29- Retrouvailles (1/2)

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  • Noway ! Noway ! Allez, réveille-toi ! S'il te plaît ! Allez !

À cet appel insistant, le guerrier descelle péniblement ses paupières. Une lumière vive lui agresse aussitôt la rétine, lui arrachant une plainte rauque. Perclus de douleur, il peine à remettre de l'ordre dans ses idées.

  • Ah ! Te voilà revenu à toi ! s'exclame la voix qu'il reconnaît comme celle d'Harold. Pria, baisse la lumière.
  • On a réussi ? demande Noway d'une voix rouillée.
  • ça dépend de ce que tu entends par là. On a libéré Ariel et réussi à quitter Syssol vivants...

Cette dernière phrase ravivent les derniers souvenirs de Noway et le réveille complètement. Les échos des affrontements livrés reviennent l'assaillir. Le regard fou d'Ariel le gifle une nouvelle fois. Il revoit l'épiderme martyrisé de Tryana . Il entend résonner ses cris inhumains lorsque les lianes enracinés en elle se sont déployées.

  • Tryana ? Ariel ? s'écrie-t-il en voulant se redresser.

Une force inconnue le maintient allongé contre sa volonté.

"Reste ! "

Cet impérieux cri, qui retentit sous sa boîte crânienne, l'arrête net. Cessant de lutter, il balaie doucement son corps du regard. Le mutant est recouvert d'un réseau composé d'arachnofils. Cette toile se fait plus dense sur son bras droit jusqu'à sa main où repose celle de Tryana. Le corps de la jeune femme est dissimulé sous un enchêvètrement de lianes nettement plus imposantes.

  • Je n'ai pas réussi à la sortir de là, ni Ariel, intervient Harold d'une voix étranglée. J'ignore si...

Noway suit le regard désespéré du jeune commandant posé sur la sphère de liane, le cocon où est enfermé Ariel.

  • Attends une seconde.

Noway tente doucement de se relever. Il est aussitôt arrêté. Cette fois, il perçoit distinctement la pression du filet.

"Reste ! "

La voix lui paraît suppliante, plus une prière qu'un ordre.

" Tryana ? interroge-t-il mentalement.

  • Mère meurt ... La réparer...Refleurir... Besoin de toi, Noway...
  • Pourquoi ?
  • Besoin d'aide... Pour connaître sa composition... pour l'énergie... pour qu'elle survive... pour que nous survivions tous...

Des images, des sensations même, accompagnent ces mots dans l'esprit de Noway, lui permettant de comprendre cet étrange.

Sa pensée voyage le long des fines radicelles. Il perçoit les brûlures et les mutilations du corps de la jeune femme, la douleur indicible qu'elle et ses enfants endurent. Il est témoin de la lutte de ses êtres pour colmater les brèches, pour maintenir la circulation du sang. Ils voudraient puiser l'énergie nécessaire pour reconstruire, bourgeonner, fleurir. Surpris, il perçoit Tryana qui s'y oppose de toute sa volonté. Elle les force à envoyer le maximum de puissance aux gigantesques lianes qui courent dans toutes les parois du vaisseau. Sans elles, il se désintègrerait. L'arachno s'épuise. Seul, il peine à maintenir sa mère en vie tout en sauvegardant la structure du G2.

"Besoin d'aide, Noway !

  • D'accord... libérez Ariel, demande-t-il en visualisant le cocon."
  • Tryana est vivante, annonce-t-il à Harold tandis qu'il regarde le cocon s'ouvrir. Le... les lianes essaient de la réparer mais elles doivent aussi assurer l'intégrité du G2. Elles disent qu'elles ont besoin de moi pour ça. Je vais rester là.

Harold paraît tout à la fois soulagé et perdu. Ses lèvres s'entrouvrent comme s'il allait parler mais aucun son ne franchit ses lèvres. Noway le regarde pâlir.

  • Tu les entends ? Comme elle ? Pourquoi... pourquoi ont-elles besoin de toi ? Tu es blessé... il faut ...
  • Viens t'asseoir Harold, le coupe Noway.
  • Pas la peine ! Et pas le temps de toute façon, rétorque celui-ci en serrant lespoings. Voyons comment va Ariel. Ensuite, je dois encore trouver une solution miracle pour nous sortir de ce merdier.

Un petit rire aigu et grinçant les interrompt. Ariel est assise au milieu du reste de son abri, tel un oisillon maladif au milieu d'un nid. Dans la pénombre de sa cellule, Noway a vu qu'elle avait été maltraitée. Il se rend compte qu'il avait sous-estimé l'ampleur des dégâts lorsqu'il la découvre sous la lumière crue de la soute du G2. Elle est habillée d'une vague blouse si crasseuse qu'on ne peut en deviner la couleur. Ce vêtement ne cache rien des sévices physiques qu'elle a endurés. son corps, famélique désormais, est constellé d'ecchymoses et de brûlures qui se disputent la place avec des blessures plus ou moins cicatrisées. Comme si cela ne suffisait pas, ils lui ont rasé la tête donnant tout le loisir de contempler son visage livide au milieu duquel nagent ses immenses yeux noires, un triste océan de folie.

  • Ariel,

À son appel, elle rit à nouveau pourtant son visage creux et blafard reflète un désespoir sans limite.

  • Bien sûr, tu es quand même là, toi. Que me veux-tu, cette fois-ci ? aboie-t-elle faiblement.
  • Ariel, souviens-toi ...
  • Je me souviens ! la coupe-t-elle. Crois-moi, je me souviens de chaque scénario !

Elle lève un poing rageur vers le plafond mais il retombe presque aussitôt tant elle est faible.

  • C'est pas un scénario, réplique-t-il même s'il ne comprend de quoi elle parle.

Malgré l'incohérence de ses propos, il ne peut se résoudre à admettre qu'elle a définitivement basculé dans la démence. Il voudrait se lever, aller vers elle, il esquisse un geste de la main aussitôt freiné par les arachnos.

"Reste"

  • Je veux juste lui faire signe, proteste-t-il.
  • Et tu parles tout seul maintenant, persifle-t-elle. On m'avait pas fait le coup encore, c'est vrai.

Elle rit à nouveau pour s'arrêter net quand il pose les yeux sur elle. Un gémissement s'échappe de la gorge de la jeune femme. Tout son corps tremble.

  • Laissez-moi tranquille . Cela ne marchera pas ! Vous aurez ma peau mais pas la sienne, je le jure ! murmure-t-elle en baissant la tête.
  • Ariel, tu n'es plus en prison. Ressaisis-toi, je t'en conjure, essaie de la rassurer Noway.
  • Tais-toi, je t'en supplie... l'implore-t-elle avant de s'écrouler.

Harold, l'air sombre, se laisse choir aux côtés du mutant.

  • Je suis désolé, Noway. Ils l'ont trop torturée...
  • Je le vois bien, grogne ce dernier. Mais, je ne peux pas croire qu'un passage à tabac, si dur soit-il, puisse la briser. Elle sait encaisser les coups.
  • Il ne s'agit pas des coups... il s'agit de ce qu'ils ont fait à son esprit.
  • Mais de quoi parles-tu, bon sang ? s'énerve le mutant si bien que les arachnofils se resserrent à nouveau. Oh ! vous vous calmez !
  • De toute évidence, ils lui ont imposé le rêve augmenté... à outrance. Elle ne distingue plus la réalité du rêve.

Noway a fermé les yeux, il s'applique à maîtriser sa respiration, la seule chose sur laquelle il peut avoir un peu de contrôle. Le "rêve augmenté", cela sonne comme une belle promesse, mais cache certainement encore une invention perverse de son espèce, tout comme l'optimem.

  • Oh non, c'est pas vrai ! réalise-t-il soudain. C'est pour ça, Ariel, que tu m'as demandé de te tuer pour de vrai quand je t'ai retrouvé dans ta cellule... Tu m'avais déjà vu en rêve, un rêve imposé où je te tuais, c'est ça ?
  • Cela faisait partie des options, répond la jeune femme qui a relevé la tête pour le regarder.

Il s'accroche à la petite lueur d'espoir ou d'intérêt qu'il croit apercevoir dans son regard.

  • Est-ce que tu te souviens de notre arrivée à Tryana et moi ?
  • Tryana, c'est la porteuse d'arachnofilet ?
  • Oui, Tu te rappelles ce que tu as dit lorsque je t'ai déposé dans les lianes. Tu m'as reconnu, tu as dit que c'était "le vrai moi ". C'est toujours le cas, Ariel ! Grâce à toi, Kuip est venu me libérer. Il est là, sur ce vaisseau. Et j'ai trouvé ton message dans mon pendentif. J'ai lancé un appel pour trouver de l'aide. Des néo-résistants ont répondu, des déserteurs, des pirates et les Arl Mandranes ont répondu. Ensemble, on a pu te sauver. C'est la réalité, je te le jure Ariel !
  • Mais bien sûr, des Arl Mandranes, réplique Ariel en secouant la tête. N'importe quoi ! Ils n'existent pas. D'ailleurs, je n'en vois aucun ici, ni pirates, ni déserteurs d'ailleurs ... C'est bien la preuve que tu n'es pas qui tu prétends.
  • Mais, c'est toi qui...
  • C'est pour ça qu'ils t'ont torturée, intervient soudain Harold sous le regard interloqué de Noway. Bien sûr, ils voulaient que tu balances le nom de tes alliés !
  • T'es une lumière toi dis donc, ironise Ariel.
  • Loin de là, même si j'aimerais bien, lui répond Harold sur le même ton. Nous espérions que les Arl Mandranes viendraient car tu as conseillé à Noway de les chercher pour l'aider à rejoindre la Terre. Mais, cette tête de mule de terrien mutant a décidé que la priorité était ta libération alors il a lancé un appel et ils ont répondu. J'espérais qu'ils nous traceraient quand on a quitté Syssol mais j'ai eu tort. Résultat des courses, le vaisseau part en morceaux, notre recycleur atmosphérique est HS et nous n'avons nulle part où aller ! Conclusion, sauf miracle, tu es libre et tu vas bientôt mourir... pour de vrai ! Et nous aussi.
  • Harold, ne passe pas tes nerfs sur elle.
  • Noway n'aurait jamais grillé toutes ses chances de regagner la Terre juste pour moi, déclare Ariel sombrement.

C'est au tour de Noway de laisser échapper un petit rire.

  • Mais oui, c'est bien connu, je suis un mec réfléchi. Pas le genre de gars à laisser derrière lui toute sa famille pour aller nulle-part, ni à se jeter sur un coup de tête dans une arène où ne l'attend que la mort, ou à suivre un soldat inconnu de l'armée ES juste parce qu'il lui a filé un pendentif... Je suis bien trop raisonnable pour ça, tout le monde le sait.
  • Tout ça ne nous dit pas comment on sauve nos fesses ! s'exclame Harold l'air exaspéré, en se relevant pour faire les cent pas.
  • Vous n'avez vraiment aucune idée d'où pourrait se trouver Arl Mandra ? Pas même Carma ou Haarp ?
  • Non! répond Harold d'une voix outrée. De toute façon j,e vois pas en quoi de vagues hypothèses pourraient nous aider !
  • On pourrait translater pour aller jeter un oeil.
  • Mais oui, quelle bonne idée ! Faisons un peu de tourisme avec un vaisseau emberlificoté dans trois brindilles sidérales presque carbonisées.

À cette réplique, Noway est secoué d'un étrange spasme avant de fermer les yeux. Aussitôt, le commandant se précipite à ses côtés.

  • Noway ! Qu'est-ce qui se passe ? ça va ?
  • Oui, le rassure celui-ci, en rouvrant les yeux. Tu les as vexés, c'est tout.
  • Quoi ? Qui ?
  • Les arachnolianes, pouffe le mutant de manière incongru. Pardon, elle sont remontées. T'en prends pour ton grade... Bref, elles pourraient tenir une ou plusieurs translations si nous étions capables de leur fournir suffisamment d'énergie. Et oui, nous avons un traceur collé sur la carlingue, il suffisait de le leur demander.
  • Pourquoi ils sont pas encore là alors ? s'énerve Harold.
  • Peut-être qu'ils ont maille à partir avec l'armée ES ? Ils ont pu être pris en chasse, intervient Ariel en les fixant d'un regard étrange.
  • Bon, reprend Harold sur un ton mi-figue, mi-raisin. Il semble que je sois condamné à te suivre dans tes plans les plus délirants. De quoi ces nobles créatures ont-elles besoin comme genre d'énergie ?
  • Hum... psychique... Elles se relient, on se tient tranquille et elles s'occupent du reste.
  • Un jeu d'enfants, ironise Harold.
  • Je veux bien le faire, déclare Ariel s'attirant les regards surpris des deux hommes.
  • ça y est, tu nous crois réels ? demande Harold.
  • Oui, jamais HumanCorp n'aurait pu pondre un scénario aussi improbable, confirme-t-elle avec un timide sourire en coin.
  • Tu es sûre ? Tu as déjà beaucoup enduré, rien ne t'y oblige, intervient Noway préoccupé.
  • T'as dit qu'ils avaient besoin de têtes en bois dans ton genre... je pense que je fais l'affaire, lui rétorque-t-elle, en lui rendant son regard.
  • Sans aucun doute... mais il faut que tu manges d'abord.
  • Je croyais qu'on n'avait pas de temps à perdre.
  • C'est pas moi qui le dit, c'est les arachnos, proteste le mutant.
  • Noway...
  • Bon ok, c'est moi... s'il te plaît, Ariel, il faut que tu reprennes un peu de force, lui intime-t-il très sérieusement en capturant son regard.

Il le dissimule depuis le début de leur conversation mais la connexion avec l'organisme arachno se révèle très éprouvante. Il se sent vide et épuisé, parcouru de douleurs diffuses. Elle paraît comprendre le message car elle acquiesce de la tête.

  • Il a raison, approuve Harold. De toute façon, il faut que j'aille consulter l'équipage pour notre destination et trouver d'autres potentiels candidats. J'en profiterai pour vous ramener quelque chose à grignoter à tous les deux. Profites-en pour te reposer un peu, Ariel. À tout à l'heure.

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