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Il est midi et quart à sa montre. Alexandre vient chercher son amie, ils ont fait une réservation à la crêperie. Leurs choix se portent sur des galettes complètes et du cidre rosé. Ils ne se laissent pas tenter par les crêpes en dessert ; un repas semi-léger avant le dernier réveillon est à leur sens, plus raisonnable. Ils s’en vantent et prennent comme première résolution de devenir pour l’année prochaine plus circonspect - ils laissent exploser un fou rire.

— L'espoir fait vivre ! Encore une résolution qui ne sera pas tenue, avoue Énora.

Ils peuvent dès lors se hâter pour apporter les courses alimentaires, leurs effets personnels, dont leurs tenues de soirée chez Christian. La salle à manger nécessite de quelques aménagements pour y créer un coin buffet dinatoire et une piste de danse dignes de la soirée de la Saint-Sylvestre.

Michaël et Liam déchargent des bouteilles d’un coffre lorsqu’ils arrivent.

Des ballons multicolores sont déjà accrochés aux quatre coins de la pièce. Ghislaine hésite et tente d’entamer la discussion avec Énora concernant le sujet pointilleux et proscrit : celle dont on ne doit pas prononcer le nom. Sans succès. Après moult réflexions, Alex a préféré se confier à la femme du boulanger : sa meilleure amie a pris la décision de se rendre à l’hôpital dans trois jours.

Aujourd’hui est un jour de fête. Pour la libraire, il est hors de question de lancer un seul discours qui serait susceptible de créer des contrariétés.

Oust les tourments pour aujourd’hui ! Dehors !

Michaël transvase ses litres de punch dans une fontaine réfrigérée. L’un de ses amis lui a ramené le rhum et les gousses de vanille de la Réunion. Énora met en place des nappes dorées en papier sur les tables - nouvellement créés avec des portes et des traineaux. À la vue du nombre de celles-ci, le nombre d’invités va sans doute être conséquent.

— Une belle soirée en perspective ! annonce Christian qui arrive avec les sacs de pain dans le garage.

La libraire monte à l’étage afin d’aider à préparer les chambres avec Ghislaine. Son amie a insisté pour qu’un maximum d’invités passe la nuit ici, en sécurité. Énora en profite pour déposer ses affaires personnelles, sa robe de soirée est suspendue sur un cintre.

— Très jolie robe. Je suis contente que vous soyez tous là ce soir.

Elle enlace son amie.

— Merci à vous… Je suis bien heureuse d’être ici avec vous. Tu me manques, la forêt avec toi me manque…

— Nous y retournerons au printemps ma belle, si tu as besoin, je suis là, tu le sais !

Caro laisse tomber bruyamment sa valise, elles sursautent et en rient. Ghislaine lui indique la chambre juste à côté : ce sera la sienne ou celle de son fils. Mathis est avec elle ce soir, il est resté au rez-de-chaussée, avec deux autres enfants. Les bonbons de Christian ont aidé à engager les discussions afin de faire connaissance. Alex et Shin décorent les plats des toasts lorsque les filles redescendent. David règle le son et les lumières.

— C’est l’heure de se faire une beauté, allez, du balai ! ordonne Mika avec humour.

Il a déjà bien entamé le punch ; sa devise étant qu’il faut goûter avant de partager, bien entendu, plusieurs fois pour en être certain.

— Traduction : Allez, les moches ! Parez-vous de vos plus beaux atours ! résume Alex, hilare.

— Les mecs d’abord ! Les filles sont trop longues ! taquine Shin.

Énora passe devant lui dans les escaliers.

— Tic, tac, tic, tac… s’écrit-elle en guise de clignotant. Désolée monsieur galanterie, tu permets ?

Elle lui ferme la porte de la salle de bain au nez.

Il continue et cherche une chambre libre, son costume à la main. Il va se plaindre auprès de Caroline qui le met dehors. Il reste pantois sur le palier.

— Je ne suis pas encore prête, je veux que ce soit une surprise ! crie-t-elle.

— Grrr les femmes !

Il peste en levant les deux bras au ciel. Il trouve Liam qui termine de s’apprêter avec un smoking bleu nuit, une chemise blanche, un nœud papillon et des Richelieus assortis au costume.

— La vache, tu es beau comme un Dieu ! le complimente-t-il en l’inspectant sous toutes les coutures.

Liam laisse échapper un rire et lui demande d’enfiler le sien. Ce soir, les hommes ont tous d’un commun accord statué sur le fait de sortir le grand jeu. Christian et son fils ont effectué leurs achats ensemble : un très bel échange.

Une fois les cravates ajustées, ils s’apprêtent à redescendre en parlant football lorsqu’Énora sort de la chambre. Elle porte une robe du style des années vingt, une robe Charleston, bleu et noir. Les franges partent du haut des cuisses jusqu’aux genoux. Un châle noir à sequins lui couvre les épaules, des mitaines, les avant-bras. Un bandeau avec une plume bleue et des perles retient ses cheveux lissés. Ils restent tous les trois figés, la bouche ouverte, sans voix, à s’admirer les uns les autres.

— Waouh ! Vous êtes trop beaux ! clame Caroline en ouvrant la porte.

Elle met fin au silence gênant de ses trois amis.

Liam se penche et chuchote à l’oreille d’Énora en la regardant de haut en bas « C’est magnifique, tu es vraiment très jolie ». Elle rougit.

Caroline a choisi une robe vintage des années cinquante, rouge, des Babies vernis noirs habillent ses pieds tout comme son amie. Elles descendent toutes les deux, répondant à l’appel de Ghislaine.

— Tout va bien capitaine ? se moque Shin en lui donnant un léger coup d’épaule.

— J’ai eu très chaud d’un seul coup, avoue Liam, l’imperturbable perturbé.

Il tire sur le col de sa chemise avec deux doigts.

— Il faut y aller marquer un but capitaine, s’amuse Shin.

Liam lève les yeux au ciel, songeur.

— C’est toi l’attaquant, pas moi…

— Tout est possible, souviens-toi en 98, Lilian Thuram…

Ils se mettent à rire en évoquant le superbe match France-Croatie. Ils dévalent les escaliers.

Mr Calvet est présent dans un costume noir et une cravate rouge. Il a préparé ses munitions : poches de confettis et serpentins. La soirée bat son plein sous les lumières festives, les tables ont été déplacées pour laisser plus de place autour du buffet et aux danseurs. David lance une playlist, plus besoin de gérer la musique, il a besoin de se nourrir. Il se compose une assiette bien garnie, se sert un verre et s’assoit près des filles. Énora lui demande si elle peut goûter sa boisson, elle lui donne envie avec ses feuilles de menthe et sa petite tranche de citron vert.

— C’est du Mojito, c’est Jules qui l’a préparé, informe David.

Elle attrape son verre et boit une gorgée, puis une deuxième.

— Euh, il y a du rhum dedans, lui dit-il d’un ton inquiet.

— Et ? Tu penses que je suis si ignare que cela ? Tu me vexes…

Elle fait semblant de bouder, se lève de sa chaise, se dirige vers le buffet. David, décontenancé, interroge Caroline du regard.

— Elle se décoince, c’est bien ! lui affirme-t-elle avec un large sourire.

Énora reprend sa place, avec une assiette de verrines et un verre de mojito, qu'elle lève.

— Tchin ! À vous, mes amis que j’aime énormément !

Alex s’installe près de David qui n’est pas très serein. Une fois les petits récipients dégustés et les verres vidés, Caro entraîne son amie afin de remplir à nouveau les assiettes et les verres.

— Manger donne soif ! affirme-t-elle.

David qui les a suivies n’est pas vraiment du même avis et essaie de prévenir la libraire qu’elle n’a pas l’entraînement approprié pour ingurgiter tout cela.

— Chut ! lui dit-elle en mettant son index sur ses lèvres. Papa Alex se chargera bien assez de moi en remontrances.

Elle se met à rire et boit son verre d’une traite.

— Tu peux me resservir s’il te plaît ? lui lance-t-elle avec un regard mi-suppliant, mi-amusé.

— Tu me mets dans une position délicate là…

Liam, entouré de Mika et de quelques joueurs, regarde la scène de loin. Il ne lâche pas des yeux Énora depuis qu’elle est sortie de la chambre, Ghislaine s’installe près d’elle. Elle s’amuse de voir sa jeune amie si guillerette, qu’elle puisse profiter de cette belle soirée. Celle-ci a les joues toutes rouges, elle demande à ce qu’elles soient prises en photo. Il y a les photos sages et les photos amusantes, très amusantes. Shin est allé demander une petite faveur au responsable de la musique. Il s’avance vers Caroline les bras tendus en avant. « I still loving you » du groupe Scorpions se fait entendre. Énora râle, elle se retrouve sans son amie, elle fait la moue, les bras croisés. Shin lui tapote l’épaule et pointe du doigt Liam. Elle répond favorablement à cette petite suggestion, nul besoin d’y réfléchir trop longtemps. Elle avance vers celui qui hante ses nuits. Sa fausse paralysie face à lui est camouflée par l’alcool, elle ose. Il est en pleine conversation avec Mika, elle lui prend la main, le mène vers les danseurs et se blottit contre lui. Il l'enlace, se remet de l'audace de sa partenaire qui l'enthousiasme. Ils se meuvent sur ce son enivrant.

— Tu es plus grande aujourd’hui, lui dit-il à l’oreille sur un ton taquin.

— C’est à cause de la soupe… il s’avère que c’est vrai.

— La soupe ? (Il se met à rire, son étreinte se resserre.)

Elle retrouve ces sensations de douces chaleurs telle une caresse suave qui parcourt son corps tout entier comme un baume réconfortant, un goût de sérénité. Elle ferme les yeux. Cela fait des jours et des jours qu’elle recherche avec avidité ces émotions-là. Elle les avait ressenties, une empreinte avait été laissée sur son corps, gravé en son cœur. Elle avait fini par penser que ce n’était qu’une chimère. Mais le corps a une mémoire. En cet instant précis, il les reconnaît ici et maintenant : le bien-être et la sécurité entre les bras de Liam.

Ghislaine prend des photos, lorsqu’elle aperçoit sa fille de cœur, elle est comblée. Christian, qui a quitté sa veste, entraîne sa tendre femme. Elle essuie ses larmes, tout est parfait.

David récupère l’appareil photo et prend le relais en tant que photographe. La chanson se termine, toutes les bonnes choses ont une fin. La libraire tient à informer David qu’il n’y a pas assez de slows, elle trébuche contre Alex et rit aux éclats.

— Tu as bu ? Sérieusement ? demande Alex les yeux écarquillés.

— Ah oui, j’ai enfin goûté au mojito, en fait, c'est très bon !

Elle ricane et lui jette des serpentins dans les cheveux, elle s'esclaffe de plus belle en le voyant furibond.

Le compte à rebours commence, les invités comptent, la musique est en pause. Dix, neuf, huit, sept, six…

— Bonne année ! crient-ils tous en cœur.

C’est l’instant des étreintes, des bisous, des vœux. Alex enlace sa petite sœur plus âgée que lui.

— Ne fais rien que tu pourrais regretter, je t’aime petite sœur. Bonne année !

— Je t’aime aussi, excellente année à toi aussi.

Ils se prennent tous dans les bras, Énora s’extirpe du très long câlin de Caroline et cherche particulièrement ses amis et… lui. Il est sur le côté, sur sa droite avec Christian et un couple. Lorsqu’il l’aperçoit, il avance vers elle, elle passe ses bras autour de son cou. David leur lance des confettis.

— Très belle année Liam…

Il l’embrasse sur une joue, s’attarde.

— Le meilleur pour toi, pour toute cette nouvelle année, lui dit-il à l’oreille.

La musique reprend. Elle se sent confuse, consciente qu’elle se trouve dans un état second, elle s’en veut.

— Je te remercie, poursuit-elle. Elle s’échappe de son étreinte en lui déposant un baiser sur la joue.

Elle continue la tournée des bisous : d’abord Mr Calvet. Elle lui fait plaisir, elle le nomme par son prénom : Antoine. Puis, Ghislaine, David, Christian et tous ceux qui croisent son chemin. Elle dérobe un paquet de confettis et les lance à tout va, hilare. Près du buffet, elle s’assoit en compagnie de Caro et Shin. À peine installée, elle se redresse promptement.

— Ah non en fait, vite, pause pipi !

Elle part en trottinant aux toilettes, revient dix minutes plus tard.

— Ah ! ça va mieux ! (Elle rit de plus belle. Sa tête tourne.) J’ai trop bu, j’ai honte…

Elle s’allonge sur le banc, la tête sur les genoux de Caroline.

— Balivernes, amuse-toi ! J’aime te voir ainsi ma copine.

Alex lui amène deux assiettes avec l’ordre formel de manger pour éponger - des samoussas et des nems. Parce qu’ils ne sont pas au poulet, elle les refuse ; elle glousse, un rien la fait rire. Ghislaine trouve la situation amusante « Il faut prendre des photos pour monter un dossier. » Michaël les rejoint, Liam est en face d’elle. David dépose des verres de punch. La musique les mène sur la piste de danse d’un soir, les pas ne sont plus vraiment assurés à la perfection, il est plus de 5h30.

David entame un madison et demande aux footballeurs de l’accompagner : il les traite de « grosses chochottes qui ne savent pas bouger leurs jambes en rythme. »

Les filles trinquent avec les verres de punch et rejoignent tous ces vaillants hommes. La libraire a la tête qui tourne beaucoup, beaucoup trop. Elle vacille et se jette sur la première chaise. Liam arrive vers elle, le premier. Sa main sur son épaule, il lui demande comment elle se sent. Elle lui répond qu’elle veut dormir, que tout bouge trop vite, elle veut fermer les yeux. Il l’aide à se lever et la soutient, son bras sous son aisselle, la tenant par la taille. David et Alex accourent.

— Elle veut aller se coucher, les informe Liam.

— OK, je prends le relais. Et voilà, tête de mule qui ne boit jamais ! Elle a bossé comme une dingue ces dernières semaines, c’est du grand n’importe quoi de se mettre à boire autant ! fulmine Alex.

Il s'approche de son amie, Liam ne cède pas sa position.

— Alex… laisse-moi faire, ça va aller.

David attrape le bras d’Alex pour le faire reculer et lui prend le visage en coupe dans ses mains.

— Il n’est ni un meurtrier ni a fortiori un violeur, laisse-les…

— C’est censé me rassurer ça ?

Il les regarde monter les marches lentement. C'est la première fois qu'il voie son amie dans cet état, il a un pincement au coeur.

Liam dépose Énora sur le lit, lui enlève le bandeau de ses cheveux. Il a allumé la petite lampe de chevet. Il s’assoit près d’elle.

— Allonge-toi, tu as besoin de dormir, hésite-t-il en lui caressant les cheveux. Tu as froid ?

Il tire la couverture sur elle, par précaution.

— M’embrasseras-tu ? murmure-t-elle les yeux fermés.

Penché au-dessus d’elle, il ajuste la couverture, il se redresse, se tourne et pose ses coudes sur ses cuisses, son visage contre ses mains. Il se frotte le visage et se masse rapidement les tempes, dans l’attente de voir émerger la meilleure idée du siècle afin d’agir le mieux possible.

— Énora… tu me mets à rude épreuve là. Ce n’est pas l’envie qui me manque.

Il tourne le visage vers elle.

— Loin de là. Mais… c’est contre mes valeurs et je crains que demain tu sois énormément déçue, que tu regrettes… dors s’il te plaît, dors.

Elle ouvre les yeux, il l’embrasse sur le front. Il se lève et s’assoit sur la chaise après l’avoir débarrassée de la pile de vêtements.

Alexandre pousse la porte de la chambre. À la lumière de la lampe, il voit son amie endormie recroquevillée sur le côté et Liam endormi sur la chaise, les bras croisés.

Épatant cet hétéro… même moi je ne serai pas resté sur la chaise !

Satisfait, serein, il repart en espérant pouvoir encore établir un contact avec le marchand de sable.

Il est sept heures du matin. Liam sort de la chambre et ferme la porte sans émettre un seul bruit.

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