Secret de famille

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 16 avril, 12:00 : Il toucha le coq. Le cuivre froid qui le composait tranchait avec la chaleur moite de sa peau. Enfin il l’avait trouvé après tant d’effort il allait enfin pouvoir récupérer…

« Hey, mais c’est un miracle ! Le coq !Vous avez trouvé le coq. Il n’a pas fondu finalement. »

« Tout ça pour rien », fut sa seule et unique pensée pendant que l’homme soulevait l’animal cabossé pour le montrer au premier quidam passant à sa portée.

Tout ça pour rien. Il lui avait fallu 10 mois. 10 mois pendant lesquels il avait minutieusement étudié les plans de l’édifice pour savoir où placer les accélérateurs. 10 mois pour trouver, en tâtonnant, le dosage exact, ni trop, ni pas assez. 10 mois à faire semblant de comprendre le métier de charpentier pour pouvoir rejoindre le chantier de la cathédrale.

Il avait tout calculé, tout millimétré pour se retrouver le premier et seul sur le chemin de ronde. Mais il avait fallu que cet homme vienne tout gâcher avec sa veste en cuir et son grand sourire !

Maintenant le clergé allait récupérer le coq et tout serait perdu. Il tomba à genoux dans les cendres et les morceaux de bois brûlés. Dieu l’avait abandonné si près du but. Il n’avait pourtant commis aucune erreur.

 15 avril, 7:00 : Ce matin là, il était parti pour Notre Dame avec son sac plein : cannelle, huile, journal, sucre, farine, allume feu biologique, aluminium.

17:00 : La journée avait été épuisante, le bruit l’agaçait, l’odeur de transpiration lui était insupportable. Mais le pire était sans conteste le rire de ses « collègues ». Il détestait les gens et devoir se retrouver au milieu de tant de monde le répugnait au plus haut point.

17:50 : Il tourna la tête vers le parvis où il voyait grouiller les touristes. S’ils pouvaient imaginer ce qui allait se produire, ils garderaient tous les yeux rivés sur la cathédrale, impuissants. Il était déjà trop tard. Depuis une heure déjà il installait précautionneusement ses charges, bien à l’abri des regards indiscrets. Dans quelques minutes le chantier fermerait ses portes en même temps que la cathédrale et ce serait le moment.

18:00 : Ses premiers collègues étaient déjà partis depuis un moment, quelques-uns discutaient encore du travail titanesque qu’ils avaient encore à accomplir pour rénover ce toit immense. S’ils savaient…

18:15 : Enfin seul. Il était un employé modèle, il n’avait donc eu aucune difficulté quand il avait prétendu devoir finir un enduit au contre-maître. Il l’avait laissé seul en lui souhaitant une bonne soirée : « Y’aura du gros boulot demain, alors repose toi. » avait-il lâché en partant. Comme il avait raison, mais évidemment il ne se doutait pas de quel chantier il s’agissait.

Il monta tranquillement l’échafaudage entendant résonner ses pas dans l’édifice. Il admira cette grande dame avec un petit pincement au cœur, en pensant à ce qu’il allait lui faire. Mais c’était le seul moyen. Le coq était bien trop haut et aucune rénovation ne lui serait nécessaire de son vivant.

Il arriva au niveau de sa première charge. Il voyait courir le fil qui la rattachait à la seconde. Il sortit de sa poche son vieux Zippo, celui que lui avait donné son grand-père. Le petit objet en métal était orné d’un coq semblable à celui de la cathédrale. Son grand-père l’avait fait fabriquer après la découverte du secret familial. Mais lui n’avait pas osé aller au bout de l’entreprise. Il n’avait pas pu se résoudre à tout détruire pour atteindre son objectif personnel. A présent, il était mort et avait légué son secret à son petit-fils. Lui n’avait pas hésité. Son aversion pour le genre humain devait y être pour quelque chose.

La petite flamme se mit à danser devant ses yeux. Ça y était ; le moment était venu. L’alarme incendie se déclencha, comme il s’y attendait. Il se cacha, allongé sur une des poutres, en attendant la fin de la ronde des agents de sécurité. Pendant ce temps, l’édifice se vidait des visiteurs et des fidèles venus assister à la messe du soir.

18:30 : Tout était calme. Il descendit précautionneusement de la poutre et approcha le Zippo de l’allume feu face à lui. La lumière se fit plus intense, bientôt toute la charge prit feu et les flammes commencèrent à lécher le vieux chêne de la charpente. Tout à coup, une étincelle se mit à luire et le fil vers la deuxième charge disparut dans un éclair orangé.

Le bruit caractéristique de l’embrasement se fit entendre quelques secondes plus tard, alors que l’incendie gagnait le deuxième accélérateur.

Quand le cinquième s’embrasa, il se mit à descendre rapidement l’échafaudage. Il aurait été dommage de se faire surprendre alors que tout semblait si bien parti.

18:50 : Il était sorti sans encombre de la cathédrale. Personne ne l’avait vu. Il était maintenant assis au bord de la Seine, observant son œuvre. Un filet de fumée commençait à s’échapper du toit. Bientôt les flammes envahirent l’ensemble de la structure et des cris, des larmes, se faisaient entendre dans son dos. Une certaine qualité de silence aussi. Celle de la stupéfaction, de l’incompréhension, de la terreur.

19:05 : Les sirènes de pompiers retentissaient à tous les coins de rue et l’effervescence gagnait les alentours de Notre Dame. Mais rien n’y faisait. Les pompiers avaient beau s’acharner, les flammes gagnaient de plus en plus de terrain.

19:50 : Enfin ! Après une heure d’attente le moment qu’il attendait tant. La haute flèche de Notre Dame, rongée par les flammes, s’effondra selon l’angle qu’il avait prévu. Ses calculs avaient été parfaits. Les pompiers passeraient encore une bonne partie de la nuit à éteindre cet incendie. Il n’aurait plus qu’à se présenter le lendemain pour proposer son aide pour déblayer ce carnage.

 16 avril 9:00: Il se présenta aux abords de la cathédrale. Comme il l’avait prévu, les soldats du feu n’avaient pu maîtriser l’incendie avant 4 heures du matin. Bientôt il serait complètement éteint et la phase d’expertise pourrait débuter.

9:50 : Il fit en sorte de se retrouver dans l’équipe qui s’occuperait du chemin de ronde. Il alla droit vers le fond du bâtiment. 96 mètres de haut tombant d’un bloc à cause du feu avaient dû projeter le coq quelque part par ici.

12:00 : Les heures étaient passées, il ne le trouvait toujours pas. Il craignait de s’être trompé dans ses calculs quand son œil fut attiré par une petite tache bleue sous un amas de planches carbonisées.

Il approcha et souleva avec violence le bois qui gisait sur son objet de convoitise.

Il toucha le coq. Le cuivre froid qui le composait tranchait avec la chaleur moite de sa peau. Enfin, il l’avait trouvé après tant d’effort il allait enfin pouvoir récupérer…

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