3.3 La colère et l'échec

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  • Tu te déconcentres encore, la réprimanda Ozzi.

L'australienne avait été la seule qui avait continué à se montrer cordiale, depuis l'incident. Plus que cela, elle l'avait poussée à se remettre à la Manumagie. Eileen, qui avait de toute façon beaucoup de temps à tuer maintenant qu'elle n'avait ni baguette ni confiance de l'équipe et donc aucune mission à réaliser, s'y était mise en espérant le déclic que l' « expert » en magie sans baguette lui avait décrit.
Pour l'instant, rien du tout. Elle ne pouvait pas dire que cela la surprenait.

— Tu n'y mets jamais toute ton attention, continua son amie, se levant pour la laisser à sa médiation. Il faut que tu apprennes à maîtriser tes pensées.

Oh, merci. Voilà qui allait beaucoup l'aider. Entre ça, et l'autre expert qui lui reprochait d'avoir un blocage mental, il semblerait bien que le problème venait d'elle. Uniquement et simplement : d'elle. Eileen commençait à croire qu'elle était une cause perdue et, plutôt qu'en être abattue, cela l'exaspérait. Allait-on un jour lui ficher la paix ? L'univers - le putain d'univers - semblait vouloir s'acharner contre elle, comme si son existence était une piñata géante et chacun de ses occupants voulait y mettre un petit coup.

Putain, putain, putain de merde. Si la Manumagie venait des doigts, c'était forcément du majeur, tendu droit devant sa face. « Oh, la Manumagie, c'est super. » « Oh, il y a des gens qui peuvent t'aider pour ça. » « Oh, il faut juste être motivé. » « Oh, il suffit de se concentrer un peu. » « Allez, entraîne-toi avec des sorts simples, c'est pas le bout du monde un Accio. » « Et ne t'arrête pas, surtout, entraîne-toi jusque l'épuisement ou la réussite, et si tu n'y arrives pas c'est de ta faute. »

JE VOUS EMMERDE, ALLEZ TOUS JOUER DANS UN FILET DU DIABLE AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAH.

Sa vision était floue, les couleurs prenaient des teintes rougeâtres. Elle pouvait sentir une chaleur nouvelle autour d'elle. Il ne s'agissait plus d'une fin après-midi australienne, avec les rayons UV du soleil qui frappait sa peau pâlotte. On aurait plutôt dit une nuit sans nuage, si chaque petite étoile avait pu envoyer à des millions d'année lumière une petite quantité d'énergie thermique. C'était un peu désagréable : ça la picotait sans vraiment la gratter. À ce moment là, elle savait avec certitude que si elle avait lancé un Incendio, une flamme imposante serait sortie de son doigt. C'était aussi sûr que la Terre tournait autour du Soleil, ou que la rivière coulait vers la mer.

Cependant, elle ne le fit pas. Parce qu'avec le même niveau de certitude, elle savait qu'on lançant un sortilège elle briserait l'état fragile dans lequel elle était. C'était comme être dans un rêve, ou on prenait soudain conscience de rêver. Si on imposait trop fort sa volonté, on finissait par se réveiller. D'un autre côté, son esprit luttait également avec le sentiment de paix et de calme qui commençait à l'envelopper. Cette nouvelle puissance venait de sa rage, pas de la méditation ou de ce genre de conneries qu'on avait tenté de lui imposer.

Oh, voilà qui n'était pas mal. La chaleur se réunissait à présent dans le creux de ses paumes. Elle replia les doigts et ferma les poings. Elle sentait qu'elle tremblait légèrement. L'air autour d'elle aussi tremblait, et elle pouvait voir des vagues d'air pourtant incolore qui apparaissait près de sa peau et se perdaient quelques centimètres plus loin.

La sueur coulait sur son front, sa nuque, du haut de son dos et ses biceps mais, de cela, elle ne s'en rendit pas compte. Elle savait qu'elle ne pouvait pas rester comme cela indéfiniment, par contre. Elle se souvenait bien de l'état de fatigue terrible dans lequel elle s'était retrouvée après qu'elle ait brulée sa baguette.
D'accord, il fallait qu'elle tente un truc, alors. Quel sort pouvait-elle lancer ? Elle voulait changer de l'Incendio. Il fallait aussi que ça soit un sort qui tiennent assez pour qu'elle vérifie si cela avait bien marché une fois qu'elle serait sortie de sa transe. Elle pouvait s'imposer un maléfice, mais il ne fallait pas qu'elle se blesse. De la métamorphose, alors ? Trop compliqué, il fallait que ça reste simple. Élémentaire. Ah ! Un Aguamenti ! Voilà qui...

— Oye, Eileen, bouge toi !

Aussi efficace qu'un seau d'eau glacé qu'on lui aurait balancé au visage. Elle sortit brutalement de son état second.

— QUOI ?

Décidément, cette semi-réussite n'allait améliorer ni son humeur ni son entente avec l'équipe de magizoologistes. Oh non. Ryan fut d'abord surpris, puis énervé. Il lui répondit d'une voix assassine :

— On change de programme. Mont' dans la jeep.

— Quoi ? cette fois-ci, elle était toujours énervée, mais également un peu curieuse.

Ils s'étaient installés à Port Augusta ce soir, pour se diriger vers le Parc National de West MacDonnell. La colonie de Gunnis qui s'y trouvait était décimée par quelque chose d'encore inconnue ; maladie, parasite, quelque chose du genre. Eileen aurait bien dit qu'elle avait hâte d'y être, mais elle sentait que cette mission avait tout pour être ennuyante. Elle ne détestait pas suffisamment l'inattendu pour trouver qu'un changement de programme était une mauvaise nouvelle. Elle ne pouvait juste pas s'empêcher de râler un peu.

— On vient d'trouver la piste d'un Megalania. Il aye peut-être blessé. Priorité absolue.

Eileen sauta sur ses pieds. Avant de partir en Australie, elle avait à peine espéré voir une de ces créatures incroyables. Les Megalania étaient des varans aussi gros que des dragons, capable de survivre des années et des années dans le désert sans manger. Pour des sorciers, évidemment, cela n'avait rien d'incroyable, des grosses bestioles magiques. Pour autant, les Megalania n'avaient rien de communs : il n'en restait plus qu'une centaine, en tout et pour tout. Il s'agissait de reliques du passé, qui auraient pu disparaître sans les efforts de conservation de la communauté magique australienne. Du coup, vu l'aura de secret qui était entretenue autour de l'espèce, elle n'aurait pas cru pouvoir avoir la moindre information. Certainement pas en voir, encore moins en approcher. Pour rappel, elle n'était qu'une jeune touriste anglaise avide d'exotisme.

Ce qu'il se passait à l'instant était donc inespéré. Elle n'était pas buttée ou irritée au point de cracher sur cette opportunité au prétexte qu'on l'avait dérangé dans sa concentration. Vite, aussi vite que possible pour qu'il n'ait pas le temps de changer d'avis, elle réunit ses affaires, rentra dans une des deux jeeps et referma la portière derrière elle. Tant pis pour sa séance de méditation.

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