Réponse à "La peur au ventre"

de Image de profil de Inna. BCInna. BC

Avec le soutien de  Bismuth Bi83, Dominique Eysse 
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Le lin de ma tunique collait à ma peau trop moite, cela m'offrit quelques regards lubriques de mes camarades. Mes doigts sur mon pendentif d'hématite, un sourire entendu suffisaient, d'ordinaire, à calmer leur ardeur. Mais nous étions la nuit de l'équinoxe de printemps et ce jour de mars avait été particulièrement chaud, les corps comme les esprits s'étaient échauffés.

Le ciel dégagé nous permit de nous guider aisément dans les allées du cimetière qu'Elmira avait choisi pour la cérémonie. Je détestais tellement tout ce simulacre, mais je n'avais pas d'autres choix que de m'y plier. Que ne ferions-nous pas pour garder un confortable train de vie ?

L'autel avait été érigé sur la tombe d'un enfant, un linge cramoisi cachait la tristesse d'une tombe laissée à l'abandon. Les lueurs de quelques bougies noires dansaient au gré d'une légère brise. Le vent nous apporta les effluves des fleurs d'une tombe plus récente, ainsi que tous les sons nocturnes d'une vie en éveil.

Une voix grave et posée lança les prémices de la cérémonie et on m'introduisit comme prêtresse officielle. Je n'eus aucun mal à rentrer dans mon rôle et j'avançai d'un pas lourd pour me placer devant l'autel. Je fis se succéder les paroles du livre d'Hécate, appelant nos ancêtres ; priant intérieurement de ne pas être entendue. Quelques phrases en latin, un écho parmi les disciples, la cérémonie suivit son cours habituel quand nous fûmes grossièrement interrompus.

Elle avança dans son linceul noir, sa chevelure grise se mouvait au gré de sa démarche féline. Ils s'écartèrent tous en barbotant, tremblant qu'ils étaient tous ; tous ces lâches ! Sa main décharnée se leva et un homme surgit de derrière elle pour lui ôter son sombre habit. J'ai réprimé un haut-le-cœur devant le corps nu, décharné de ma grand-tante. Le parchemin de sa vieille peau était noirci par des tatouages aussi obscurs et anciens qu'elle.

Elle m'évinça sans le moindre effort et s'exprima d'une voix puissante. Elle se plaignit des usurpatrices ; je me sentis à peine visée. Puis elle appela au sacrifice d'Hécate. C'était une pratique que même ma mère avait abandonnée et les sursauts de stupeur dans la foule des initiés me rassurèrent. Ce fut de courte durée, deux femmes couvertes de cape de velours pourpres traînèrent une jeune fille jusqu'à l'autel. Elle était vêtue d'une fine robe d'été, d'un blanc éclatant. Ses cheveux châtains encadraient un visage blafard et un regard rendu inexpressif par les drogues.

Je m'étais perdue dans la contemplation de la pauvre victime et je n'aperçus pas les doigts crochus de ma grand-tante saisir mon pendentif et me l'arracher du cou. La brûlure de l'argent, égratignant ma peau, me fit crier de surprise et fit rire la vile sorcière.

Elle attacha le bijou autour de son cou ridé et commença à psalmodier des litanies qui n'avaient plus été prononcées depuis des décennies. L'air devint plus lourd, les flammes vacillèrent, la nature se tut dans un silence qui aurait pu nous faire croire que toutes choses étaient mortes. Puis un cri.

D'autres suivirent alors que les femmes en cape se mirent à chanter, un chant guttural qui me vrilla la tête. Le goût du sang me vint à la bouche et l'odeur aigre de ma propre peur. Les yeux rivés sur l'autel, je vis la peau de la jeune sacrifiée qui ondulait comme le sable des dunes sous les vents d'hiver. La vue me fut occultée par la sorcière qui avait saisi un athamé et le plongeait vers l'autel. Je dus me déplacer pour voir, j'avais un besoin impérial de voir, autant que t'entendre les chairs se déchirer sous les coups se succédant avec violence. Mes disciples tentèrent de fuir devant la barbarie, mais furent jetés au sol, à genoux, par la cour de la sorcière. Moi-même, je sentis une puissante main s'abattre sur mon épaule, et je m'écroulai.

Ma main se crispa sur le sol et quelque chose me chatouilla les doigts. C'était un énorme cafard, un de ces cancrelats qu'on espère ne jamais croiser de toute son existence. J'aurais pu crier, j'aurais dû, mais je n'en fis rien. Une certitude s'empara de moi et j'en vins à murmurer au détestable insecte des mots, des ordres ; une demande pathétique d'aide. La situation m'échappait, cela était évident.

L'improbable se passa, car j'eus l'impression d'être entendue. Par lui, par l'air, par l'univers même ! Le sang de la sorcière coulait dans mes veines et au lieu d'attendre de finir découpée, autant se battre. Un grondement se fit entendre au tréfonds de mon âme, je n'avais pas remarqué qu'ils étaient tous autour de la pauvre fille et qu'ils dévoraient son corps encore secoué par les derniers spasmes de vie.

D'un geste leste, je vins arracher le collier ; entreprise aisée, le nœud l'attachant était peu serré. Je saisis la pierre dans ma paume. La force ressentie était tellement plus pure, vibrante. Ma gorge libéra un flot de syllabes qui m'étaient inconnues. Un vent souleva ma chevelure rousse, dans un tableau très mystique. J'aurais pu me vexer que si peu avaient remarqué ma rébellion, mais cela me permit d'accomplir cet acte insensé dont je ne mesurais pas les effets. Le corps tremblant, la peau bien plus moite qu'à mon arrivée, je reculai de quelques pas. Les hurlements envahirent l'allée et rompirent le silence du cimetière. Je les regardai se débattre avec quelque chose, vomir parfois, crier souvent, puis ils s'étaient bien assez écartés du corps pour que je puisse le voir. Des cascades de cafards coulaient des chairs dévorées de la jeune fille, couraient sur la stèle, sur les corps des disciples. Sur le corps décharné de ce qu'avait été ma grand-tante.

Mon dernier geste fut de lui prendre l'athamé de ses doigts - il était dans la famille depuis des années - et je quittais les lieux, bercés par les derniers cris de ces adeptes d'un autre âge.

Je déteste tellement tous ces simulacres.

ContemporainHorreurDéfinouvelle courte
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En réponse au défi

La peur au ventre

Bonjour à tous !

Pour ce deuxième défi que je vous propose, j'avoue que je met la barre un peu haute ;)

Je voudrais que vous écriviez une histoire d'horreur. Qui se passe soit dans une maison hantée, soit dans un établissement scolaire abandonné ou alors dans un lieu que vous trouvez particulièrement effrayant.

Je vais vous exposer la liste des contraintes que j'attend de vous :

- Votre histoire doit faire un chapitre de cinq minutes de lecture environ. Vous pouvez faire moins évidemment.

- Vous devez mettre en scène un animal qui éveille en vous une peur surdimensionnée.

- Je souhaite aussi que vous développiez vos sentiments et vos émotions pour cette écriture.

- Et pour la dernière contrainte, je vous demande de me faire mourir de peur.

A vos claviers cher écrivain ! Bon courage à tous ;)

Commentaires & Discussions

La cérémonie.Chapitre8 messages | 5 ans

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