Chapitre II

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De Grands Rois

- Royaume de Lenk-

Six semaines plus tôt

***

On frappa. Trois coups brefs résonnèrent contre le sombre chêne de la porte et s’éparpillèrent dans la pièce, avant de s’évaporer par une fenêtre entre-ouverte. Une voix étouffée par l’épaisseur du bois leur succéda.

– Mon Seigneur ?

– Entrez.

Le dos de Shadar observa une force invisible abaisser la poignée, et la porte repoussa son cadre pour présenter la mine sérieuse d’un visage juvénile. Un air d’appréhension flottait pourtant sur cette face polie.

Le jeune valet s’immisça dans la Chambre Princière puis attendit, les mains jointes, ses jambes balancées entre embarras et timidité.

– Eh bien, exprimez-vous!

Shadar refermait ses boutons de manchettes dorées de ses doigts fébriles, comme pour effacer toute trace de ses intentions. Il s’apprêtait à troquer sa chemise contre un vêtement plus commun à l’arrivée du valet. Ce domestique venait d’interrompre les préparatifs de son escapade. Trois semaines s’étaient écoulées depuis sa dernière rencontre avec Asik. Il avait manqué son ami sept jours plus tôt et ne voulait pas laisser s’enfuir une semaine supplémentaire. Ses tremblements étaient revenus et lui demandaient une concentration de plus en plus grande pour les dissimuler.

Shadar sentait un mélange d’émotions contradictoires et d’agitation se tortiller en son sein. Il commençait à montrer de la difficulté à réfléchir, comme à rester calme. Assis, il éprouvait la nécessité de marcher. Debout, il avait besoin de s’allonger et couché, il finissait par s’assoir. Asik et sa Poussière d’Etoiles apaiserait certainement ses nerfs. Mais Shadar allait devoir différer son vagabondage de quelques minutes, semblait-il.

– Sa Majesté m’a chargé de vous escorter jusqu’au Salon des Invités.

– Sa Majesté a-t-elle de la compagnie?

– Vous serez présenté à Sa Seigneurie Sendhar de Tehka, mon Prince.

Le Roi Sendhar de Tehka. Les minutes de cet atermoiement allaient certainement se changer en heures. Une question survint: quelles raisons avaient bien pu le conduire au Palais de Lenk? Le souvenir de la dernière rencontre des deux rois, et du refus catégorique de Sendhar de collaborer aux projets d’Alfir, amenait à penser qu’ils ne se reverraient jamais.

Un soupir princier, épais et résigné, s’échappa de lèvres boudeuses. Le prince haussa les épaules et se retourna.

– Je vous suis.

Se joignirent à la paire trois gardes aux costumes impeccables pour former une escorte royale dans les règles de l’Etiquette.

Shadar ne prêta aucune attention aux soldats. La situation l’agaçait. Il devinait une sourde angoisse poindre en son estomac. Il n’arrivait pas à saisir la raison de cet entretien, ni le dessein de son père à l’y associer. Dans l’espoir de calmer un tant soit peu ses nerfs, il réfléchit aux souvenirs en lien avec Tehka. Le Roi Sendar avait deux fils, enfin plus qu’un. Le second était tombé lors d’un combat aux frontières septentrionales de Tehka, si sa mémoire était bonne. Sa Majesté avait aussi une fille. Comment s’appelait-elle? Ah oui! Aly… Ale…ya! Shadar l’avait rencontré une fois, sept ou huit annis auparavant. Elle promettait être une belle jeune femme alors. L’était-elle devenue ?

– Mon Seigneur…

Oh!

Shadar se tenait devant la porte du Salon des Invités. Tout à ses pensées, il n’avait pas remarqué le chemin parcouru. Il inspira en profondeur, s’emplit du silence pesant dégagé par un couloir tapissé de saisissantes tentures. Chacune représentait avec fierté des exploits militaires et stratégiques du royaume.

Shadar devait contenir son angoisse et son sentiment d’oppression, au moins le temps de l’entrevue. Il aurait alors tout loisir de s’esquiver, de rejoindre Asik, et de fumer…

– Allez-y.

Le Valet fit un signe discret au soldat en faction. Celui-ci se retira pour laisser le domestique à son rituel. Trois coups brefs contre le battant avertirent les hôtes puis la porte s’ouvrit sous la main habile du valet.

– Shadar o’Lenk, Prince Héritier du Royaume de Lenk.

Shadar laissa s’enfuir une seconde. Si celle-ci s’éclipsa sous le seuil de la porte, personne ne le remarqua. Alors le prince fit son entrée dans le Salon des Invités.

– Sendhar, voici mon fils Shadar, vous ne devez avoir aucune peine à le reconnaître.

– Il est plus grand et plus costaud qu’à l’époque, mais porte bien les caractéristiques o’Lenk.

Shadar tendit un bras vers Sendhar et ils s’empoignèrent l’avant bras, comme le voulait leur rang.

– Shadar manie sabre, dague, hallebarde, et autre armes avec dextérité. Il est agile à cheval avec et sans selle. Le Maistre lui enseigne la politique, la stratégie, l’arithmétique et les arts depuis ses onze annis.

Sendhar tournait autour du prince, le sondait de ses yeux d’aigle et ponctuait le débit de parole d’Alfir par des « Hmm » approbateurs.

– Il fera l’affaire. Oui.

Shadar croisa le regard de son père. Il y lu un éclair de fureur bien vite masqué par un clignement de paupières ridées. Alors le roi afficha un sourire affable.

– Parfait. Le prince Shadar o’Lenk mariera donc la princesse Ayela o’Tehka, disons d’ici un mois et une douzaines de jours.

– Cela semble convenir.

– Parfait! Parfait! Le roi o’lenk se leva et prit Sendhar par les bras. Mes conseillers s’occuperont de l’organisation et vous feront parvenir les traités sous plis prochainement. Nous pourrons alors convenir d’une seconde rencontre pour officialiser nos accords. Venez, allons prendre un verre dans les jardins pour fêter la nouvelle.

– Shadar, vous pouvez disposer.

Le prince resta coi, soudé au plancher. Son esprit n’était plus que confusion, enchevêtrement de questions, de stupéfaction et d’incrédulité. Un mariage? Avec Ayela o’Tehka? Dans un mois? Mais? Selon la coutume, et l’Etiquette si précieuse à son père, il n’aurait pas dû se marier avant encore deux annis!

***

Dans la chambre, les meubles tournaient à vive allure et offraient un délicieux vertige aux sens. Le lit à baldaquin faisait place au secrétaire en bois précieux, et lui-même se poussait à l’arrivée de l’imposante garde-robe ornée des fleurs emblématiques de Tehka. De temps à autre, une fenêtre ouverte sur un avenir prometteur s’immisçait et épinglait de scintillements la tunique éburnéenne de la jeune fille.

Celle-ci virevoltait sans ne jamais perdre pied. Elle évoluait en mouvements gracieux et délicats, et prenait de la vitesse à chaque nouvelle impulsion. Elle tournait, tournait, tournait, dans l’espoir d’atteindre cet état supérieur si vital, cet abandon total si proche d’une liberté infinie et pourtant inaccessible.

Enfin, Ayela pénétra cette conscience éthérée si désirée. Elle perçu son esprit dépasser les limites de sa chair. Elle se sentit, elle, s’émanciper, devenir, être l’espace alentour. Elle fut le rayon de trente centimètre autour de son corps, puis elle fut un mètre cinquante. Alors elle fut la pièce, puis le jardin, le royaume, l’univers. Ayela, dans un état de conscience de conscience, était, en toute simplicité.

Puis, tel une toupie en perte de vitesse, la jeune fille ralentit, retourna en elle, s’immobilisa. Ivre de tourbillons, elle chancela et s’effondra sur le lit.

La porte d’entrée frissonna sous les vigoureux coups d’une servante énergique et s’ouvrit sans attendre l’invitation royale.

– Mais voyons ma fille! Ce n’est pas une position digne de votre rang, être avachie ainsi! Allez, levez-vous et approchez!

Elle tira la princesse au centre de la chambre, lissa en gestes secs les plis de sa tunique et claqua trois fois des mains.

Deux femmes de chambre accoururent, la première les bras chargés d’une étoffe laiteuse, la seconde enfouie sous un amas de tissus bariolés.

– Mais Adaa? Que me vaut votre visite?

– Ceci, ma fille, répondit l’intéressée, le doit pointé vers la pelote de dentelle, se trouve être votre robe de Présentation.

Une robe de Présentation ? Pour les présentations officielles avec son futur mari ? L’émotion troubla Ayela.

– Mais ? Père n’est pas encore de retour. Peut-être n’a-t-il pas approuvé ?

– Oh! Ne vous inquiétez-pas de ces choses, Ayela. Croyez-moi, vous investirez les couloirs du Palais de Lenk plus vite qu'un battement de cils. Maintenant, retirez-moi cette tunique.

Embrouillée par cette réponse nébuleuse, la princesse retira sa robe, abandonna son corps à la charge de ses dames et se laissa emporter par le paysage suspendu à la fenêtre.

Se déroulaient côte à côte une prairie à l’aube de son printemps et un champs de juvéniles céréales. A leur extrémité, les Bois de Langnär délimitaient un horizon irrégulier où les branches encore nues des feuillus se nouaient d’amitié avec les perpétuelles épines voisines. La forêt cachait à la vue la frontière avec le Royaume de Lenk.

Son futur royaume, son futur palais, son futur mari. Ayela espérait les on-dit proches de la réalité. Shadar était, aux dires de ses Dames de Compagnies, un homme sérieux, attentif, et très beau garçon. Il était déjà charmant petit, se souvint-elle. La princesse sourit à la mémoire de cette unique rencontre dans les Jardins du Palais de Lenk.

La domestique tira sur les lacets du corset et ramena du même coup Ayela à l’instant présent.

– Ne serrez pas tant!

– Il me faut bien, si vous voulez rentrer dans cette robe ensuite.

Ayela jeta un coup d’oeil à la robe. Elle peinait à respirer, comme emprisonnée. Elle vivait l’exact opposé de la liberté goûtée précédemment.

Quatre mains hissèrent ses bras vers le plafond puis on la fit pivoter pour se retrouver face à Adaa. La femme recouvrit d’un geste expert la jeune fille d’un tissu brodé. La robe glissa le long du corps élancé d’Ayela pour s’arrêter juste au-dessus des genoux, en une légère ondulation.

– Approchez-vous du miroir ma fille.

La princesse s’exécuta.

Sur la psyché, une lumière subtile vint dessiner deux sourcils délicats, épilés le matin même à l’aide d’un fil de coton. Au-dessous, deux iris verts brillants d’un besoin de liberté, étudiaient l’arête d’un nez droit d'où l’extrémité s’amusait à pointer vers les cieux. Deux lèvres émouvantes s’étiraient en un sourire satisfait, soutenu par un cou gracile. Des bras élancés se croisaient sous une délicate poitrine, rehaussée par l’ingrat corset.

Un ruban cobalt ceinturait la taille de la jeune fille et colorait une sublime robe couleur crème aux bordures soulignées de dentelles.

Oui, cela conviendrait parfaitement pour les Présentations.

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