 Natsu sourit à l'évocation d'Emi, passant outre les provocations gratuites de la rousse à son égard.

— Elle est chez moi actuellement.

— Vous avez enfin couchés ensemble ? Il était temps, dit June d'un air moqueur.

 Natsu finit son verre avant de lui répondre, repensant encore au plaisir offert par la jeune blonde, ses maladresses et peurs ayant rendu le moment encore plus unique à ses yeux.

— Non, pas encore. Mais elle m'a vraiment bien sucé hier soir. C'était vraiment compliqué de ne pas la prendre après ça.

— J'admire ta patience, on est loin du Natsu qui se tape tout Tokyo, ironisa-t-elle.

— Tu aurais dû la voir, June. Elle hésitait sur tout, elle découvrait ça avec tant d'innocence… Elle était vraiment belle.

— Ok, là tu m'inquiètes. Que tu sois patient avec une nana inexpérimentée est une chose, que tu t'extasies sur elle en est une autre.

— Je peux la trouver belle, non ?

 June continuait à mélanger les différents liquides et autres ingrédients devant Natsu, l'air grave. En deux cent ans, elle l'avait rarement vu ainsi : aussi calme, attentif et doux lorsqu'il parlait d'une relation d'un soir. Il avait l'habitude d'ironiser à ce sujet, de décrire vulgairement l'acte, ou même de jacasser à propos du nombre d'orgasmes qu'il avait donné et eu lors de ses relations. Mais le voir aussi attentionné perturbait June. Elle n'arrivait pas à déterminer si c'était une bonne chose ou non, si la manière dont il traitait cette humaine n'allait pas se retourner contre lui. Après tout, il comptait sûrement s'en débarrasser après avoir goûté son sang, elle se faisait sûrement du mouron pour rien.

 Jouant machinalement avec son verre, il avait l'air soudainement contrarié.

— Il y a quelque chose qui me dérange à propos d'Emi. J'ai besoin de ton avis.

— Dis toujours.

— Si elle est chez moi, c'est parce que je l'ai ramassée à sa fac, vidée d'énergie. Elle a dû se faire malmener - et ce n'est pas le problème. Le problème c'est que toutes les vitres de son université étaient brisées, et que la magie crépitait encore le long des murs quand je suis arrivé.

— Quel rapport avec ton humaine ?

— J'ai senti les mêmes étincelles parcourir ses cheveux lorsque je l'ai prise contre moi.

— Ça ne veut rien dire, Natsu. Elle a très bien pu être en contact avec et son corps en a absorbé un peu, c'est très courant.

— June, je sais bien. Si je t'en parle c'est parce que ce n'est pas la première fois, répondit-il, agacé.

 Elle le toisa un instant et se concentra ensuite sur la mixture qu'elle venait de créer. Le mélange était assez transparent, à la de couleur violette, et sentait délicieusement bon le sucre. Si ce n'était pas pour désintoxiquer son vampire favori, elle l'aurait bu elle même tellement elle en était fière. La versant dans un verre à vin, elle le tendit ensuite à Natsu. Il fit délicatement tourner le mélange dans le verre avant de le mettre à ses lèvres, il en but ensuite une gorgée. La décoction que June lui avait servi fit rapidement effet, il venait de retrouver une apparence décente. Il reprit :

— Il y a de ça plusieurs jours, j'ai senti les mêmes étincelles, June. Comme ça n'a duré que quelques secondes, j'ai d'abord cru que j'avais halluciné, j'avais faim ce jour là. Mais en y repensant, c'était sûrement lié.

 June haussa un sourcil, il avait enfin toute son attention.

— Et que s'est-il passé à ce moment là ?

— Elle s'est tordue de douleurs dans mes bras et ses signes vitaux étaient au plus bas. Ça a duré une minute ou deux, puis tout est redevenu normal.

— Ça ne correspond à rien de ce que je connaisse.

— Je m'en doutais. Rien à voir avec ce que j'ai pu voir des sorcières qui découvrent leurs capacités. Mais vous avez tellement de clans différents, je ne les connais pas tous.

— Je regarderai dans mes bouquins à l'occasion.

 Il la gratifia d'un faible sourire, c'était sa manière à lui de la remercier. Il savait bien qu'il pouvait compter sur elle. Cette histoire le tracassait ; sa petite humaine semblait lui réserver encore bien des surprises. June reprit place à ses côtés, whisky en main.

— Tu disais qu'elle avait été malmenée et que tu l'avais ramenée chez toi. Elle n’est pas blessée, j'espère ?

— Si. Divers hématomes et une côte brisée. Mais je lui ai donné de l'opium en attendant de décider quoi faire.

 June s'étouffa avec son verre.

— Tu as QUOI ? hurla-t-elle en toussant son whisky.

— Donné de l'opium, s'amusa-t-il.

— Rappelle moi de ne jamais venir te voir si je suis blessée.

— C'est noté.

 Ils se mirent à rire ensemble, June était aussi exaspérée qu’amusée. Natsu n’avait aucun mal à détruire les humains, les blesser, découper, broyer, mais il devenait soudainement empoté lorsqu’il s’agissait d’en prendre soin. Il avait été formé pour tuer, pas pour guérir et, même s’il avait rejoint la société humaine depuis plus d’un siècle, il ne savait toujours vraiment pas comment ils fonctionnaient.

 Il aurait pu l’emmener à l'hôpital, c’est ce que toute personne saine d’esprit aurait fait. Mais ses doutes concernant la nature de sa petite protégée l’avait poussé à ignorer cette option ; si les médecins ne retrouvaient rien de spécial concernant sa nature, la possibilité qu’elle refasse une nouvelle “crise” n’était pas écartée. Et rien de pire que des humains paniqués face à ce qu’ils ne comprennent pas. Non, il avait préféré la ramener chez lui, elle était blessée mais pas mourante. À condition qu’elle ne se perfore pas le poumon avec sa côte cassée.

 Glissant de son tabouret, il passa derrière le comptoir, fouilla dans un tiroir, sachant parfaitement ce qu’il cherchait ; June les rangeait toujours au même endroit. Il en sortit une longue boîte métallique, qu’il ouvrit. La seringue qui se trouvait à l’intérieur, malgré ses nombreuses utilisations, était quasiment intacte, la rousse en prenait grand soin. L’aiguille était brillante, à l’aspect argenté et doré, les nuances ambrés indiquaient seulement qu’elle avait été marquée par la sorcellerie, magie nécessaire si on souhaitait prendre le sang d’un vampire.

 Usant du miroir derrière les étagères qui abritaient les bouteilles pour mieux voir où il se piquait, il plaça la seringue au niveau de son cou, la tête légèrement tournée vers le plafond pour mieux atteindre sa carotide. Son visage restait impassible, il avait pris l’habitude de le faire et ne ressentait aucune douleur, tandis que la seringue se remplissait du fluide sombre qui parcourait ses veines. Son sang était bien plus épais et foncé que ceux des humains, ses vertues étaient d’ailleurs toutes aussi différentes.

 Remplissant la seringue au maximum, il reposa l’aiguille dans le boîtier en métal et récupéra deux flacons vides dans l’armoire de June, qu’il s’empressa de remplir du contenu de la seringue. Il tendit à June un des flacons, mit le deuxième dans sa poche de sweat, avant de se masser frénétiquement le cou.

— Je te remercie pour Frisk.

— Ne me remercie pas à chaque fois, June. Aucune amélioration ?

 Son regard, devenu brusquement triste, fixait la petite fiole avec laquelle elle jouait doucement entre ses doigts. Ce nectar, aussi dangereux que précieux, maintenait en vie sa chère et tendre depuis plusieurs décennies désormais.

— Non, finit-elle par répondre.

 La belle rousse se mit à sourire, chassant au loin les douloureuses pensées qui accaparaient son esprit. Elle n’était pas du genre à se laisser aller ainsi. Elle pointa la poche du brun, il souhaitait sûrement rester discret mais elle n’était pas du genre à laisser passer ce genre de chose :

— Et tu comptes en faire quoi de la deuxième ?

 Il se servit un dernier verre de whisky avant de répondre, son sourire en coin était revenu, ses lunettes de soleil posées sur le bar.

— Je vais surement lui donner.

 Les murs se mirent à trembler légèrement, assez pour bouger de quelques millimètres les bouteilles sur les étagères et les verres posés sur le bar. N’importe qui aurait pensé à un tremblement de terre, mais pas Natsu. Il savait bien qu’il avait provoqué tout ça, d’une certaine manière. À ses côtés, June le regardait avec colère.

— Est-ce que j’ai bien entendu, dit-elle d’une voix calme, qui cachait sa fureur.

— Oui. Je compte lui en donner.

— Ce que tu as sniffé t’as aussi attaqué les neurones, c’est ça ?

 La sorcière pouvait bien être folle de rage, elle ne pouvait rien contre lui. Au delà de leur amitié, elle savait bien qu’elle n’avait aucune chance face à Natsu, elle décida de ne rien tenter. Perte de temps et d'énergie qui ne meneraient à rien. Elle devait se contenter de le regarder ricaner.

— Je ferais attention à ce qu’elle ne meure pas dans les prochaines quarante-huit heures, c’est promis.

— Tu es un sale con, et un sale con inconscient.

 Il haussa les épaules et se gratta l'arrière de la tête, par automatisme. Il avait décidément trop fréquenté les humains.

— June, je l’aime bien, dit-il doucement. Elle m’apaise. Je ne comprends pas bien pourquoi mais elle m’apaise, alors crois moi que je ferai attention.

 Natsu finit son verre derechef, le regard fuyant. June resta bouche bée, elle ne s’attendait pas à une telle confession de sa part. Il s’était vraiment attachée à elle, alors ? Elle le regarda quitter le bar sans un mot, les mains dans les poches.



 Comme toujours, son appartement était silencieux. Il entendait bien la respiration d’Emi dans sa chambre, mais c’était la seule chose vivante qui se trouvait à son domicile. Le tintement des clés qu’il déposa sur la commode résonna doucement dans la pièce alors qu’il se dirigeait vers sa chambre. Dans ses draps blancs : Emi. Les sourcils froncés, sa bouche se contorsionnant au gré des mauvais rêves qu’elle vivait, la sueur perlant sur sa peau de porcelaine, son corps à demi nu. Il avait bien été obligé de la déshabiller, ses vêtements mouillés sentaient l’eau souillée. Alors il l’avait déposé, en sous vêtements, dans son lit. Les quelques gouttes d’opium qu’il lui avait administré aux creux de ses lèvres avaient rapidement fait effet, et il devait dorénavant lui proposer le seul remède qu’il avait en sa possession. June avait raison : il était inconscient. Il devrait l’amener à l'hôpital où d’autres humains seraient plus aptes à la soigner. Que faire si elle refaisait une crise la bas ? Son quotidien en serait chamboulé, elle était déjà harcelée et persécutée. Il n’arrivait pas encore à déterminer ce qu’elle était, ce qui la rendait imprévisible.

 Assis au pied du lit, il la regardait. Elle changeait sans cesse de position en gémissant de douleur, et il jurerait qu’elle pleurait dans son sommeil. Même ainsi, il la désirait, son entre-jambe le trahissait une fois de plus. Nombre de ses semblables n’auraient pas hésités à la prendre, la pénétrer de leurs crocs et de leur virilité, mais pas lui : il s’imposait certaines limites et règles pour faire durer le plaisir et ne pas tomber dans l’ennui et la lassitude que pouvait apporter la facilité. Il regardait la courbe de son corps, ses formes, son squelette. Il aurait aimé l’amener dans ses draps dans d’autres circonstances, que sa voûte plantaire s'arc boute sous le plaisir, pas sous la douleur. Oui, il n’avait aucune envie de la laisser au soin des humains, il voulait se lier d’une certaine manière, à défaut de pouvoir lui révéler sa nature et faire un pacte avec elle.

 Allongé, Emi blottie contre lui, il avait finalement attendu plusieurs heures qu’elle se réveille. Il avait écouté la simple respiration de cet être si fragile qui demeurait dans ses bras, et cela lui avait suffit pour trouver une forme de paix. La regarder dormir était passionnant, et il s’amusait à deviner ce que pouvait bien contenir ses rêves. Il s’en cachait à peine : il était jaloux des humains et de ses semblables qui pouvaient sympathiser avec Morphée chaque jour.

 Emi ouvrit doucement les yeux, et tout son visage montrait que la douleur s’était réveillée, en plus d’avoir les vertiges et nausées liés à l’opium. Elle se libéra de son étreinte et ses yeux parcoururent la pièce : elle n’était pas bien sûre de l’endroit où elle se trouvait.

— Tu es chez moi, dit-il doucement.

— Et pourquoi pas… à l'hôpital, marmonna-t-elle difficilement.

— Pour que tu brises les vitres de tout l'établissement ? Oui, excellente idée.

 Dans un gémissement de souffrance, elle se tourna et se mit dos à lui, avant de se murer dans son silence.

— Il va falloir que tu me racontes ce qui s’est passé.

 Elle ne lui répondit pas, et Natsu leva les yeux au ciel. Il n’était pas encore assez doué avec les femmes pour les faire parler contre leur gré ; il se contentait généralement de se glisser entre leurs jambes et leur procurer du plaisir afin de dénouer leurs langues, mais cette option était inenvisageable.

 Effleurant ses cotes du bout des doigts, il appuya légèrement à l’endroit qui la faisait souffrir et Emi retint une plainte en serrant la mâchoire.

— Outre les nombreuses écorchures et hématomes qui fleurissent sur ton corps, j’ai le plaisir de t’apprendre que tu as une côte brisée.

 Emi restait silencieuse : elle s’en doutait et elle morflait. Mais sa fierté était trop importante pour qu’elle montre à quel point elle dégustait. Il souffla de plus belle, exaspéré par son mutisme. Prenant la fiole qu’il avait mit sous son oreiller, il l’agita frénétiquement sous le nez d’Emi pour la forcer à se tourner vers lui. Un sourcil arqué, elle le regardait, intriguée.

— Si tu me promets de me raconter en détail, je te le donne.

— Qu’est-ce que c’est ?

— Quelque chose qui te permettra de guérir dans l’heure.

— On ne peut pas guérir une côte brisée avec un sirop, ne te paie pas ma tête, ça se saurait sinon.

 Il sourit de plus belle, elle n’était pas si facile que ça à berner.

— Je suis riche, Emi. Tu ne crois pas qu’on a accès à des médicaments plus rares ?

 Il espérait qu’elle tombe dans le panneau cette fois ci, il ne voyait pas comment lui faire gober ça autrement. Les humains étaient bien plus crédules autrefois, et il n’avait pas envie d’user de ses capacités pour la forcer à prendre la fiole. Elle réfléchit quelques instants, observant avec attention la petite fiole avec laquelle il jouait de ses doigts fins. Disait-il vrai ?

— C’est promis. Je te raconterai. Mais souviens-toi que c’est toi qui me l’a demandé, dit-elle à demi-voix.

 Il se mit à califourchon au dessus d’elle, arrachant le bouchon de ses dents. Elle était trop vaseuse pour être surprise des actions de Natsu, et n'essaya même pas de réagir. Il déversa le contenu du flacon entre ses lèvres, plongeant son regard dans ses yeux vairons qu'il trouvait captivant. Il n’eut pas la patience d’attendre qu’elle déglutisse, qu’il l’embrassa avec fougue, sa langue dansant avec la sienne, le goût de son propre sang atteignant ses papilles. Il sentait déjà son essence qui se déversait en elle, qui parcourait doucement ses veines, les battements de son coeur résonnaient dans son esprit, son bassin ondulait instinctivement contre le sien.

 Bois, ma douce Emi. Consomme moi, laisse moi être en toi. Mais fais bien attention à ne pas perdre la vie ces prochains jours, ou tu pourrais bien passer l'éternité à mes côtés.

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