Pas d'ici

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Des talons qui claquent sur un trottoir plein de pluie, voilà que ses bas s'éclaboussent et se gâtent. Ses longs cheveux bruns, dégoulinants, tombaient en grosses mèches peu élégantes un peu partout sur son visage et ses épaules, mais elle n'en avait que faire.

Ses grands yeux étaient ouverts sur autre chose que ce qu'elle pouvait voir...

Son esprit était ailleurs, comme perdu dans sa musique, dans une autre réalité. C'était une jeune femme, d'une vingtaine d'années. Elle semblait plutôt jolie, malgré ses traits déformés par son maquillage coulant.

Elle paraissait en extase devant ce qui l'entourait, la place tombée dans la grisaille des nuages et de la nuit tombante. Cette pluie battante ne semblait pas la déranger plus que ça, elle essuyait même parfois son manteau de peau et sa petite robe en chiffon, la tête ailleurs.

Elle resta là un moment, assise sur ce banc trempé. Un sourire triste se dessina sur son visage, peut-être était-ce même une larme qui perlait au coin de ses yeux clairs ou l'oeuvre de la pluie, personne ne le saurait.

La pluie la caressait et l'emmenait dans sa fraîcheur mélancolique. Elle était trempée jusqu'aux os, mais véhiculait tellement de chaleur à nos yeux ébahis.

Que dis-je ?

Mes yeux.

Certains la dévisageaient, abrités dans ce pauvre petit café miteux, se moquaient et l'insultaient, ils ne semblaient pas voir ce que je voyais en elle. Tellement de détresse, de solitude, mais aussi tellement de force. Elle se jouait de l'environnement, des autres et de leurs opinions.

Elle était loin de tout, loin d'eux... loin de moi.

Pourtant, derrière sa posture voûtée sous la pluie torrentielle, ses manières restaient gracieuses. J'avais comme une soudaine envie d'aller la voir, de la prendre dans mes bras,... la prendre sous mon aile et l'emmener loin des regards.

Elle était toujours là, tête baissée.

Je ne pouvais ôter mon regard. Chaque seconde de plus que je passais à détailler son corps, j'avais l'impression d'apprendre un peu plus à la connaître. Elle se trouvait tout à coup si fragile... Elle se laissait aller à ses doutes et ses pensées, laissait apparaître ses faiblesses, son coeur à portée de main.

Je ne pouvais pas la laisser là, toute seule.

Je m'apprêtais à sortir et elle me regarda directement, droit dans les yeux, sans sciller, comme si elle avait pu lire dans mes pensées.

Elle m'observa attentivement venir à elle, sans aucune expression sur le visage. Pas même un sourire n'égayait les coins de sa bouche, ses pommettes n'avaient pas tremblé.

Devant elle, je ne savais plus quoi faire, plus quoi dire... De par sa simple présence elle m'avait ôté tous mes mots. Je m'enfermais alors, moi aussi, dans un silence de tombe, seul sous la pluie, avec elle.

Sans savoir pourquoi, je sentais que c'était la seule chose dont j'avais besoin à cet instant précis. Elle partageait avec moi en un regard sa vision du monde, des gens, d'elle, de nous...

Tout existait pour elle, tout était beau, mais tout n'était que vide. Je sentis sa détresse m'envahir lorsqu'elle me saisit la main. Je la regardais, indécis, et ce fut la première et la dernière esquisse d'un sourire qu'elle m'adressa.

La pression ne dura que quelques secondes entre sa paume et la mienne, le temps qu'elle se relève, pourtant, j'aurais juré qu'il s'était passé des heures. Mon esprit s'était perdu dans les profondeurs de son regard. Elle lâcha ma main en s'éloignant et m'arracha, à mon grand regret, à mes rêves et mes pensées.

Ce n'est que quand elle tourna les talons que je su que je l'aimais. L'orage se calma, le dernier rayon de soleil passa sur sa silhouette avant de disparaître.

Je ne pouvais plus l'atteindre... Je l'avais compris. Son sourire effacé n'était qu'un adieu, je ne la reverrai jamais.

Oui, je l'avais compris à la seconde où je l'avais vu s'effacer de ma vue aussi vite que de ma vie, comme évanouie dans la lumière... si cette fille avait existé, elle aurait peuplé mes rêves, mais cette fille-là, impure pourtant si belle, n'était pas d'ici.

Je ne saurai jamais si je n'ai été qu'un admirateur passager ou victime d'une chimère, mais chaque nuit pluvieuse je reviens à cet endroit, méditant sous cette même pluie qui m'avait fait la voir, à attendre cet ange qui en un regard, en un soupir, m'aura dévoilé sa Vie.

#LettreImaginaired'UnAdmirateur

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