Chapitre 20

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    La salle est plongée dans le silence le plus complet. C’est tout juste si on entend quelques sanglots. Personne n’ose rien dire, rien faire. L’annonce du proviseur semble avoir assommé tout le corps enseignant.

Assise sur une chaise, la tête dans les mains, madame Noblet pleure en silence. Dans un murmure tout juste audible, elle affirme :

« Ce n’était pas un accident... »

L’un de ses collègues se tourne vers elle, les joues baignées de larmes :

« Qu’est-ce que tu as dit ?

-Rien… »

Les yeux dans le lointain, l’enseignante se repasse les derniers mots de son collège. Il savait quelque chose sur Leïla et on l’a assassiné pour le faire taire. Elle en est convaincue.

    Elle se lève et quitte la salle, les poings serrés. Quelqu’un vient d’assassiner son collègue, un homme exceptionnel qu’elle connaissait depuis plus de huit ans, un père de famille, et par-dessus tout, son ami. Elle compte bien découvrir qui et pourquoi.

     La machine s’arrête une nouvelle fois. Je me dis vaguement que je devrais en être soulagée mais ce n’est pas le cas. Je sais aussi que je devrais avoir mal mais ce n’est pas non plus le cas. L’état d’hébétude dans lequel je suis tombée après plusieurs heures de torture me protège de cela. Je me doute que mon corps est horriblement meurtri, que je saigne, qu’il me faudra des jours et des jours pour m’en remettre. Mais je ne ressens plus rien : ni douleur, ni peur, ni angoisse, ni espoir. Plongée dans un état de semi conscience, j’ai le sentiment d’avoir toujours été ici, dans cette cage. Et j’ai le sentiment que j’y resterais à jamais. Ma conscience me hurle que la torture n’est pas éternelle, qu’elle ne doit durer “que“ 12 heures et que c’est bientôt fini. Mais en cet instant, ma conscience est très loin d’ici et le temps n’a plus aucune signification : les secondes sont des heures, les minutes des années et les heures une éternité.

Je me demande vaguement si je peux mourir de cette torture puis me désintéresse de la question : puisque je suis en enfer, je dois en toute logique être déjà morte.

     Quelqu’un approche et je sais que je devrais reconnaître cette personne. Mais c’est comme si l’information n’atteignait pas mon cerveau. Je vois mais sans réussir à donner une signification aux images. J’entends mais sans réussir à donner une signification au son.

     J’ai vaguement conscience d’être sortie sans ménagement de la cage. Des sons continuent de me parvenir sans que je n’arrive à leur donner plus de sens. Il me semble néanmoins identifier la peur chez la personne qui parle.

     D’autres personnes arrivent et j’entends des cris. De la colère peut être ?

Je suis soulevée et je sens que l’on m’emporte loin de cette salle, loin de la cage et de la torture que j’y ai subi.

     Une brise humide me caresse soudain la peau et de l’eau coule sur mon visage. Nous sommes dehors, sous la pluie. Cette soudaine fraicheur me ramène brusquement à l’instant présent. Et pour la première fois depuis des heures, je ressens la douleur. Un horrible gémissement sort de ma bouche et l’homme qui me porte, un garde, accélère le pas. La douleur est telle que je cherche à retrouver mon état d’hébétude, en vain. J’ai de nouveau toute ma lucidité, de nouveau conscience du cauchemar dans lequel j’évolue depuis des semaines.

    J’aperçois Mathieu qui marche à nos côtés et même la douleur ne m’empêche pas de voir qu’il a peur. Va-t-il avoir des ennuis pour ce qu’il m’a fait ?

    Nous arrivons à l’infirmerie et l’homme me dépose sur le ventre dans un lit. Le docteur Berez se penche immédiatement sur moi. Ses doigts qui auscultent mes muqueuses sont un véritable supplice et le garde doit me maintenir en place par la force.

    Du coin de l’œil, j’aperçois deux nouvelles silhouettes entrer dans la pièce et même sans les avoir correctement détaillé, je devine qu’il s’agit de monsieur Pirot et de madame Notat. Une brève conversation s’ensuit entre le garde, le directeur et l’infirmière sur les raisons de ma présence ici et sur mon état de santé. Je n’en saisis pas grand-chose, obnubilée par la douleur.

Enfin, une aiguille s’enfonce sous la peau de mon bras. Peu de temps après, la douleur s’estompe. J’ignore ce que l’on m’a injectée mais c’est puissant et ça me soulage enfin.

    Je parviens de nouveau à me concentrer sur les conversations environnantes et reconnais la voix de Mathieu, paniquée :

« J’ignorais que ça aurait cet effet ! »

Un bruit sourd retentit, signe que l’apprenti dominant vient de se faire gifler. La voix de madame Notat se fait entendre, déformée par la fureur :

« Imbécile. Madame Lissot ne t’a donc rien appris ? Comment oses tu donner une telle punition sans savoir comment son corps va réagir ? Sans même venir vérifier comment ça se passe ?

-Ta bêtise aurait pu tuer la soumise. » Ajoute froidement monsieur Pirot.

« Je suis vraiment désolé, j’ignorais que ce serait si terrible. »

Le silence se fait un instant et j’imagine sans peine les deux adultes se consulter du regard. Puis la voix froide de l’enseignante s’élève de nouveau :

« Tu l’ignorais ? Et bien cette école est justement là pour palier tes lacunes. Tu vas pouvoir faire l’expérience de ta propre invention. Cet après-midi. »

Un halètement se fait entendre puis le bruit d’une brève lutte tandis que le garde emmène Mathieu en dehors de la pièce.

« Non ! Non ! S’il vous plait ! Nooon ! »

Je ne peux empêcher un faible sourire de s’épanouir sur mon visage en imaginant les prochaines heures du jeune homme.

     J’ignore si c’est l’effet de l’antidouleur ou de la nuit que je viens de passer, mais je sens mes paupières s’alourdir et le sommeil me gagner tandis que le docteur Berez continue de soigner mes parties intimes.

La conversation se poursuit mais, exténuée, je ne parviens plus qu’à saisir des bouts de phrases isolés.

« Arnaud, pas maintenant… Laisse lui le temps de se rétablir ou tu vas … Moi aussi mais… »

Avant de tomber dans l’inconscience, j’ai tout juste le temps d’entendre :

« Bien sûr qu’elle va le regretter mais attends demain. »

     J’écoute le cours en prenant des notes, sagement assise au deuxième rang à côté d’Emmanuelle, ma meilleure amie. Comme à son habitude, monsieur Vernet est rapide et je m’efforce de na pas prendre de retard sur ce qu’il note au tableau. Je reproduis le plus rapidement possible le schéma de la cage qu’il a dessiné sous nos yeux.

En même temps, je bouge le plus discrètement possible sur ma chaise en essayant de trouver une position pas trop inconfortable. Qu’ais je donc fais dernièrement pour avoir à ce point mal aux fesses ?

« Tout vas bien ? »

Je me tourne vers Emmanuelle et lui souris. J’admire sa façon de voir immédiatement quand quelque chose n’est pas normal chez les autres.

    Un léger toussotement nous fais tourner la tête. L’enseignant nous regarde avec une pointe d’exaspération dans les yeux. Il déteste les chuchotis pendant le cours.

Emmanuelle baisse la tête pour se reconcentrer. Moi, je continue d’observer l’homme :

« Qu’y a-t-il Leïla ?

-Je me demandais si vous aviez bien reçu mon mail. »

A ces mots, l’ambiance change radicalement dans la salle. La lumière diminue brusquement, nous plongeant dans la pénombre, un vent glacial secoue la classe et les élèves sont désormais de simples ombres sans consistance.

Je tente de me lever, de fuir cette ambiance terrifiante mais je ne peux plus faire un geste. Je tente de me débattre mais mes membres refusent de réagir aux ordres de mon cerveau, je ne peux plus bouger d’un centimètre.

     A ce moment, j’ai la conviction que je suis en train de rêver. Mais malgré mes efforts, je ne parviens pas à me réveiller. Je ne peux que regarder droit devant moi, là où l’enseignant se tient. Sous mes yeux, son visage change et la terreur à l’état brute se dessine sur ses traits. Un gouffre noir s’ouvre tout à coup sous ses pieds et je le vois chuter dans un long hurlement.

     Le hurlement de monsieur Vernet me déchire les tympans et je tente de bouger, de l’aider mais mes membres de ne réagissent toujours pas.

     Une main d’abat violemment sur ma bouche et mon nez, me coupant la respiration. Le cri cesse et je me rends compte que c’est moi qui hurlais ainsi.

Mes yeux papillonnent jusqu’à faire le point. Je suis à l’infirmerie, prisonnière d’un vacuum sur un lit. A travers la fenêtre face à moi, je vois que la nuit est tombée.

Au-dessus de moi, le docteur Berez m’empêche toujours de respirer. Je commence à me débattre contre sa prise et, me voyant bien réveillée, elle me relâche puis se tourne et commence à farfouiller dans une armoire.

    Je prends un instant pour reprendre ma respiration et oublier mon cauchemar avant d’interroger la femme :

« Depuis combien de temps suis-je ici ?

-Tu es arrivée ce matin. »

Je comprends à sa voix qu’elle est furieuse. Je l’ai probablement réveillée en hurlant comme je l’ai fait.

J’observe le vacuum dans lequel je suis prisonnière. La sensation du latex enserrant mon corps me terrifie : je ne peux pas faire un geste, je suis complétement immobilisée jusqu’au cou.

« Combien de temps vais-je rester ici ?

-Tu sors demain matin. Ton cul est salement amoché mais s’il reste protégé de toutes intrusions pendant quelques semaines, tu t’en remettras très bien. »

La femme se tourne de nouveau vers moi, tenant à la main ce qui ressemble à un bâillon : un pénis factice doit visiblement s’enfoncer dans la bouche du porteur.

La panique me gagne et je tente de me débattre.

« Non ! Je suis vraiment désolée de vous avoir réveillé, ça n’arrivera plus ! »

Un simple ricanement me répond. La femme m’enfonce l’objet dans la bouche puis fixe la sangle en cuir derrière ma tête.

Enfin, moqueuse, elle m’embrasse le front avant de me souhaiter une bonne fin de nuit.

     Je me retrouve de nouveau seule, impuissante, bâillonnée. L’objet dans ma bouche, bien que pas très long, me gêne beaucoup. Pire que tout, la forme représente parfaitement celle d’un pénis, si bien que j’ai l’impression d’être forcée de faire une pipe.

     Je ne parviens pas à me rendormir. D’une part parce que la douleur est trop importante au niveau de mes fesses et d’autre part parce que j’ai peur de cauchemarder de nouveau. Je n’arrive pas à oublier le regard terrifié de monsieur Vernet avant qu’il ne tombe.

    Je ferme les yeux, tente de penser à autre chose. La conversation des deux adultes que j’ai entendue tout à l’heure me revient en mémoire. Je rouvre les yeux, effrayée. Ils semblaient vouloir me punir pour quelque chose. J’ignore si c’est la faute de ce cauchemar mais tout à coup, j’ai la certitude que monsieur Pirot et madame Notat sont au courant pour le mail que j’ai envoyé. Mon corps se met à trembler de peur à cette idée.

Puis je secoue la tête du mieux que je peux pour me remettre les idées en place. Ça n’a aucun sens. S’ils sont au courant, pourquoi ne cherche-t-il pas à évacuer les lieux ? Sommes-nous à ce point bien cachés ?

    Je remue ces pensées jusqu’au petit matin.

Un garde vient me chercher pour m’emmener en littérature, le premier cours de la journée.

Avant de partir, le docteur Berez me force à enfiler une sorte de ceinture de chasteté qui ne protège que mon anus.

     En arrivant dans la salle, je sens mon estomac se contracter douloureusement. Monsieur Pirot et madame Notat sont déjà là et m’attendent. Au regard qu’ils me lancent, je n’ai plus aucuns doutes : ils savent.

La peur me saisit et je me mets à trembler comme une feuille dans l’attente du châtiment.

    Le directeur me saisit par le bras pour me placer bien en vue devant les deux classes réunis.

« Votre camarade ici présente à fait une énorme bêtise. Elle va comprendre aujourd’hui les conséquences de son geste. »

L’homme me tend un journal et le gros titre me saute immédiatement aux yeux :

MORT ACCIDENTELLE D’UN PROFESSEUR DE LYCEE EN VOITURE

Je n’en lis pas plus, c’est inutile.

Je lève doucement les yeux vers les deux adultes qui m’observent et demande, la voix tremblante :

« Vous… Vous l’avez tué ? »

Monsieur Pirot hoche la tête sans se départir de son horrible sourire.

J’entends Jade étouffer un gémissement.

« C’était… Il était… Il avait deux enfants… »

C’est tout ce que je parviens à balbutier. Je revois encore ses deux petits garçons un jour où il a été obligé de les emmener au lycée. Le plus jeune ne doit pas avoir plus de trois ans.

« Tu ne peux t’en prendre qu’a toi-même. » C’est madame Notat qui a parlé. Sa voix est polaire et son regard toujours aussi sombre.

Je reporte mon attention sur le journal. Un sanglot m’échappe en voyant la photo de l’accident. C’est moi qui l’ai tué. Si je n’avais pas envoyé ce fichu mail…

Je commence à pleurer sans aucune retenue. Peu importe ce qu’ils décident de faire de moi désormais, j’ai du sang sur les mains, je le mériterais.

     Madame Notat m’attrape le menton et m’oblige à la regarder :

« Tu as abusé du peu de confiance que je t’avais accordé. Tu m’as trahi… »

Je me dégage d’un coup sec et lui fait face :

« Trahie ?! Vous vous sentez trahie parce que je cherche à quitter cet endroit ! Vous êtes malade ! »

Je me tourne vers le proviseur :

« Vous êtes tous complétement malade ! Des cinglés ! Dès que la police arrivera… »

L’homme ne me laisse pas finir ma phrase. Il m’attrape par les cheveux et colle son visage au mien :

« Petite sotte ! Personne ne viendra tu entends ?! Personne et surtout pas la police ! A ton avis, qui a trafiqué la voiture de ton cher professeur ? Ta connerie nous a fait perdre beaucoup d’argent en pot de vin, rien de plus. »

Plus personne ne respire dans la classe. Tous les soumis regardent le proviseur sans oser en croire leurs oreilles. C’est à ce moment que je comprends que tous, même les plus soumis, avaient gardé l’espoir de voir arriver les secours.

     Très satisfait de son petit effet, monsieur Pirot les contemple avant de lâcher dans le silence qui règne à présent :

« Personne ne viendra. »

Il m’attrape par le bras et me traine en dehors de la salle de classe.

    L’homme me charrie à sa suite sans ménagement. Madame Notat et deux gardes nous suivent de près.

Nous arrivons rapidement dans une petite dépendance sans fenêtres et au sol en terre battue.

Le directeur me tort les deux bras dans le dos pour m’immobiliser puis s’adresse aux deux gardes :

« Vous savez ce que vous avez à faire. »

L’un d’eux se met immédiatement à creuser la terre. Rapidement, il forme un trou rectangulaire : trente centimètres de long, vingt de large et autant de profondeur.

L’autre réalise un étrange mélange dans une grande bassine. Il ajoute des graviers à une mixture grisâtre et épaisse.

Si monsieur Pirot ne m’avait pas maintenu comme il le fait, je me serais écroulée par terre sous le coup de la frayeur : l’homme est en train de mélanger une pleine bassine de ciment !

Un gémissement de terreur pure m’échappe et je commence à sangloter.

L’homme resserre sa prise. Il est bien plus fort que ce que son apparence laisse croire et, malgré mes efforts désespérés, je ne parviens pas à lui échapper.

     « C’est prêt. »

L’un des gardes vient aider son supérieur. Ils m’approchent du trou, m’obligent à m’agenouiller puis me forcent à mettre les mains dedans. Ils les maintiennent tandis que le dernier homme le remplit avec du ciment.

« C’est du ciment à prise rapide. Reste tranquille pendant dix minutes.

- Noooon ! Je vous en prie, pas ça !! Pitié, je ferais ce que vous voulez ! »

Les hommes s’y mettent à trois pour m’empêcher de bouger.

Je sanglote de façon hystérique tandis que le ciment sèche petit à petit. Je le sens durcir autours de mes mains, bloquant de plus en plus mes mouvements.

Lorsque les hommes me relâchent, je sais qu’il est trop tard. Pourtant, je tente quand même de me redresser. Un nouveau sanglot me déchire la poitrine lorsque je m’aperçois que c’est impossible. Je suis prise au piège, les mains coincés dans un bloc de ciment.

« Faite la même chose pour les genoux. » Ordonne monsieur Pirot.

Bien que ce soit parfaitement inutile, je tente une fois de plus de me débattre. En vain, maintenue par les trois hommes, le ciment sèche rapidement autours de mes genoux, me faisant définitivement prisonnière dans la position que le directeur à choisit pour moi : à quatre pattes, mes parties intimes orientées vers la porte, accessible au premier venu.

     Quelqu’un m’introduit un anneau dans la bouche, m’obligeant à la garder grande ouverte. Monsieur Pirot, d’une voix égale, m’explique alors :

« Tu vas rester ici aussi longtemps que je le désirerais. Tu serviras de vide couille pour quiconque le souhaitera. Seul ton cul sera épargné jusqu’à ce qu’il guérisse. »

Je me débats, hurle, tente de supplier à travers le bâillon mais déjà l’homme s’éloigne, entrainant à sa suite les deux gardes.

Madame Notat me contemple un instant. Derrière la colère froide qu’exprime son visage, il me semble percevoir une légère compassion. Mais cela ne l’empêche pas de tourner à son tour les talons, m’abandonnant au bord de l’hystérie et plus terrorisée que je ne l’ai jamais été de ma vie.

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