Heil, die Rettung

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Dans la faible lueur dansante des flammes, il discernait très nettement la douzaine d'individus en contre-bas. Il leur faisait face. Sous leur capuchon, ils psalmodiaient, en chœur, un langage incompréhensible, guidé par le rythme d'un son lourd, issu d'un tambour. Entre lui et eux, il y avait de l'eau, percée par des stalagmites éparpillés ça et là. De là où il était, en contre-haut, ils menaient ce que tout portait à croire à une cérémonie.

- Chers camarades ! entama-t-il, portez louanges à notre seigneur ! - un coup de tambour retentit en écho, ô, gloire à lui ! Recevez en vous sa dévotion ! Par ce jour, par ce présent, que nos jours soient meilleurs!

BOUM, le chœur s'intensifiait.

- Recevez en vous sa dévotion ! Ô, tout puissant ! Accorde nous gloire et vie éternelle, par la jouvence octroyée par ce jour, par ce présent !

BOUM, le chœur s'intensifiait toujours plus, mêlant un cri de femme horrifiée.

Une lame fendit l'air et cogna le pupitre devant lui.

- Recevez en vous sa dévotion ! Ô, maître de ce monde ! Que ta puissance n'ait d'égale que ta justice, infaillible ! Puisse ceci t'assouvir!

BOUM, les voix s'élevaient toujours plus, comme pour accompagner le paroxysme de la cérémonie.

Il agrippa la sphère par la touffe de fils en son sommet, et la tendit du bout du bras. Du liquide coulait abondamment, se mélangeant au contact de l'eau plus bas.

- Recevez en vous sa dévotion, GLOIRE AU SEIGNEUR !

- Gloire au seigneur ! répétèrent-ils ensemble.

BOUM

- GLOIRE AU SEIGNEUR !

- Gloire au seigneur !

BOUM

- GLOIRe au sei...

De la chaleur réchauffait anormalement ses orteils refroidis par la fraîcheur de la cavité. En les baissant pour déterminer cette anomalie, il écarquilla les yeux si grand qu'ils manquèrent de sauter hors de leurs orbites.

BOUM

Un corps d'enfant, - Non ! de bébé, étendu sur le pupitre, à hauteur de son nombril, sans tête. La chaleur venait du sang qui s'échappait de la nuque du bambin.

BOUM

Tous ses membres se mirent à trembler violemment, agitant ce qu'il tenait. Dans son poing bien serré, de fins cheveux s’effilochaient entre ses doigts.

BOUM

Ses dents s’entrechoquaient. Lentement, malgré sa volonté, comme s'il ne voulait réaliser ce qu'il se passait, il fit pivoter, lentement, en distinguant premièrement une oreille, puis un petit nez, une bouche, des sourcils. Les paupières closes s'offrirent brusquement révélant deux ouvertures jaunes et menaçantes.

BOUM

Il se dressa sur ses fesses en hurlant. Son dos était trempé de sueur, son front perlait en grande quantité. Il avait le souffle court et semblait avoir couru sur une longue distance. Encore ce cauchemar. Encore, encore, encore ce cauchemar ! Il hurla en enfonçant ses ongles dans ses joues. Voilà presque une semaine qu'il avait bu l'eau de la source dans la grotte du Rhin, et depuis, ses nuits le traumatisaient de plus en plus profondément. Anton ne pouvait plus s'en délivrer : la veille, à bout de nerfs et épuisé, il avait pris, quitte à ne plus voir le jour, une grande quantité de drogue, servant jadis à capturer des collabos et les emprisonner. Le somnifère n'y fit rien, il se réveillait encore et encore, et toujours ce cauchemar. D'abord il psalmodiait avec d'autres individus, défilant dans une procession jusqu'au fond de l'antre. Ensuite, il louait la puissance d'un dieu inconnu. Puis, il décapitait un bébé, vidant le sang de la tête dans l'eau. Pour finir, des pupilles lacérées et effrayantes dans des globes jaunes apparaissaient.

Bauer n'en pouvait plus: il avait fondu, ses joues se creusaient, ses côtes dessinaient son thorax où une croix gammée était tatouée, ses cheveux résiduels teignaient au gris, des cernes noires et inquiétantes gonflaient, et pourtant, son reflet dans le miroir le rassurait. Bien que ce fut dur ces derniers temps, il accomplirait son devoir. Oui, son miroir lui prouvait qu'il était bien là, résistant. Tant qu'il respirait, ils n'auraient rien de ce putain de territoire. Ces cauchemars ne représentaient qu'un combat intérieur, la guerre n'était pas finie. Il sourit une grimace affreuse à lui-même. Il ouvrit le robinet du lavabo, l'eau trouble se déversa. Il joignit ses mains, accumula le liquide en son creux et se le jeta au visage. La fraîcheur le raviva, malgré l'odeur empestant l'iode. Anton se contemplât dans la glace de nouveau. Il se figea. Son sphincter se dilata. Au travers du miroir, derrière lui, sans le moindre bruit, une ombre monstrueuse s'élevait, atteignant bientôt le plafond quand deux éclats jaunes brillèrent. Il virevolta, s'accoudant au bord du lavabo. L'eau coulait toujours. Il scruta chaque recoin de la pièce : rien. Il jeta la faute à la fatigue qu'il éprouvait. Ricanant de sa prétendue folie, il se retourna et regarda dans le miroir. Ses yeux étaient jaunes et grands ouverts ! Il hurla derechef, envoyant son poing briser la glace. Il s'écroula et se recroquevilla sous le lavabo.

Mais que lui arrivait-il ? À qui appartenaient ces yeux ? À cette ombre ? Au dieu de la grotte ? Si c'était le cas, alors, que lui voulait-il ?

Anton sanglota de longues minutes. Au terme, las, il se vêtit à peine et se dirigea vers la grotte. Tout ce cirque prendrait fin.

Arme au poing, il avait atteint le fond de la grotte, qui, maintenant, il en fut persuadé, était habitée par ce quelque chose. Sa présence était palpable. Bauer n'en faiblit pas, comme s'il la connaissait, comme s'il l'attendait. Son calme ne serait pas éternel. Il se tenait débout, face à l'eau. Plus loin, en contre-haut, le pupitre. Cet endroit, ce lieu, cette grotte était le siège de dérives sectaires qu'il visualisait dans son sommeil.

- Montre-toi, maintenant, dit-il, MONTRE-TOI !

Une légère brise lui soufflait dans le dos et il sentit les poils de sa nuque se hérisser. À l'aide de sa lampe, il donna, à l'arrière, un coup vain dans le vide.

- MONTRE-TOI, JE T'AI DIT !

Le visage sombre d'une bête innommable submergea son esprit. Il gueula un « aah ! » puis poursuivit :

- SORS DE MA TÊTE ! AAAH ! Putain, mais t'es quoi à la fin ?!

Ses mouvements de panique éjectèrent sa lampe, si solide depuis tant d'années, qui se brisa en s'écrasant au sol, éparpillant le pétrole qui s'embrassa. Les flammes étaient trop intenses pour le volume ridicule que pouvait contenir le réservoir. Elles montaient au plafond. La chaleur vive sauta à la figure de Bauer. Il sentit sa peau se rétracter. Dans un effroi des plus profonds, tous ses membres se crispèrent. Dans le brasier, il voyait la bête prendre forme. Ce qui le marqua, hormis ses longs bras et des pattes à trois serres, c'était sa tête : deux cornes pointant les directions opposées surplombaient une longue gueule de loup, si imposante qu'elle occupait près du tiers du corps ailé. Sans se détacher un seul instant de ce qui se produisait devant lui, il recula inconsciemment, brandissant son arme, son instinct prenant le contrôle de tous ses gestes. Soudain, la bête canidée ouvrit grand deux orifices meurtriers, soufflant l'air qui l'entourait par l'énergie dégagée. Les yeux du cauchemar. Son éclat rayonna plus que les flammes. Pantois, il tira. Les balles, inutiles, traversèrent l'être. Ses pores se fermèrent au contact de l'eau gelée qui enveloppa rapidement ses mollets, puis, acculé au pupitre, tout le bas du corps lorsque ses jambes flétrirent, tombant littéralement sur le cul. La bête grandissait. Il était tétanisé, paralysé par la surréalité. Il tira une nouvelle fois, comme pour vérifier de nouveau. Inutile. La bête prenait toujours plus d'espace. Hébété, il tenta :

- T... T'es qu'un rêve, pauvre con ! l'air moqueur. T'es qu'un foutu cauchemar de merde ! Ha haha !

La tête de loup amplifia sa chaleur.

- J'... J'en ai rien à foutre de ce que tu essaies ! Je vais me réveiller maintenant et je vais défendre ce territoire jusqu'à la fin ! REGARDE!

Il plongea sa tête dans l'eau, - "REGARDE!", se pinça la joue puis sous la cuise, - "Alleeez, putain!", se mordit la lèvre, - " REGARDE, MAINTENANT !", tira dans sa main. Rien n'y fit, rien ne changea. Et la bête gronda, se rapprochant, intensifiant le feu sur sa peau. Il ne voulait y croire. Peut-être n'était-il pas en train de dormir. Peut-être que ce qu'il voyait était réel. Non, il dormait ! Peut-être avait-il violé le repos d'un dieu ancien. Peut-être avait-il participé aux rites. Peut-être était-il face au dieu. NON, IL DORMAIT !

- Pauvre merde ! se risqua-t-il, voix tremblante, je vais te prouver que t'es qu'un mauvais rêve...

Son assurance se perdit tant que sa voix s'adoucit. Il inséra le canon de son pistolet sous son palais. Dans un mélange de sanglots et de ricanement, il fixait la monstruosité qui s'élança vers lui pour l'assaut final et Anton cria.


BOUM

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