L'avertissement de Fermi

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Héliopauses, toutes ces frontières dont les échelles mises en jeu dépassent l'imagination, franchies tant de fois. Et si je suis parvenue si loin de chez moi, c'est pour la xénologie, l'étude des civilisations étrangères. Je ne parle pas là de porter un regard sur des pays voisins aux coutumes vaguement différentes, mais bien de ces autres mondes dont la lumière ne nous parvient qu'au bout de plusieurs dizaines d'années de voyage pour les plus proches. Déjà petite, cela me fascinait : nous n'étions pas seuls dans notre grand univers.

Tout a vraiment commencé avec l'exploration de Wendy, une planète qui orbite autour de l'étoile la plus proche de notre monde. Et quand bien même nous n'y avions trouvé que des ruines vieilles de plusieurs millions d'années, on nous expliquait qu'un jour nous rencontrerions les représentants d'autres mondes et que nous échangerions par-delà l'immensité qui sépare les étoiles, à la manière de nos lointains ancêtres qui avaient traversés les terribles océans et les impitoyables déserts.

C'est pourquoi j'ai suivi ces si longues études et subit ces importantes modifications physiques, assimilant d'innombrables données, améliorant mes capacités. En fait, le programme préparatoire de xénologie était à la pointe de notre art, créant les meilleurs êtres que nous ayons jamais eu, capables de rejoindre les étoiles, de s'affranchir du passage du temps, dépositaires du savoir entier de notre propre civilisation…

Curieusement, lorsque j'ai quitté mon monde natal, je m'attendais encore à le revoir quelques années plus tard, mais les distances de cet espace infini en ont décidé autrement et cela fait plusieurs millénaires déjà que je n'ai revu le bleu azoté de notre monde. Malgré le réseau quantique qui nous relie, certains jours, ma planète me manque.

Depuis, nous avons étudié tant de mondes. Nombreux furent les candidats sans intérêt, rochers stériles privés de l'espoir d'y voir un jour la vie apparaître. Heureusement, d'autres portaient une vie dont la diversité dépassait tout ce que nous avions prévu. Sur certains de ces mondes, nous estimions même qu'une civilisation y éclorait en quelques millions d'années.

Enfin, il y avait ces mondes-là. Comme Wendy, nous y avions retrouvé de nombreuses ruines, témoignage des civilisations que ces mondes avaient portés. Pour les plus récentes, nous collectionnions même des artefacts, des corps fossilisés, des enregistrements… Même quand la vie y avait résisté et ravagé la majorité des traces de ces civilisations, ces reliques nous attendaient là depuis des millions d'années.

Mais au-delà de toutes ces découvertes, ce sont les satellites artificiels, petits points mouvants dans les cieux de leurs planètes, qui témoignent vraiment des capacités de ces peuples disparus. Pratiquement tous avaient atteint la capacité de s'extraire de la gravité de leur monde, souvent à grands coûts mais aucun n'était parvenu à traverser l'espace interstellaire comme nous l'avions fait.

Une chose m'intrigue encore : aucune de ces civilisations ne semble avoir jamais dépassé l'ère de l'économie globale… Pourtant nous tenions pour acquis que cette étape, que nos lointains ancêtres avaient dépassés non sans quelques heurts, n'était qu'une étape dans le développement de toute civilisation avancée. Mais ce n'était rien par rapport à un autre fait plus effrayant encore : si l'on excepte trois mondes victimes d'un cataclysme cosmique, tous savaient, à en lire leurs propres témoignages, qu'une catastrophe était en cours. Tous disposaient des moyens de l'éviter. Tous avaient manifesté la volonté d'agir. Et pourtant… Comment ne pas se sentir uniques finalement, nous qui avions passés ces épreuves ?

***

Depuis presque deux millénaires, je vole vers cet astre lointain. Si lointain que nous n'y avons envoyé qu'un seul vaisseau autonome avec un unique membre d'équipage. J'ai dû me battre pour obtenir le privilège d'être cette personne.

Sortie d'hibernation, je me rends à la salle d'observation et mon être tout entier frémit devant cette image si familière d'un monde à l'atmosphère azotée et parsemée de nuages blancs. Le même frisson qu'à la découverte des mondes vivants de Netheb ou encore de Mael. Mieux encore, la nostalgie de mon monde natal se réveille face à l'imposant flux de donnée reçu et retransmis par les milliers de satellites en orbite : un monde avec une véritable civilisation vivante !

L'euphorie fait toutefois vite place à l'inquiétude car ma tentative de reconnexion au réseau quantique, véritable cordon ombilical reliant les miens, échoue à trois reprises. Je vérifie : aucune avarie à signaler sur mon vaisseau… C'est mon propre monde qui n'émet plus. Comme s'il avait simplement disparu pendant mon sommeil. Je réitère de nombreuses fois, ne pouvant pas y croire, ne voulant pas y croire.

Au bout de plusieurs heures, je laisse tomber de colère. Pour me calmer, je commence le décodage et l'assimilation des messages qui transitent en masse dans le réseau satellitaire de cette planète.

C'est un monde aussi varié, aussi vivant, aussi cosmopolite que le nôtre que je découvre. Mais scindé en de très nombreuses nations, dominées par une économie globale. De nombreuses sources témoignent d'une inquiétude grandissante vis-à-vis de l'état environnemental et social de la planète et de potentiels désastres à venir. Quelques groupes semblent développer des solutions, mais la majorité de planète continue sur sa lancée au nom de cette fameuse économie.

Après des milliers d'années en sommeil, je me trouve privée de mon propre monde pour finalement en découvrir un autre, mourant.

***

Cela fait déjà plusieurs révolutions autour de cette planète que je suis arrivée et le réseau quantique ne veut toujours pas se réactiver. Il me faut me faire à l'évidence : les miens ne sont plus en mesure de communiquer avec moi. Un jour, quand j'en aurais fini ici, je partirais à nouveau à travers les étoiles, non pour étudier une anonyme civilisation disparue, mais pour faire la lumière sur ce qu'il est advenu des miens.

D'ici là, principe de non interaction ou pas, un monde a besoin de mon aide.

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