2- Terre : aux abords de Bulle 2

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  • Inconnus devant la porte ! crie le garde à l'entrée du modeste village. Environ vingt.

Ugo, un jeune garçon d'une dizaine d'années qui tient le rôle de messager, lève le bras, pouce en l'air, pour signifier à l'homme qu'il a bien entendu. À chaque fois qu’il entend cette annonce, un frisson d’effroi le parcourt des pieds jusqu’au sommet du crâne. L’angoisse terrible du retour de temps plus sombres refait surface. Un jour, le cauchemar recommencera, c’est une certitude. Ignorant sa peur souterraine, il part en courant.

Quelques minutes après, il débouche sur une place où des hommes sont en train de débiter des troncs d'arbres. Parmi eux, William, un grand blond à la peau halée et au yeux azur, lève immédiatement la tête pour fixer le jeune garçon d'un air interrogateur.

  • Des étrangers, lui annonce-t-il. Une vingtaine, devant la porte du village.

Aussitôt, William pose la hachette qu'il tient à la main.

  • D'accord. Merci Ugo.

William saisit un sifflet dans sa poche, le porte à sa bouche pour en tirer trois coups brefs. C'est le signal de rassemblement des guerriers préposés à la défense de leur clan. Un grand nombre de ceux qui les entourent, se redressent et quitte à la hâte la place pour aller chercher leurs armes et rejoindre l'entrée du village. Ugo s'apprête à regagner son poste quand William l'arrête.

  • Attends Ugo, j'ai une mission à te confier.

William s'approche pour poser sa main sur l'épaule du jeune garçon.

  • Ecoute-moi bien. Feng est parti chasser, elle m'a dit qu'elle irait dans le petit bois à l'Est. Je voudrais que tu ailles la chercher. Le plus vite possible et le plus discrètement possible, termine-t-il, l’air très sérieux.

Ugo baisse la tête, dépité. Pourquoi faut-il que cela tombe sur lui ? Il aurait volontiers été quérir Kaly ou Hélio, cela l'aurait même rassurer d'aller au devant des étrangers aux côtés de l'un d'entre eux. Mais Feng, c'est une autre histoire. Aussi ombrageuse que redoutable, la trouver au milieu des bois, c'est mission impossible ! D'autant que, si par chance, il y parvient, il est certain de se faire sacrément enguirlander avant d'avoir pu dire un seul mot.

  • Je suis désolé, je ne peux pas... je serai incapable de la trouver. Il vaut mieux envoyer quelqu'un d'autre, se décide-t-il à avouer, sur un ton amer.

William sourit.

  • En effet, tu ne la trouveras pas si tu ne connais pas notre signe de reconnaissance. Alors je vais te l'apprendre.

Joignant le geste à la parole, William porte ses mains en conque, à sa bouche et pousse un cri qui ressemble étrangement à celui d'un oiseau habitant ses bois.

  • À toi, essaie, intime-t-il à Ugo.

Celui s'exécute avec la plus grande application même s'il sait qu'il est très peu probable qu'il ait le temps de s'en servir. William paraît satisfait.

  • Ça ira, lui déclare-t-il. Allez, plus de temps à perdre. Vas-y !

Sans attendre sa réponse, le grand guerrier s'éloigne d'un pas pressé.

Le jeune garçon s'élance, le visage crispé d'appréhension. Il voudrait bien ne pas décevoir William. Ce dernier, au même titre que Kaly, Hélio et même Feng, est son héros. Avec Noway, ils ont sauvé Téodime et l’ont ramené.

Les souvenirs défilent dans sa tête au rythme de ses foulées. Un an plus tôt, Téodime est arrivé en courant près de leur abri.

  • Ana, maman, il faut aller vous cacher. Les gangs arrivent. Ils veulent les enfants !

Il n’a même pas eu le temps de serrer une dernière fois dans ses bras, Ana et Téodime. Ana, sa grand-mère adorée, est morte ce jour-là. Téodime a été kidnappé.

Quand il l’a revu, quelques semaines plus tard, c’était sur l’holoécran géant diffusant l’épreuve du DC. Il était en cage. Une jeune femme de l’équipe de Noway s’est battue pour le libérer tandis que Noway affrontait des monstres. Alors qu’il croyait que, contre toute attente, l’équipe Europe, allait réussir l’impossible, tout a déraillé. Un monstre a attaqué son frère. Noway s’est sacrifié pour le sauver puis tout s’est éteint.

Ugo a perdu espoir. Sa mère, à nouveau malade, était à l’agonie. Lui, il errait telle une ombre, en essayant de trouver suffisamment à manger pour eux trois. Sa mère mourut, il continua. Dans le désert brumeux qu’était devenu son esprit, il entendit bien que la Bulle des Gouvernants n’existait plus. Il s’en fichait. Il s’accrochait à une seule chose, la promesse de Téodime.

  • Va à notre fontaine secrète, tous les jours, au lever du soleil. Je viendrai t’y retrouver dès que je peux.

Ugo savait que c’était surtout une manière pour son grand frère de s’assurer qu’il se lèverait et irait chercher de l’eau. Pourtant, il s’agrippait à ce rendez-vous. Chaque matin, il espérait que Téodime l’attende de préférence avant qu’il n’ait plus la force de tenir sur ses jambes, avant que Léa, leur petite sœur ne succombe à son tour.

Téodime tint sa promesse. Un matin, il était là. Ugo crut à une hallucination d’autant que son grand frère était accompagné de combattants du DC. Téodime le serra dans ses bras, des larmes pleins les yeux.

Ugo revient au présent car il vient d'entrer dans le bois. Il s'arrête à quelques mètres de la lisière, s'interrogeant sur la marche à suivre. Doit-il, tout de suite, émettre le signal ou pénétrer plus profondément dans la forêt. Après quelques minutes de réflexion, il décide d'avancer un peu, le plus discrètement possible et de se cacher avant de pousser le cri de reconnaissance. Cela lui évitera peut-être que Feng lui tombe dessus de manière trop abrupte.

Enfin, il aperçoit un taillis qui fera parfaitement l'affaire. Il se met à quatre pattes devant pour pouvoir s'y frayer plus facilement un chemin. Soudain, une sensation désagréable et glaciale lui ceint la gorge.

  • Qu'est-ce que tu fais là, petit ? lui souffle la voix doucereuse et tranchante de Feng.

Ugo se met à trembler de tous ses membres. Feng lui a toujours fait une peur terrible. Elle est dure et sans pitié. Hélio lui a expliqué que c'est sa façon à elle de l'aimer et de le protéger. Ugo n'a pas vraiment compris cependant il sait que Feng ne supporte pas qu'il se comporte comme une chochotte alors il se concentre pour essayer d'affermir sa voix.

  • C'est William... Il m'a demandé de venir te chercher, réussit-il à souffler.

Feng retire la lame qu'elle tenait toujours au contact de son cou et le tourne vers elle sans ménagement.

  • Pourquoi ? Tu n'as pas été sage, il veut que je te donne une leçon ? lui demande-t-elle avec un sourire carnassier.
  • Non, non, bafouille Ugo, les yeux écarquillés. Des étrangers approchent du village, il veut que tu viennes.
  • Ah, dommage ! Tu mériterais une leçon, pourtant, répond-t-elle d'un ton dur, en le laissant choir. Je t'ai entendu arriver à des kilomètres. Tu halètes comme un bovin, tu es entré dans ce taillis sans même vérifier les alentours et tu n'as même pas sorti ton couteau !
  • Je savais que tu étais là, essaie de contrecarrer le jeune garçon.
  • Et si quelqu'un m'avait fait la peau ? s'énerve Feng en levant les yeux au ciel. Bref, on a pas le temps. Debout, on y va !

Ugo, l'air piteux, se relève précipitamment et emboîte le pas énergique de Feng qui ne lui accorde déjà plus aucune attention.

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