Embruns

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L'occasion est belle. La mer d'Iroise m' immerge de son bleu-vert ondulé. L'air salé ravive cette histoire d'hommes, cernés par l'eau, mis à l'abri des turpitudes continentales.

L'île était minuscule, à peine cent mètres de long et soixante de large. Un modeste bout de terre, ou plutôt de cailloux. Un gros rocher en fait, presque plat, avec une petite colline au centre. Des arbres peu nombreux laissent le champ libre à de larges bosquets de petites fleurs blanches et des roses maritimes.

L'endroit est ancien, issu de la fonte des glaciers millénaires ; le territoire s'est vu envahir progressivement par les flots. Il a regardé des humains passer, même s'installer, mourir ou repartir. Car la vie y est difficile, elle ne va pas de soi. Il faut travailler pour seulement être là. Naître ici, c'est un destin d'embruns, de sel, d'oiseaux marins, de nature hostile et merveilleuse.

Des familles établies du néolithique à maintenant, ont ancré et ont osé la vie ici. On y né, on y reste. Ceux qui sont partis et ont trahi étaient rares. Désormais l'îlien est de passage, abonné aux bateaux-navettes qui le déposent soumis aux pieds d'un continent.

Les maisons sont rares aussi. Les soixante-douze habitants n'ont pas peur de la solitude ; ils ne sont pas seuls. L'ensemble de la nature est leur famille. La mer est leur mère, nourricière et caressante. Le ciel a un caractère changeant, mais juste. Le vent parrain, bruyant et agité la plupart du temps, sait se poser parfois, mais ébouriffe joyeusement chacun de ses enfants.

La petite maison est en pierres de granit soigneusement érodées. L'habitant baisse la tête pour y rentrer. Le mobilier est rustique, solide, ancien, et l'ordinateur portable avec son imprimante dénotent curieusement. Le passé est partout, dans les poutres qui s'alignent au plafond, les volets d'écailles bleues, l'âtre cracheuse de suie et de cendres quand la tempête souffle et fait bouillonner les rivages.

L'homme, immense, semble encore plus grand dans cette demeure étroite. La salle à manger où il cuisine aussi, travaille, réfléchit, lit, parle et joue est attenante à une chambre. Deux lits se la partagent ; une commode et plusieurs étagères de livres finissent de remplir cet espace confiné. Un renfoncement a réussi à accueillir une douche et un lavabo. Des peluches sont dispersées sur l'un des lits. C'est celui de Timéo. Tim, le roi des mouettes. C'est son père, Gaëtan, qui lui a inventé ce surnom. On dit des mouettes, mais ce sont des goélands ou des cormoran même. Dés ses trois ans, il courait après les oiseaux, qui, par enchantements, n'avaient pas peur de lui. Les petites sternes volaient en ronds gracieux au-dessus de sa tête, et piquaient soudainement devant ses pieds par jeu. Le petit bonhomme inoffensif et débrouillard était comme eux. Gaëtan lui lâchait la main au premier pas sur le sable, et il rejoignait ses sujets sous l'oeil attentif de son père et le regard incrédule des pêcheurs.

Aujourd'hui Timéo a presque six ans. Son père l'observe depuis un moment par la porte entrebaillée. Il fait sombre ce matin ; hier il a plu et les nuages sont restés. La lumière ne perce pas encore entre les deux battants bleus. Tout de même Gaëtan devine sans peine la chevelure particulière du petit. Comme chez lui, les larges mèches sont bouclées, très noires, et descendent bien au-dessous de la nuque. Dehors leurs cheveux brillants reflètent les bonnes humeurs du ciel. La peau du petit est mate. Les draps en semblent encore plus blancs. Le Gaëtan miniature dort. Sur l'oreiller, les ondulations d'ébène dégoulinent. Le visage est lunaire et paisible. Les premiers rayons jaunissent soudain les boucles, presque les ondes dessinées sur le sable à marée basse.

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