Perte d'innocence

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Une fillette court. Vite. Très vite. Elle va finir par l'attraper ce maudit papillon. L'enfant lance son filet à plusieurs reprises. Elle le rate de peu à chaque fois. La demoiselle est si petite. Elle a du mal à viser. Du haut de ses trois ans, elle est persévérante. Elle pousse des cris de joie. C'est une jolie petite-fille aux boucles châtains et un immense sourire, adorable et craquante. Elle a des joues roses et des yeux noisette espiègles. Des joues que toutes les mamies ont envie de pincer.

- Maman ! Maman ! Viens ! Piyon ! Piyon !

Une jeune femme ressemblant beaucoup à la petite fille arrive avec un grand sourire et pourchasse ce pauvre papillon. L’enfant trébuche. La maman la rattrape, mais la petite a eu peur. Elle se met à pleurer. Sa mère la console et la couvre de bisous. Elle lui fait un câlin pour arrêter le gros chagrin de son bébé d'amour. La demoiselle finit par refaire un magnifique sourire avec des dents noires de chocolat.

Comme tous les enfants, elle change vite d'humeur et de jeu. Le papillon est enfin tranquille et a pu fuir. Maintenant, la petite fait voler un petit avion en bois en courant. Le jardin est rempli de jouets divers et colorés. La maman couve des yeux son enfant. L'amour entre elles est perceptible. Un homme vient les rejoindre. La demoiselle lui saute au cou. La femme l'embrasse tendrement. Le papa, qui a un nouveau cadeau pour son bébé. Un doudou en forme de loup.

La petite ne décroche pas du cou de son papa. Le pauvre homme harassé par une journée de boulot est obligé de boire tout en tenant la fillette d'une main. Lui aussi couve cette adorable sangsue. Elle babille joyeusement et lui raconte sa journée en détail. Il essaye de suivre le discours de sa fille qui passe du coq à l'âne en quelques secondes. Son épouse l'aide de son mieux à suivre le cheminement mental de la petite chipie.

Ils finissent par se mettre à table. Ils sont dans un beau salon clair et lumineux. Une télé et un canapé marron sont dans l'angle de la pièce. Les murs et les meubles sont couverts de photos de la petite avec différentes tenues, à tout âge. Tantôt grimaçante ou souriante, voire carrément posant telle une star. Le sol est jonché de jouets. Plusieurs peluches sont assises sur le canapé et semblent regarder le dessin animé qui passe à l'écran de la télé. La table est recouverte d'un joli tissu avec des broderies de fleurs. De la belle vaisselle blanche avec un liseré argenté est posée sur la belle nappe.

L'adorable enfant mange sur les genoux de l’homme, ruinant son pantalon, directement dans l'assiette de son père. Le papa lui coupe la viande et s'assure qu'elle mange sans problème. La maman sert l'eau dans le verre et apporte les desserts. Une fois que la petite et la maman ont fini de manger, la mère récupère l’enfant sur ses genoux et joue avec elle pour que le papa puisse se nourrir enfin. Leur fille est leur priorité, un brin trop gâtée, elle est si mignonne qu'ils ne parviennent pas à avoir une once d'autorité.

Une fois son repas fini, le papa lit une histoire à son bébé et la porte au lit. La petite s'est endormie dans ses bras en serrant doucement sa chemise. Il la dépose avec tendresse et pose ses lèvres sur son front. La maman la recouvre d'une couette et effectue le même bisou plein d'amour et lui souhaite une bonne nuit en approchant le nouveau doudou des petites mains de la belle endormie.

Ellipse d'un mois.

Deux gendarmes se rendent à l'école maternelle de bon matin. Ils discutent avec la directrice. Ils sont embarrassés. La femme blêmit et les invite à son bureau. Les enfants, dont la fillette, continuent leurs peintures sous l'œil des maîtresses. Les enfants portent des tabliers de protection. Leurs mains et leurs visages sont couverts de peinture. La table où les œuvres en cours sont posées, est elle aussi recouverte de peinture.

La fillette dessine une jolie maison avec un jardin. Un papa, une maman, une petite fille et des doudous. Des tas de doudous multicolores. Des taches censées représentées des papillons et des fleurs, pleins de couleurs gaies. Une peinture brouillonne et remplie de joie. L'enfant et ses camarades s'appliquent en tirant la langue. Les institutrices s'affairent pour éviter les catastrophes de verres d'eau renversés ou de disputes réglées à coup de pinceaux rageurs.

Les gendarmes ressortent peu de temps du bureau de la directrice après avec un dossier scolaire. La femme semble absente et ne cesse de jeter des regards inquiets à la fillette. La fin de journée arrive. Une femme vient chercher l’enfant qui hurle, elle ne connaît pas la dame, la petite veut sa maman. C'est une dame des services sociaux. Les parents de la petite viennent de mourir d'un accident de voiture. On recherche sa famille. La directrice et les maîtresses tentent de rassurer le bébé apeuré. Le ton de leurs voix n'est guère convaincant. Elles savent que c'est un adieu.

Ellipse d'un an.

- Souillon. Viens ici. Ramasse ça.

Un homme bedonnant met une gifle à la fillette. Elle a un peu grandi. Elle est très maigre. Ses joues sont creuses. Ses yeux éteints. Elle ne sourit plus. Elle pleure. Ses cheveux sont une tignasse sale et emmêlée. Elle est sale. La trace de la main de l'homme est imprimée en rouge sur sa joue. Elle se baisse pour ramasser la serviette que l'homme vient de faire tomber. Elle se prend un coup de pied. Elle lui tend le torchon en tremblant et va se remettre dans un coin de la pièce.

L'homme est gras. Il rote en mangeant son assiette débordante. Il a un air stupide. Son visage est laid, rouge. Le cou a plusieurs doubles mentons. Il porte une belle montre clinquante au poignet. Sa chemise est prête à exploser sous la pression de son gros ventre. Elle est pleine de traces de repas. L'homme rit comme un âne devant un programme totalement stupide à la télé.

En face de lui, une femme maigre comme un clou avec un air vicieux. Elle porte des vêtements de luxe qui sont trop grands pour elle. C'est un squelette maquillé atrocement. Son visage est figé sous les injections de botox pour cacher les rides. Sa peau et ses dents sont jaunies par la cigarette. La femme regarde la petite fille avec méchanceté, jalouse de sa jeunesse et de sa beauté.

Sur le côté de la belle table, un garçon d'environ huit ans. Maigre comme sa mère, laid comme son père. Il s'amuse à jeter en riant le contenu de son assiette sur la fillette qui ramasse les miettes pleines de poussière pour se nourrir. Ses parents le laissent faire sans dire un mot. Il crie et donne des coups de pieds sans que les deux adultes n'osent dire un mot. On voit qui dirige cette maison.

Lorsque la fillette se penche un peu trop en avant, on remarque des traces de coups sur ses jambes. Elle est craintive, sursaute au moindre bruit. Elle ne ressemble plus au bébé d'amour de sa maman. Elle n'a plus de Maman ni de Papa. Elle a été confiée à son oncle par les services sociaux. Son oncle détestait ses parents. Il lui répète tous les jours qu'elle n'est qu'une souillon qui mange trop, qui casse tout, laide et stupide. Une souillon qui mérite qu'on la corrige pour la discipliner.

On s'aperçoit que la pièce est le salon où un an avant, l'enfant s'endormait tranquillement dans les bras de son papa. Les meubles et la nappe sont les mêmes. La vaisselle avec le liseré argentée est identique. Toutes les photos de la petite en revanche ont disparu. Les jouets et les doudous également. Ce sont les photos du garçonnet qui ornent les murs désormais. La pièce est sale. Les détritus jonchent le sol. La petite les ramasse au fur et à mesure qu'ils tombent, elle ne peut empêcher les traces sur le sol poisseux...

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