Souviens-toi que tu vas mourir.

5 minutes de lecture

 Chaque heure nous meurtrit, la dernière tue. Un jour j'ai avalé une boîte de somnifères avec du whisky, et je me suis senti partir. C'est peut-être bien ce jour là que je me suis éteint. J'ai survécu, mais j'ai peut-être tué quelque chose en moi. Je ne sais pas depuis combien de temps je ne me sens plus vivre, ni exister. Le temps n'a plus cours et pourtant je sens sa fuite. J'ai l'impression de toujours traverser un voile incandescent et de laisser des cendres s'envoler derrière moi.
 Jusqu'ici je ressentais la douleur de son départ. Il n'y a plus que le vide. Assis devant chez moi, au crépuscule, il ne me reste plus rien. La fumée dévale ma gorge. Je la sent envahir mes poumons. Depuis bientôt dix ans je ne me rapelle pas d'une journée où ce n'est pas arrivé. Une femme passe et me dévisage. J'ai les cheveux hirsutes et les yeux rouges parce que j'ai fumé du shit tout l'après-midi. Je lui sourit et elle en sursaute presque de surprise. Elle part avec son regard sévère et je retourne à la contemplation silencieuse des jantes des voitures devant moi. Je me demande qui peut bien les conduire. En imaginant leurs visages et leurs vies, je me dis que qu'elqu'un, à des milliers de kilomètres d'ici, m'imagine peut-être.
 Je regarde mes bras marqués par trop de choses. Des mégots à l'aiguille du tatoueur en passant par les lames de rasoir et de couteaux. Tout s'effondre autour de moi et je ne sais pas ce que j'ai pu faire exactement pour le mériter. J'ai fait tellement de choses pour lesquelles je mérite de souffrir. Pourtant j'ai l'impression d'avoir déjà assez souffert, mais qui en demanderait plus?

 La nuit est presque entièrement tombée quand le bruit d'un moteur familier me tire de mes rêveries. Je monte dans la caisse avec les autres et on parle de tout et de rien en roulant vers la maison de quelqu'un que je connais pas. On m'a dit qu'il allait y avoir une super fête ce soir et que ça pourrait me faire du bien d'y aller.
 Je vois dans les yeux des gens qui m'aiment que ça ne leur échappe pas, que je suis triste. J'éprouve aucun plaisir à les inquiéter, mais quelque part ça fais du bien, de savoir que quelqu'un si'inquiète pour vous. Je me dis que c'est paradoxal en regardant les gens dans les autres voitures. Il y a une femme qui gueule sur un type, je sais pas ce qu'il a fait mais il paie le prix fort. Dans une autre c'est un type qui parle tout seul. Je me demande ce qu'il raconte et à qui. Des voix dans sa tête, quelqu'un au téléphone, une victime ligotée sur la banquette arrière?

 Quand on arrive à la fête où on est invités, je me rend compte que je connais personne et je sais pas trop quoi en penser. Généralement, quand je connais pas quelqu'un je lui trouve trois défauts minimum. Je fais même pas exprès.
 Je demande pourquoi on est venus si tôt et on me répond : Tarde venientibus, ossa.* Je ricane dans ma barbe. Pour le plus irresponsable, queutard et toxico de tous les dégénérés que je connais, il ne manque pas de répartie.

 La soirée se passe, les bouteilles se vident, les corps se mêlent, le niveau de dope dans les sachets en plastiques descendent. À ce moment précis, être vivant n'a aucun sens. C'est pour ça que c'est maintenant que ça compte. J'ai perdu le roi du latin et j'erre parmis les défoncés et les gens qui se choppent en charchant quelque chose à faire. Une fille me tape sur l'épaule pour que je danse et je décline poliment pour trouver un coin tranquille où me saouler. Finalement je tombe sur une pièce qui a l'air d'être un bureau et je regarde les livres dans la bibliothèque. Rien de bien palpitant.
 Une meuf déboule avec le roi du latin et on tape des traces de speed sur un bouquin avant qu'ils aillent dans se trouver un coin tranquille pour baiser et se shooter. Je reste la et je fini par aller m'asseoir près de la piscine. J'ai réussi à taxer des champignons à un mec sous acides sur le chemin et je les laisse monter doucement en sentant l'effet grandir, puis j'hallucine une petite heure et demie en regardant la lumière se refleter dans l'eau.

 Quand je suis sur la redescente une fille avec le mascara qui a coulé vient s'asseoir à côté de moi, une bouteille de vodka à la main. Je lui demande et elle répond qu'elle a pas envie de me parler de ce qui va pas. Finalement on parle de moi et de mon ex. Elle pose sa tête sur mon épaule et je bois à la bouteille.
 Quand le roi du latin demande si je veux qu'il me ramène j'accepte. Elle demande si elle peut venir et j'accepte.
 On est quatre dans la voiture. Lui et la meuf avec qui il était parti se charger à l'avant, moi et ma nouvelle psy à l'arrière. Il roule à une vitesse normale, mais quand le conducteur s'est envoyé un fix d'héro dans l'avant bras deux heures plus tôt, tout devient dangereux. Et il accelère ce con. Sa phrase de tôt à l'heure me revient à l'esprit, si il doit être question d'os, j'aime autant que ce soit pas les miens, broyés dans une carcasse de voiture lancée à grande vitesse contre les murs du périph', par un toxico en vadrouille.
Memento mori. Memento mori.**
 Mourir ne m'effraie pas. Mais la perspective de finir à l'hopital parce que mon coxis a traversé mes poumons, ou que ma colonne vertébrale a pris la forme d'un donut, ça, ça a tendance à me faire flipper. Visiblement ma voisine sur la banquette arrière partage mes sentiments. Elle serre ma main de toute ses forces.

 Finalement on arrive sains et sauf. On se couche ensemble l'un contre l'autre. J'allume une clope pendant qu'elle s'endors contre moi et je me demande quel peut bien être son nom. Je repense à Walk on the wild side de Lou Reed. Je l'embrasse sur le front et elle se serre un peu plus contre moi en souriant. Demain il va y avoir de l'orage.

* À ceux qui arrivent tard, les os.

** Souviens-toi que tu vas mourir.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 4 versions.

Vous aimez lire ChatNoir . ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0