11- Toucher le fond (1/2)

7 minutes de lecture

Le front de Kuip ruisselle de sueur. Après un combat acharné durant lequel il a combiné tirs et manoeuvres périlleuses qu'il n'avait tenté, jusque-là, que dans ses rêves les plus fous, il s'est extirpé de la nasse de ses poursuivants.

  • T'es un sacré pilote.
  • Quand on sait qu'on va mourir, on change de perspectives, répond Kuip en souriant amèrement.

Un de ses moteurs est mort, l'autre ne va pas tarder à rendre l'âme. Quand bien même ses fantomatiques alliés apparaîtraient, il est trop tard. Le glisseur va partir en vrille, leurs adversaires vont les torpiller. S'ils ne le font pas, Kuip appuiera sur le bouton qui commande leur autodestruction. Ils vont mourir.

Le petit vaisseau commence à faire des soubresauts. La trajectoire devient chaotique malgré les tentatives de Kuip de garder un cap.

  • Je n'aurais bientôt plus aucun contrôle, annonce-t-il avant que les derniers voyants ne se mettent à clignoter frénétiquement. Tout va lâcher ! Je ne sais même pas si je pourrai nous faire sauter.
  • Fais-le maintenant !
  • Ok.

Ils sont désormais en chute libre.

  • Regarde, l'interrompt soudain Noway alors qu'il s'apprête à presser son ultime ordre.

Un gigantesque croiseur fait route pour se placer entre eux et leurs poursuivants.

  • Trop tard, grince Kuip. Il ne pourra pas se défendre et nous récupérer. Notre trajectoire est trop imprévisible.

Pourtant, le vaisseau reste en position alors qu'il est pris sous le feu des tirs de l'escadrille ennemie. Il déploie même sa ligne d'arachnofilet.

  • Il est fou. Il ne pourra pas éviter le tir que le transporteur ne va pas manquer d'envoyer tout en effectuant notre récupération !

Confirmant les dires de Kuip, au loin apparait la lueur caractéristique d'un tir à longue portée. Le croiseur ne peut que l'avoir repéré aussi, pourtant il ne donne aucun signe qu'il va décrocher. Ce n'est qu'au moment où le faisceau de tir se matérialise que Kuip comprend ce que leur allié s'apprête à faire. Le vaisseau s'incline sur le côté à une vitesse folle, comme un bateau sur le point de chavirer. Ce mouvement de roulis lui permet d'éviter de justesse le tir adverse tandis que l'arachnofilet poursuit sa route droit sur leur glisseur en perdition.

  • Ils vont essayer de nous pêcher, accroche-toi ! prévient Kuip juste avant le choc et le déploiement du filet. Par tous les dieux, ils ont réussi !

Tandis que l'enveloppe du filet se déploie autour du petit glisseur, oblitérant toute vue sur l'extérieur, Kuip n'en revient toujours pas. Comment ce gros vaisseau peut supporter les contraintes d'une telle manoeuvre ? Qui est le pilote capable de le conduire avec une telle maîtrise ?

  • Hum, c'est normal qu'on ne voit, ni entende plus rien ? demande Noway interrompant ses questions silencieuses.
  • Oui, c'est à cause de l'arachnofilet qui s'est déployé tout autour glisseur.
  • Arachno comme araignée ?
  • Oui, rapport aux propriétés de ce filin. T'inquiète, y'a pas d'araignée sidérale prête à nous dévorer dans les parages, répond Kuip mesurant à cet instant combien la situation doit être étrange pour Noway.
  • On est en sécurité ? demande ce dernier qui, à sa décharge, paraît garder son calme.
  • Je ne sais pas... Il faut encore que le croiseur nous remorque jusque dans ses cales puis qu'il échappe à nos poursuivants.

Un grand bruit vient ponctuer les derniers mots de Kuip.

  • On est dans les cales, annonce-t-il éberlué.

Le filet reste déployé les laissant aveugles et sourds à ce qui les entoure.

  • Je suppose qu'il n'y a plus qu'à attendre, intervient Noway.
  • Oui.

Après ce que Kuip vient de voir, il se prend à espérer qu'ils puissent s'en sortir vivants.

Quelques instants plus tard, Noway brise la torpeur de l'atmosphère.

  • Puis-je te poser une question, Kuip ?
  • Vas-y. On a, de toute façon, rien de mieux à faire pour le moment.
  • Tu avais l'air surpris des agissements de ce vaisseau. Je me demandais pourquoi. Tu les connais, non ?

Kuip hésite un instant. Il ne doit rien à Noway, même pas des explications. En prenant la décision de l'aider à s'évader, il a tiré un trait définitif sur tout ce qui était sa vie au sein de la HumanCorp. Désormais, il est un paria menacé de la peine capitale. Cependant, en son for intérieur, il reconnaît volontiers que son plan d'évasion ressemblait plus à un pari délirant qu'à une stratégie bien ficelée.

  • Pas vraiment non, concède-t-il. J'ai rencontré leur Maître des Murmures dans un bar de la Base. C'est le seul à avoir accepter la mission. Avant de venir, je n'avais vu ni le vaisseau, ni son commandant.
  • Je n'ai aucune idée de ce qu'est un Maitre des murmures, ni la Base ... avoue Noway, sans ambages. J'en ai assez compris pour trouver ton plan plus qu'hasardeux.
  • Il a marché, non ! rétorque Kuip qui sent la colère monter.
  • Ce n'est pas une critique. Tu dois porter une très grande estime à Ariel pour t'être lancé avec si peu de chances d'y parvenir.

Cette dernière phrase dite sur un ton reconnaissant a le don d'exaspérer un peu plus Kuip. Il n'a pas besoin des remerciements de Noway. Il n'en veut surtout pas, en vérité.

  • T'es pas obligé de jouer le vaillant héros au grand coeur avec moi, crache-t-il. Ariel est pas là.

Un petit rire amer lui répond.

  • Je comprends mieux pourquoi vous êtes liés, tous les deux. Tu lui ressembles beaucoup. Tout comme toi, elle n'a jamais mâché ses mots avec moi. Désolé si mes efforts pour rester civilisé t'importunent. C'est juste qu'après un an sans personne à qui parler, je tentai de faire en sorte que cette conversation se passe bien.
  • C'est raté !
  • Voilà qui écorne mon statut d'homme parfait. Cela dit, à t'écouter, tu ne me portais pas une haute estime même avant notre conversation.

Kuip sourit, un peu à contre-coeur. Il n'a pas envie d'apprécier Noway. Il l'a sauvé pour Ariel, pour être quitte. Il se souvient d'elle parlant de Noway, niant totalement qui il est, un primitif mutant ignorant tout du monde auquel il appartient. Le discours de la jeune femme en a d'ailleurs convaincu plus d'un. Pas Kuip, lui, il croit en Ariel, pas en Noway.

  • Pour tout te dire, lâche-t-il, décidé à être franc. Je ne partage pas l'opinion qu'Ariel a de toi. Je pense qu'elle te surestime. Pour moi, le fait que ton ADN résiste au venin Morkim ne fait pas de toi quelqu'un de valeureux, tu restes un sauvage certes doué pour le combat, mais qui ne comprend rien au monde dans lequel il évolue.
  • Tu ne me connais pas, contre Noway, d'un ton tranquille. Cependant, tu as raison sur un point, je ne connais rien de HumanCorp. Rien ne t'oblige à m'apprécier mais j'apprends vite, tu verras.
  • Et alors ? Qu'est-ce que ça changera ?
  • J'en sais rien. En attendant, je veux tout savoir de la prison où se trouve Ariel, à commencer par comment s'y rendre.
  • Pourquoi ?
  • Je veux lui rendre la pareille maintenant que je suis libre.
  • C'est impossible. T'y arriveras jamais tout seul !
  • Tu peux venir, si le coeur t'en dit.
  • Après tout ce que je viens de te balancer, tu me ferais confiance.
  • Kuip, cela fait un an que l'on me parle et qu'on me traite comme du bétail ... cela ne me définit pas, pas plus que ton opinion. Oui, je te ferai confiance parce qu'il s'agit de sauver Ariel et que, de toute évidence, tu tiens à elle. De toute façon, si je me trompe, je te tuerai.
  • Je vais y réfléchir.

Jusqu'à présent Kuip ne s'est pas autorisé, ne serait-ce que le rêve de faire évader Ariel. Celle-ci a déjà tenté de s'enfuir. Tout ce qu'elle a récolté, c'est la torture et la peine capitale, pour l'exemple. Ariel a dupliqué puis mis en circulation les données contenues dans le petit corps-mémoire du papillon qui brille à nouveau au milieu du torse de Noway. Des milliers de citoyens de Syssol ont lu le journal d'Alka, admiré les paysages de la Terre dessinés par Noway. Ils ont assisté au massacre des otages innocents par la garde. Ils ont vu les combattants, Ariel et Alka, résister. Ils ont suivi la fuite des HC puis le combat d'Ariel pour sauver Noway. S'en est suivi l'entrée en dissidence de nombreux civils ainsi qu'une vague de désertion sans précédent au sein de l'armée syssolarienne. La torture et la mort d'Ariel sont un message destiné à tous ces néo-résistants.

Si Noway et lui pouvaient la sauver, ce serait un sacré coup porté aux dirigeants de HumanCorp.

Le silence s'est installé dans l'habitacle, rythmé par la respiration régulière de Noway. Les pensées s'entrechoquent dans la tête de Kuip.

Noway n'est même pas essoufflé. Pourtant il a défait un bataillon de soldats choisis parmi les meilleurs. Il a essuyé un tir de fusil à fragmentation pour se relever dans la seconde qui suivait. Il a porté Kuip tout en courant sous la mitraille. De ce point de vue-là, il est réellement le surhomme décrit par Ariel.

Peut-être qu'ils pourraient accomplir l'exploit de sortir Ariel de la prison de haute-sécurité. Sauf que ... Que Kuip a le souffle court, lui. Sa respiration devient de plus en plus saccadée. Il a certainement une belle hémorragie car il est frigorifié, faible. Il rit doucement. Avant de secourir Ariel, il faudrait qu'il sauve sa peau.

Si on ne les sort pas de là bientôt, il n'aura plus le loisir de tergiverser.

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