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Le réveil affiche en rouge 5 : 17. Énora grommelle, elle a conscience qu’il est lundi, elle peut donc se permettre des heures de sommeil supplémentaires.

Il est trop tôt, dors bon sang !

La chanson de Jean-Jacques Goldman résonne dans sa tête « Dors, bébé dors, il pleut dehors, dors encore… ». Elle fait un bond, se met en position assise, tend l’oreille pour percevoir les bruits extérieurs. La pluie ruisselle le long des gouttières, inlassablement.

Encore un temps merveilleux ! Qu’on m’assomme !

Le marchand de sable a été un brin avare la veille ou tout simplement il n’a pas pris en compte le pouvoir incoercible des sentiments qui la bousculent ces derniers jours ; les insomnies, des sourires béats à tout va, quelques légers papillons dans le ventre qui tentent de l’intimider.

Debout près de son lit, elle capitule, une douche bien chaude la mettra en forme.

Ghislaine l’a contactée par téléphone dimanche matin. Elle lui a affirmé qu’elle allait mieux, le médecin a pensé à un surmenage dû à un excès d’activités. Elle était certaine de reprendre le chemin de la boulangerie mardi. La libraire était rassurée, son amie lui manquait, bien trop de jours ont défilé sans elle. L’excellente nouvelle concernant Michaël a été leur sujet majeur de conversation. Elles ont prévu un pot à la boulangerie pour le féliciter après les fêtes de Noël.

Sa mère est si fière de lui, de sa décision de reprendre la boucherie. Parfois, les parents font cela, ils tirent une vive satisfaction des réussites de leur enfant. Parfois oui, il en est ainsi. Enora est animée de sentiments contraires : d'une part, de bonheur pur, elle est touchée par tout cet amour réciproque qu’ils se portent. Puis, par la peine, le manque, le trou énorme à la poitrine qui la tenaille. Il est difficile de combler le vide de ce qui n’a pas été connu.

Les volets sont ouverts, mais la lumière naturelle est insuffisante, le temps dehors est humide, les nuages gris, les habitants de Montauban ne verront pas le soleil aujourd’hui. Le mois de décembre prend sa place, il ajoute son grain de sel avec son froid ; il est en revanche un véritable « branle-bas de combat » - termes employés par son cher papa qui sont restés ancrés – trente et un jours de cadence vive. La librairie est assiégée pour les cadeaux de Noël. Elle doit posséder de vastes choix, être assidue sur ses commandes afin d’éviter les ruptures.

Un message clignote sur son téléphone, l’expéditeur est Alex.

« Plateau-repas ce midi, je peux m’incruster ? J’apporte les crevettes, fais la mayo ! » Suivi d’un smiley avec un grand sourire et un autre : un cœur bleu.

La chanson « Control » de Zoe Wees passe en boucle chez Énora. Elle prépare la mayonnaise avec son robot ménager.

— Ta musique est dysfonctionnelle… ça fait quatre fois qu’on l’entend celle-là, commence à ronchonner Alex en dressant la petite table pour leur déjeuner.

— Ah oui ? Je l’aime bien…

— La dernière fois que tu écoutais des chansons en boucle, on était au lycée, et ça signifiait toujours quelque chose… continue-t-il sur un ton inquisiteur.

Il caresse Spike allongé sur l’accoudoir du canapé.

— Certes… que j’aimais tout simplement ces chansons. Miam ! Excellente ! Tu veux goûter ?

Elle lui tend une petite cuillère de mayonnaise.

Il s’approche et goûte la fameuse mixture tout en traduisant les paroles de la chanson.

— Tu ne veux pas perdre le contrôle… bien morose tout ça, lance-t-il en plongeant une crevette dans le bol à mayonnaise.

— Quoi ? s’enquit-elle les yeux écarquillés.

Un long silence s’installe… la chanson reprend.

— Tu as le droit de perdre le contrôle… tu ne veux pas changer de musique ? Par pitié ! je pourrais même apprécier Claude François et son lundi au soleil, c’est pour dire ! Si ça pouvait d’ailleurs nous le ramener ce soleil !

Son amie attrape son téléphone connecté à l’enceinte. « The power of love » de Céline Dion débute. Son air espiègle accroché au visage, elle savoure l’instant.

— OK, donne-moi des mouchoirs et du vin s’il te plaît pour supporter tout ça.

Alex est dépité.

Elle zappe la chanson et met « Take my breath away » de Berlin, chanson du film Top Gun et elle laisse exploser un rire.

Le commercial, résigné, s’installe sur un coussin près de la table basse. La musique romantique dépressive le rend irritable. Énora le rejoint, s’assoit en tailleur, un petit sourire aux lèvres.

La table de la cuisine ne sert qu’à déposer les plats, confectionner des recettes ; les chaises, quant à elles, à embellir l’espace. Elle mange constamment assise sur ses coussins ou poufs autour de sa table de salon, devant la télévision ou un livre dans une main. C'est une petite fantaisie qui n'a jamais dérangé son meilleur ami, cela crée un petit côté chaleureux, cosy.

Ils piochent dans leur plateau-repas, l’enceinte a laissé de la place à de la musique pop.

— Tu sais que je te considère comme ma petite sœur, commence Alex.

— Je suis plus vieille que toi !

— Et insolente ! Écoute-moi… tu as le droit d’être heureuse, d’être amoureuse, surtout amoureuse. Oui, David m’a fait une leçon de cinquante chapitres, dont le chapitre un : comment lâcher les baskets à ma petite sœur. Chapitre deux : comment arrêter d’être un âne… etcétéra…

— Eh bien, là oui, il va nous falloir du vin !

La commerçante le charrie avec un air narquois, ses lèvres répriment un rire.

— Je suis sérieux et tu ne bois pas de toute façon. Lâche prise, il est quelqu’un de bien. Je l’ai inspecté, crois-moi. De surcroît, il est carrément pas mal pour un hétéro.

Énora a compris de qui son ami parle, il n’a pas besoin de le nommer. Elle se lève et avance vers l’évier.

— C’est trop d’émotions tout ça. Lâcher-prise, je ne connais pas, je ne sais pas faire. Je n’ai appris qu’à tenir bon en toutes circonstances, tenir bon, tenir le coup…

Alex la regarde en silence.

— Ne me regarde pas comme ça…

— Lâche prise, je suis là si tu trébuches, cette fois-ci, tu peux lâcher prise. (Il se lève et prend sa petite sœur dans les bras quelques secondes.) Ça va mieux ou je te raconte la suite des cours de David qui te font marrer ?

Un sourire timide apparait, les yeux de son amie sont embués.

— Je suis consciente que Liam est plutôt pas mal, mieux que cela … son sourire illumine ses yeux noirs comme les étoiles, un ciel nocturne, confie-t-elle en nettoyant le bol du robot ménager.

— Euh… faut pas pousser non plus ! Je ne suis pas prêt pour cette effusion de sentiments, mais je vais m’y faire.

Il est conscient que c’est une promesse qu’il vient de lui faire. Les paroles entre eux sont sacrées et doivent être honorées.

— Ouais bof. Tomber dans les rouages de l’amour, on n’en sort jamais indemne. Tomber amoureux, quelle ridicule façon de le dire, quand tu tombes, cela fait rarement du bien. Tout est dit, c’est un gros désordre ! Du fromage ?

Elle lui tend le plateau sous le nez. Il le saisit à une main, soupire et secoue la tête de gauche à droite.

Énora et son art de l’esquive !

Confortablement installés sur le canapé, ils mettent en place leur plan pour fêter Noël. Le vingt-quatre au soir, cette année, ce sera chez Alex. Un couvert de plus sera ajouté, David sera auprès d’eux. Le lendemain, jour de Noël, ils iront comme tous les ans chez les parents du commercial ; comme le dit si bien le père de celui-ci, Énora est devenue au fil des ans, leur fille adoptive, ils se sont faits à cette charmante idée. Quant au soir, l’infusion digestive sera servie chez Christian et Ghislaine. Nul besoin d’un diner copieux, les convives sont déjà rassasiés, le simple instant d’embrassades, de rires nourrit l’esprit.

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