14- Compte sur moi (2/2)

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L'esprit encore embrumé, Hélio se réveille. Il laisse échapper un cri de douleur lorsqu'il tente de se redresser. Petit à petit, il se souvient. Lia l'a conduit jusqu'ici. Il s'est effondré. Des fragments de la suite des évènements lui reviennent. Il se souvient avoir gémi quand il a été hissé sur une surface dure, celle où il se trouve à présent. Ensuite, il a eu très froid puis très mal. Péniblement il redresse la tête pour confirmer l'hypothèse qui germe dans sa tête. Il constate que son corps est recouvert d'une vieille couverture qu'il réussit à soulever d'une main tremblante. Comme il l'avait imaginé, il ne porte plus la combinaison et ses plaies sont sommairement bandées.

La tête d'Hélio retombe lourdement sur la paillasse. Tout tourne autour de lui, l'estomac au bord des lèvres, il tente de reprendre son souffle. Il a soif. Une fois rasséréné, il lui semble se rappeler qu'avant de partir, Lia lui a indiqué qu'il avait de quoi se sustenter au pied du lit.

Tout doucement, il essaie de se relever. Il y finit par y parvenir, par petites étapes, entrecoupées de longues pauses pour laisser passer les vagues de souffrance. D'abord, il prend le temps d'observer l'endroit où il se trouve. Une toute petite pièce poussiéreuse aux murs nus, sales et gris s'offre à ses yeux. En vis à vis de sa couche, un vestige de table en métal aux pieds bancals accueillent les restes de sa combinaison ainsi qu'un tas de pansements appuyé sur une rangée de flacons au contenu non identifié. Dans un seau, gisent des compresses rouges de sang, le sien certainement. Enfin à portée de ses mains tremblantes, une gourde qu'il trouve énorme. Il la contemple pensivement de longues minutes. Sa bouche est pâteuse mais, il craint de ne pas pouvoir soulever la bouteille ou pire de tout renverser. En admettant qu'avec un peu de chance, il y parvienne, arrivera-t-il à dévisser le bouchon ? Il ne se sent pas plus capable qu'un tout petit enfant. Il en pleurerait s'il avait encore des larmes. Il serre les poings puis les dents pour emprisonner le hurlement de dépit rageur qu'il sent monter en lui.

Cela lui déchire les entrailles mais, il n'abandonnera pas, il essaiera, il lèchera le sol s'il le faut. Il endurera l'enfer puis il se relèvera. Il transmettra le message d'espoir de ses amis, se battra pour participer à la chute des Bulles. Alors, il pourra se permettre de mourir, pas avant !

Il grogne de rage et de douleur pendant qu'il se laisse glisser sur le sol. Bandant ses muscles, il parvient à attraper l'objet de sa convoitise. Il dévisse le capuchon lentement, s'arrêtant chaque fois que ses gestes échappent à son contrôle. Doucement, il porte le goulot à sa bouche pour boire une gorgée. Il la sent inonder sa bouche puis entamer sa descente dans sa gorge puis sa trachée jusqu'à se déverser dans son estomac. Son corps crie encore mais il encaisse.

Il est assis au sol, les yeux clos, la gourde ouverte posée près de lui, quand, quelques instants plus tard, il entend la porte s'ouvrir.

  • Bonjour, je vois que tu as repris un peu de force, constate Lia en refermant doucement la porte derrière elle.

Il parvient à lui sourire en hochant vaguement la tête.

  • Est-ce qu'il y a des toilettes ici ? articule-t-il péniblement d'une voix qui lui rape douloureusement la gorge.
  • Bien sûr. Je vais t'aider à y aller, lui répond-elle, en s'approchant pour l'aider à se lever.

Elle le conduit ensuite à une étroite ouverture donnant derrière la cloison en face de sa couche. C'est très sommaire, il n'y a pas de porte mais il n'a pas le choix. La jeune femme le soutient durant les quelques pas qu'il a à accomplir.

Tandis qu'il se soulage, il entend la jeune femme s'affairer. Il imagine qu'elle prépare de quoi refaire ses pansements.

Quand il sort, sans aide, en s'agrippant au rebord du mur, son lit est refait et Léa l' y attend, assise, une pile de linge blanc et une bouteille disposés à côté d'elle. Ils échangent un long regard. Il y met tout ce qu'il n'a pas la force de prononcer à voix haute. Il veut y arriver seul. Elle finit par lui sourire.

  • Saul m'a prévenu. "C'est un battant, un obstiné ... et un grand timide". Il faut refaire tes bandages, alors viens.

Hélio s'élance. Un premier pas hésitant qui l'oblige à se courber tant la souffrance est intense. Il entend Lia bouger.

  • Non, ne bouge pas, lui intime d'une voix déformée par la douleur.
  • Tu n'es pas obligé de t'infliger ça, lui rétorque-t-elle tandis qu'il avance tout doucement, les yeux rivés sur le sol devant lui.

Il aperçoit enfin le bord de sa paillasse.

  • Allez, j'y suis presque, s'encourage-t-il, à mi-voix.
  • Oui, répond Lia en posant sa main sur son avant bras et en le quittant pour qu'il s'assoit.

Hélio s'allonge sur son lit de fortune. La jeune femme commence aussitôt à enlever ses bandages. Malgré toute la délicatesse qu'elle déploie, il retient sans cesse son souffle pour ne pas gémir.

  • Dans ton état, c'est stupide de refuser de l'aide. Tu pourrais aggraver tes blessures, le morigène-t-elle.

Malgré la fatigue engendrée par l'effort qu'il vient de fournir, Hélio sourit.

  • Saul ne t'avait pas prévenu que j'étais un imbécile ?
  • Non, répond-elle manifestement toujours contrariée.
  • J'aurais sûrement besoin de retourner au petit coin pendant ton absence. Je voulais faire un essai... Tu vois, je ne suis pas si bête que j'en ai l'air, réussit-il à conclure tandis qu'elle lève vers lui un regard étonné mais compréhensif.
  • Tu veux des nouvelles de Saul, lui demande-t-elle de sa voix mélodieuse, tout en se remettant à son ouvrage.
  • Comment va-t-il ?
  • C'est exactement la question qu'il a posé... Je ne lui ai pas menti. Il était inquiet mais il a dit que tu étais solide.
  • Le G0 ...
  • n'existe plus comme tu as pu le constaté. Après la clôture du DC que tu connais et surtout la chute de la Bulle des Gouvernants, c'est devenu très tendu ici. La garde a fait de multiples incursions dans l'avenue des merveilles. Le but était clairement de démanteler le réseau de résistance HC que vous aviez commencé à construire avant ton arrestation. Ils ont débuté au G0... avec Saul.

La jeune femme s'arrête un instant. Ses yeux songeurs et tristes cherchent ceux d'Hélio.

  • J'ai tout enlevé. Ce n'est toujours pas très joli mais cela semble en voie de cicatrisation. Je vais te refaire les pansements.
  • Saul ?
  • Je te jure qu'il va bien. Tu es sûr de vouloir connaître les détails maintenant ?

Hélio hoche la tête aussi vigoureusement qu'il le peut.

  • Entendu. Ils ne l'ont pas arrêté... Ils l'ont violenté, battu pendant des heures pour qu'il donne les noms des autres. Il a hurlé si fort qu'on l'a entendu dans toute l'avenue. Mais, il n'a donné personne. Cela aussi, tout le monde l'a su. Ils l'ont laissé, gisant dans son sang, presque mort devant les ruines du G0. Ils pensaient certainement qu'il allait y passer quelques instants plus tard, les salauds, jure-t-elle entre ses dents. Mais il a survécu, ma patronne l'a secouru. Elle l'a caché jusqu'à ce qu'il se remette. Il ne peut plus marcher, pourtant dès qu'il a pu, il a remis en route le Réseau. Nous sommes bien plus nombreux que lorsque tu es parti, nous nous sommes organisés même si la traque de la Garde n'a jamais cessé.

Hélio, les yeux fixés sur le miteux plafond, retient ses larmes et ses cris de dépit. L'idée que Saul ait dû affronter tout cela, tout seul, lui brûle les tripes.

Mais il est vivant, se répète-t-il.

  • Saul a toujours été convaincu que tu reviendrais mais... les choses ont changé depuis que tu es parti alors, si c'est pour nous parler de paix et d'amour...
  • J'ai marché sur les cadavres de mes amis pour arriver jusqu'ici ... Je leur ai promis que j'irai jusqu'au bout pour détruire cet infernal monde sous cloche ! tempête-t-il en se redressant.

D'un geste ferme, elle le repousse sur le matelas.

  • Reste tranquille alors. Je n'ai pas fini, lui répond-elle avec un sourire amer.
  • Parle-moi du Réseau.
  • Que veux-tu savoir ?
  • Tout... Combien vous êtes ? Aïe ! s'écrie-t-il.
  • Pardon... Je ne sais pas exactement, des centaines certainement.
  • Comment vous fonctionnez ? la presse-t-il.

Lia cesse un instant de s'occuper de ses blessures pour chercher le regard du jeune homme.

  • Je ne sais que ce que j'ai besoin de savoir pour les missions qui me sont confiées. Voilà une des règles fondamentales de notre organisation.
  • Mais... Pourquoi ? Comment faites-vous pour que tout le monde puisse exprimer son avis ?
  • Si on se fait prendre, seule une infime partie d'entre nous tombe. Voilà pourquoi. Quant à donner notre avis, nous l'avons fait en entrant en résistance : nous voulons un monde sans Bulle, quoi qu'il en coûte. Nous laissons à nos chefs le soins de coordonner les actions qui s'imposent.

Hélio prend le temps d'intégrer les paroles de la jeune femme pendant qu'elle se remet à son ouvrage. Il en déduit, comme elle l'a déjà sous-entendu, que la chasse aux HC dissidents doit être féroce, Saul n'aurait jamais consenti à une organisation aussi opaque sans cela.

  • Je comprends, reprend-il après ces quelques instants de réflexion. Peut-être peux-tu me dire quelles sont tes missions ?
  • Quand je n'ai personne à sauver, je collecte des renseignements, lui apprend-elle avec un petit sourire en coin.
  • Comment t'y prends-tu pour trouver des renseignements ?

Le sourire de Lia disparaît instantanément puis elle le gratifie d'un regard sombre.

  • Réfléchis ! l'enjoint-elle d'une voix tendue. Je suis sûre que tu peux trouver tout seul.

Hélio, surpris par cet accès de colère soudain, l'observe en silence. Toujours énervée, elle remet nerveusement une mèche de cheveux rebelles, derrière son oreille. Les yeux d'Hélio effleurent un instant la peau délicate du cou de la jeune fille. Ses yeux s'arrêtent sur un endroit plus sombre, un hématome peut-être. Soudain, il percute. La finesse de ses vêtements, presque transparents par endroits, son joli bustier d'un ton carmin mettant en valeur son décolleté et le hâle naturel de sa peau, sa jupe fendue laissant tout loisir d'admirer ses jambes fuselées...

Intérieurement, le jeune homme maudit son manque de discernement. Lia est une prostituée. Sous Bulle, c'est ça ou nounou pour rejetons amnésiques.

  • Je suppose que... tu obtiens des renseignements de tes clients, hasarde-t-il d'un ton contrit.
  • Tu vois, c'était pas compliqué, lui jette-t-elle en le fusillant du regard.
  • Quel genre... ?
  • Tout ce qui peut être utile. Les entrepôts d'armes, les prochaines chasses de la Garde... quelles stations d'Optimem saboter, et tout un tas d'autres choses. Tu demanderas à Saul, il est mieux renseignée que moi, lui répond-elle d'un ton toujours revêche.
  • Lia, je suis désolé... j'ai été maladroit. En même temps, je ne pouvais pas deviner... enfin si, mais... Bref, je sais que ce que tu subis est difficile, je comprends que tu n'aimes pas en parler...
  • Tu ignores tout de ce que je ressens ! Tu n'as pas la moindre idée de ce que ça fait ! lui crache-t-elle.

Hélio pourrait démentir. Il sait ce que ça fait. Il n'y a pas que sous Bulle que l'on vend son corps pour survivre. Pourtant il se tait, il se sent suffisamment misérable pour ne pas en rajouter. De toute façon, il n'en a jamais parlé à personne.

  • Entendu. Je ne voulais pas te blesser, je te demande pardon.

Elle hoche vaguement la tête tout en finissant de fixer les derniers bandages.

Quelques minutes plus tard, elle lève à nouveau son visage puis se tourne pour attraper une petite fiole qu'elle débouche d'une pichenette avant de la lui tendre.

  • Tiens, bois ça, c'est un analgésique. Cela va te faire dormir aussi. Je dois y aller, je ne peux pas m'absenter trop longtemps.

Elle se lève, attrape son baluchon puis se dirige vers la porte sans lui lancer un regard. Hélio finit d'ingurgiter le breuvage amer quand elle passe la porte. Avant de la fermer, elle se tourne vers lui.

  • Bienvenu quand même, Hélio. Repose-toi bien.

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